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jeudi 30 juin 2022

Interview Procès du 13 Novembre: la perpétuité incompressible, négation du «droit à l’espoir»

par Juliette Delage  publié le 30 juin 2022

Salah Abdeslam a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible. «Une peine de prison à vie», prononcée seulement quatre fois dans l’histoire judiciaire française, qui empêche «le droit à l’espoir» du condamné, estime Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons. 

Salah Abdeslam, seul membre encore en vie de commandos du 13 novembre 2015, a été condamné mercredi à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible. Matthieu Quinquis, avocat au barreau de Paris, récemment élu à la tête de l’Observatoire international des prisons (OIP), explique à Libération les ressorts de cette peine, la plus lourde prévue par le code pénal, prononcée seulement quatre fois dans l’histoire judiciaire française avant le procès des attentats.

Qu’est-ce que la perpétuité incompressible ?

La perpétuité dit son nom : c’est une peine de prison à vie. Ce qui est incompressible, ce n’est pas la réclusion criminelle à perpétuité mais la période de sûreté dont elle est assortie. La justice pénale prévoit des périodes de sûreté au cours desquelles aucun aménagement de peine ne peut être accordé. Elles peuvent être de dix-huit, voire vingt-deux ans en cas de condamnation à la perpétuité. Pour les cas les plus graves, les magistrats disposent d’une peine de sûreté incompressible. Intégrée dans le droit en français en 1994 pour les auteurs de meurtre avec viol, torture ou acte de barbarie sur des mineurs, elle avait connu jusqu’à présent seulement quatre applications.

C’est seulement en 2016 qu’elle est étendue aux crimes terroristes. Or, notre loi n’est pas rétroactive : une peine qui n’existait pas au moment des faits ne peut pas être prononcée. C’est la raison pour laquelle Salah Abdeslam, qui a été reconnu coauteur de tentatives de meurtres des policiers lors de l’assaut du Bataclan, n’a pas pu être condamné à la perpétuité incompressible pour des faits de terrorisme. La cour d’assises spécialement composée a pu prononcer cette peine grâce à l’extension de 2011 de la période de sûreté incompressible pour les meurtres et tentatives de meurtre de personnes dépositaires de l’autorité publique.

En quoi consiste le parcours carcéral des condamnés à la perpétuité incompressible ?

Au stade de la condamnation, l’idée derrière cette peine c’est que la personne meure en prison et ne sorte jamais. En étant condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible, Salah Abdeslam ne pourra prétendre qu’au bout de trente ans de détention à son droit à l’espoir. Après trente ans de détention, il pourra pour la première fois solliciter le tribunal d’application des peines pour enclencher un processus long et compliqué afin que sa situation soit réévaluée. Il fera alors l’objet d’une évaluation de dangerosité psychiatrique et criminologique par un collège de psychiatres. Ensuite, cinq magistrats de la Cour de cassation émettent un avis, une position sur le dossier. En matière de terrorisme, on a un critère supplémentaire : la libération ne doit pas causer de trouble à l’ordre public.

Dans l’ensemble de ce processus, les parties civiles auront leur mot à dire. Elles seront informées de la procédure initiée par le condamné et pourront donner leur position et formuler leurs observations aux magistrats. Enfin, le tribunal d’application des peines pourra alors décider de relever ou de limiter dans le temps la période de sûreté. Ça ne signifie pas qu’il bénéficiera d’un aménagement de peine : il aura alors simplement accès à des mesures pour réintégrer la société, pour préparer les conditions d’une éventuelle sortie. La bataille pour espérer retrouver la liberté sera rude, décourageante. Il va devoir apporter des garanties, faire ses preuves, montrer qu’il ne présente pas de risque. Sachant que ce jour-là, Salah Abdeslam aura 60 ans passés, aura passé plus de trente années en prison avec ce que ça implique en termes de changement de personnalité, de suradaptation au milieu carcéral et d’incapacité à se projeter dans un milieu libre.

Que dit l’existence de cette peine de notre justice ?

L’homme ne se résume pas à ses actes : il peut changer, évoluer. La période de sûreté incompressible est un renoncement aux principes de la justice pénale, qui juge des actes avant de juger des hommes. C’est une peine qui vient confondre l’acte et son auteur. L’appliquer, c’est considérer que l’acte commis est tellement grave qu’aucun espoir ne peut être accordé au condamné, qu’il ne peut pas changer, pas évoluer. L’incompressibilité empêche de se projeter dans une dynamique favorable. Il faut un droit à l’espoir. Aussi bien pour la personne condamnée que pour la société. Sinon, c’est un aveu d’impuissance que je trouve extrêmement triste. «La véritable ligne de partage, parmi les systèmes pénaux, ne passe pas entre ceux qui comportent la peine de mort et les autres ; elle passe entre ceux qui admettent les peines définitives et ceux qui les excluent», écrivait le philosophe Michel Foucault au moment des débats sur la peine de mort. La question se pose sur la sûreté incompressible qui marque une rupture énorme et n’offre que des perspectives très sombres.


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