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mardi 29 mars 2022

« Notre système de santé doit anticiper un nouveau choc, celui de l’entrée des “baby-boomeurs” dans l’âge des risques de perte d’autonomie »

Publié le 24 mars 2022 

TRIBUNE

La crise sanitaire a montré que le secteur du grand âge est mal préparé pour faire face à des pics de demandes de soins alertent, dans une tribune au « Monde », les économistes de la santé Francesca Colombo et Thomas Rapp, qui expliquent que l’amélioration de l’offre doit devenir une priorité nationale.

Tribune. A bien des égards, la pandémie a testé la résilience de notre système de santé, c’est-à-dire sa capacité à absorber plusieurs chocs sans compromettre durablement le bien-être des Français. Avec quels résultats ?

Les données récemment publiées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (« The impact of Covid-19 on health and health systems » – « l’impact du Covid-19 sur les systèmes sanitaires » –, OCDE) montrent que, si la France a consacré des moyens considérables pour faire face à ces chocs, certaines déficiences ont malgré tout été aggravées.

D’un côté, trois indicateurs suggèrent que le système français a plutôt bien répondu à la pandémie.

Tout d’abord, l’écart d’espérance de vie entre les Français et les Européens, historiquement favorable à la France (+ 1,7 année), est resté stable entre 2019 et 2020.

Ensuite, entre janvier 2020 et décembre 2021, la surmortalité en France a été 10 % plus basse que celle observée dans la moyenne des pays européens de l’OCDE.

Enfin, l’accès aux soins a été maintenu grâce notamment au recours massif aux téléconsultations pendant les confinements et à l’augmentation de la capacité en lits de réanimation.

Dépression et anxiété

De l’autre, la crise a contribué à fortement accroître – en France comme dans d’autres pays – la prévalence des problèmes de dépression et d’anxiété, qui a notamment doublé lors du premier confinement. Et la pandémie a accru l’importance de problèmes structurels : pénurie de travailleurs, difficultés de coordination et d’intégration des soins, manque de transparence sur la qualité des soins, désinformation, problèmes de formation continue des personnels de santé, etc.

Finalement, si la France n’a pas plus mal encaissé le choc que les autres pays de l’OCDE, la crise nous a appris au moins deux leçons.

Tout d’abord, faute de ressources humaines adaptées, nous sommes mal préparés à faire face à des pics de besoins de santé.

Ensuite, nos politiques de santé sont insuffisamment centrées sur les intérêts des personnes et ne privilégient pas assez la recherche de valeur des soins.

Sous l’impulsion de l’Union européenne, le gouvernement français a répondu à ces enjeux en 2021 par un programme d’investissement massif dans le système de santé. Le plan national de relance et de résilience consacre en effet 6 milliards d’euros pour moderniser les secteurs sanitaire et médico-social, et améliorer l’offre de soins en ville et à l’hôpital.

Ce plan nous permettra-t-il de mieux nous préparer aux chocs futurs ? Cette question est centrale car notre système de santé doit anticiper un nouveau choc, celui de la transition démographique. La crise a montré que le secteur du grand âge était mal préparé pour faire face à des pics de demande de soins. Or nous entrerons dès 2030 dans une période charnière, marquée par l’entrée aux âges « critiques » (75-85 ans) des « baby-boomeurs », c’est-à-dire aux âges auxquels les risques de perte d’autonomie – et les besoins associés – augmenteront fortement.

Quatre priorités

La crise sanitaire a permis d’identifier quatre priorités pour renforcer la résilience du système français et mieux préparer la transition démographique.

Premièrement, l’amélioration de l’offre de soins doit devenir une priorité nationale. L’OCDE dénombre en France deux fois moins de travailleurs dans le secteur du grand âge que dans la moyenne des autres pays (« Who Cares ? Attracting and Retaining Care Workers for the Elderly »), OECD Health Policy Studies, Editions OCDE, 2020, Paris).

Ces métiers sont peu attractifs car mal payés et pénibles. Les mesures du Ségur de la santé ne suffiront certainement pas à accroître durablement le nombre de travailleurs. Les pays européens les mieux classés (Norvège, Suède, Pays-Bas) y sont arrivés, mais au prix d’une décennie de politiques volontaristes pour valoriser ces métiers, créer des perspectives de progression de carrière et instaurer une culture de bien-être au travail.

Deuxièmement, il faut accroître l’attention portée à la qualité des soins et à leur transparence. La France, comme de nombreux pays, manque de standards de qualité adéquats et transparents. Nous ne disposons pas d’un système national d’évaluation de la qualité de soins du grand âge, accessible au grand public.

Prévention

Aux Etats-Unis, le programme Medicare propose depuis 1998 un portail officiel permettant de comparer la qualité des prestataires de soins avec un système de notation par étoiles, bâti sur la collecte d’indicateurs statistiques produits par un organisme indépendant. Ce portail, bien qu’imparfait, est un outil utile.

Troisièmement, il faut repenser la politique française de l’autonomie. L’allocation personnalisée d’autonomie est une aide efficace, mais elle n’est pas assez centrée sur les attentes des seniors : près de la moitié des bénéficiaires n’utilisent pas l’intégralité du plan d’aide qu’elle finance. La réussite des réformes observées dans les pays nordiques montre que nous devons passer d’une politique d’accompagnement de la perte d’autonomie à une politique de prévention.

Quatrièmement, il faut mieux anticiper l’évolution future des besoins. Plus que l’âge, c’est la toute fin de vie qui explique la croissance des dépenses de santé liées au vieillissement. Compte tenu de la structure de notre pyramide des âges, on peut dès à présent anticiper des hausses de recours aux soins et de besoins de financement. La crise sanitaire a révélé que notre système est très mal préparé à gérer ces situations.

Comme dans plusieurs pays, ces priorités doivent s’inscrire pleinement dans la politique française du grand âge, pour mettre en œuvre une société du bien vieillir.

Francesca Colombo est cheffe de la division santé à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Thomas Rapp est maître de conférences à l’Université de Paris (Laboratoire interdisciplinaire de recherche appliquée en économie de la santé-Liraes) et codirecteur de l’axe sur les politiques de santé du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) à Sciences Po. Il a été « Harkness Fellow » à Harvard et économiste de la santé à l’OCDE.


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