par Eric Favereau publié le 29 mars 2022
La découverte de l’insuline ? C’était il y a un siècle exactement. Et à regarder le comportement des différents acteurs, on pourrait avoir le sentiment que c’était il y a des milliers d’années. Comme nous le raconte sur son blog le diabétologue André Grimaldi, professeur émérite à la Pitié-Salpêtrière, cela commence en 1921. «Le Roumain Nicolae Paulescu, à la suite de plus de dix ans de recherches, et deux jeunes Canadiens, la chirurgien Frederick Banting et le biochimiste Charles Best, travaillant dans le laboratoire de John Macleod, découvrent l’insuline», une hormone essentielle qui fait entrer le glucose sanguin dans les cellules afin de leur fournir de l’énergie et, ainsi, de rééquilibrer la glycémie.
Le 11 janvier 1922, Banting et Best injectent une solution alcoolique d’extraits de pancréas de bœuf stérilisé à Leonard Thompson, un jeune diabétique de 14 ans arrivé au stade terminal de la maladie. «La glycémie baisse mais la cétonurie [élimination urinaire excessive de corps cétoniques, ndlr] persiste et un abcès se développe au point d’injection. Les résultats sont décevants.» Alors, à la demande de Macleod, James Collip, biochimiste, produit un extrait concentré purifié qui est administré le 22 janvier 1922 à Leonard. «Les résultats sont spectaculaires. En quelques jours l’enfant regrossit, retrouve de la vigueur.» Un an plus tard, Banting et Macleod reçoivent le prix Nobel de médecine, que le premier partage avec Best et le second avec Collip.
L’insuline est née. Depuis, des dizaines de millions de patients ont été sauvés, le diabète devenant une maladie chronique. C’est un des succès majeurs de la recherche médicale du siècle dernier. Non sans justesse, André Grimaldi en tire des leçons tout à fait actuelles. Premier constat : «En 1921 pour l’insuline, comme aujourd’hui pour les nouveaux traitements antiviraux ou antinéoplasiques, et comme pour l’ARN messager, c’est la recherche publique qui est à l’origine du progrès scientifique et ce sera ensuite l’industrie pharmaceutique qui permettra la commercialisation à l’échelle mondiale.» En 1923, les Canadiens nobélisés cèdent leur brevet à l’université de Toronto pour un dollar symbolique, estimant que l’insuline, qui sauve des vies, est un bien commun de l’humanité. «Et, comme tel, elle doit échapper aux lois du profit avec le versement de rentes à des actionnaires. Très significativement, Frederick Banting va par la suite refuser les propositions financièrement alléchantes qui lui seront faites pour, en quête d’une reconnaissance académique, se faire le défenseur de la recherche.»
«Trahison»
Aujourd’hui, l’insuline n’est pas gratuite, loin de là. Elle est devenue un énorme marché ; en même temps, elle est comme le miroir des inégalités de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), prés d’une personne sur deux dans le monde ont besoin d’insuline mais n’y ont pas accès. «En Afrique, on estime à 50 000 le nombre d’enfants diabétiques de type 1, mais, selon le directeur de l’ONG malienne Santé Diabète, l’espérance de vie post-diagnostic d’un enfant diabétique ne dépasse pas, en moyenne, une année dans une majorité des pays africains», continue Grimaldi. Plus déroutant, «aux Etats-Unis, le prix de l’insuline a explosé, augmentant de 1000 % entre 1996 et 2017, selon l’Union of Concerned Scientists.» Et tout est à l’avenant, variant selon des modèles financiers à mille lieues des enjeux de santé publique. «Le prix du flacon d’[insuline] glargine est cinq fois plus élevé qu’en France. Aux Etats-Unis, ce sont les industriels et les intermédiaires qui fixent librement les prix, si bien que des patients diabétiques pauvres sont contraints de rationner leurs doses pour des raisons financières.»
Et André Grimaldi tire encore le fil : «On assiste là à une véritable trahison de l’engagement des découvreurs de l’insuline. Ce scandale, de même que le scandale aujourd’hui du profit exorbitant de Pfizer et de Moderna sur leur vaccin à ARN messager, devrait conduire les Etats à imposer, pour les médicaments vitaux, un prix «raisonnable», permettant l’accès à tous, sous menace d’imposer à l’industrie la licence d’office avec levée du brevet. De même, toute négociation de chercheurs publics avec l’industrie devrait comporter une clause de prix raisonnable. Quant aux médicaments d’intérêt thérapeutique majeur tombés dans le domaine public, génériques ou biosimilaires, ils devraient être produits par des établissements publics à but non lucratif, ce qui éviterait les ruptures d’approvisionnement de plus en plus fréquentes.»
Des vœux, toujours pieux. Avec l’épidémie de Covid, on a assisté aux mêmes phénomènes en accéléré, avec les succès impressionnants des chercheurs publics, puis de ceux de l’industrie. Sont ensuite arrivées les dérives du marché, avec les prix exorbitants des vaccins, une absence de transparence et un accès aux soins aussi variable qu’inégalitaire. Et surtout des Etats incapables de réguler. Le disque semble rayé. Rappelons quand même que, dans le même temps, un des inventeurs de la solution hydroalcoolique, le professeur Didier Pittet, a donné en 1995 à l’OMS sa formule, permettant, partout dans le monde, d’en bénéficier gratuitement, et donc de se laver les mains efficacement.«1,7 milliard de francs suisses [à peu près autant d’euros], c’est la somme qu’il aurait encaissée s’il avait reçu 0,1 centime par flacon vendu chaque année», faisait-on alors remarquer à l’OMS.
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