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mardi 29 mars 2022

Droit des malades : un chantier toujours en cours depuis vingt ans

Par  et   Publié le 28 mars 2022

La loi Kouchner de 2002 sonnait à l’époque comme une révolution. Accès au dossier médical, information du patient, recherche de consentement aux soins… autant de mesures qui ont permis de sortir du paternalisme médical. Mais la pandémie a mis au jour les fragilités des dispositifs.

Vingt ans après, jour pour jour, ils se sont tous retrouvés au ministère de la santé pour célébrer l’anniversaire de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. Des festivités sous forme d’un colloque organisé par l’Institut droit et santé (Inserm, Université de Paris). Il y avait là Bernard Kouchner, ancien ministre de la santé qui a laissé son nom à cette loi ; Didier Tabuteau, son directeur de cabinet d’alors, qui a joué un rôle majeur tout au long du processus ; d’autres « Kouchner boys » ; et beaucoup des protagonistes de cette épopée législative. Ils avaient tous le sourire. Olivier Véran, l’actuel locataire de l’avenue de Ségur, a, lui, salué « une très belle loi ».

Colloques, mais aussi enquêtes en population générale, auprès de patients, de professionnels de santé… Le vingtième anniversaire de cette grande loi de santé publique est l’occasion de dresser un bilan des avancées qu’elle a permises, mais aussi de prendre la mesure du chemin qui reste à parcourir en termes de droits des patients et de démocratie sanitaire. La pandémie de Covid a par ailleurs révélé combien les acquis peuvent être fragiles.

Après une longue gestation, sous la houlette de Didier Tabuteau, aujourd’hui vice-président du Conseil d’Etat, dans le contexte particulier de l’épidémie de VIH/sida et de l’affaire du sang contaminé, la loi Kouchner est promulguée en 2002. Elle sonne alors comme une révolution. Pour la première fois, les malades sont reconnus comme des personnes à part entière. Le texte est d’ailleurs, autre élément inédit, le fruit de larges et longues concertations avec les associations et toutes les parties prenantes.

« On a découvert le patient, c’est la plus belle découverte du XXIe siècle, devant le séquençage du génome ! », sourit Gérard Raymond, acteur de la première heure du processus, aujourd’hui président de France Assos Santé (FAS), qui regroupe 83 associations de patients.

Améliorer la relation entre patient et médecin

Parmi les mesures phares, l’accès direct au dossier médical, l’information du patient, la recherche de son consentement aux soins, la possibilité de désigner une personne de confiance, la mise en place d’un dispositif d’indemnisation des aléas thérapeutiques (événement sans faute des soignants) avec la création de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales (Oniam), etc.

Le fil conducteur est l’amélioration des relations entre patient et médecin, mettant ainsi fin au paternalisme médical, et à la « passivité » du patient, qui devient un acteur de sa santé. Aux droits individuels s’ajoute la reconnaissance de droits collectifs, avec la représentation des usagers au sein des instances de santé (hôpitaux, agences sanitaires…), ouvrant ainsi la voie à la démocratie sanitaire. Jamais remise en cause dans ses principes, la loi du 4 mars 2002 a au contraire été enrichie depuis par d’autres textes législatifs, qui ont autorisé les actions de groupe en justice, précisé des droits pour la fin de vie…

Vingt ans après, ces droits des malades, qui concernent en fait tous les usagers du système de santé, sont-ils connus et respectés ? Les Français se disent très majoritairement bien informés sur leur santé et leur parcours de soins, selon le dernier baromètre de FAS(successeur du Collectif interassociatif pour la santé, le CISS), réalisé à l’occasion de cet anniversaire. Mais « si 95 % connaissent le droit d’accès aux soins, seuls 84 % estiment que ce droit est effectivement bien appliqué », un chiffre en baisse de 4 points par rapport au dernier baromètre en 2017, avec de fortes disparités selon les régions. D’autres dispositions de la loi restent méconnues, constate ce baromètre. Ainsi, seuls 32 % des sondés savent qu’il existe des personnes pour les représenter en tant qu’usager à l’hôpital et à l’Assurance-maladie et que celles-ci peuvent les défendre en cas de problème.

Par ailleurs, la ligne Santé info Droits de FAS reçoit de nombreux témoignages d’usagers, qui s’estiment victimes du non-respect de leurs droits, en termes d’information, de refus de soins ou encore de discrimination, comme celui-ci : « J’ai une amie qui a un suivi particulier à cause d’une tumeur au cerveau. Elle a récemment fait une IRM, elle n’a pas les résultats et on refuse de lui donner les clichés de l’IRM sauf si elle paie ! On n’a jamais vu ça. »

Peur des représailles du corps médical

Comme sur d’autres sujets, les personnes vulnérables et/ou en situation de précarité semblent les plus exposées aux atteintes à leurs droits en tant que patients. Et beaucoup n’oseraient pas se plaindre par peur de représailles du corps médical. « Il faut protéger les personnes qui vont parler et déposer une plainte, en particulier lorsqu’il s’agit de publics vulnérables », plaidait ainsi Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes handicapées psychiques (Unafam), lors d’une journée de FAS consacrée à la démocratie en santé, le 3 mars. De leur côté, certains professionnels de santé regrettent une perte de confiance dans la relation avec leurs patients, comme le constate une autre enquête, menée par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), auprès d’un millier de médecins et de 930 patients appartenant à des associations agréées d’usagers.

« Il n’y a plus de patients, il y a des clients qui vous donnent des notes négatives sur Google », souligne ainsi un des médecins interrogés. Le risque de judiciarisation est aussi évoqué par certains professionnels. Ces relations dégradées semblent cependant minoritaires. Dans la partie qualitative de l’enquête du CNOM, « confiance » est le mot le plus cité par les patients et les médecins pour qualifier leur relation.

Cette étude montre par ailleurs que la loi Kouchner reste encore largement ignorée dans la population. Une bonne moitié (54 %) des patients ne la connaît pas. C’est le cas aussi pour 6 % des médecins qui l’ont déclaré spontanément, alors que la question ne leur était même pas posée. « Dans notre enquête, la mesure la plus appliquée et la plus connue est le consentement éclairé, c’est une bonne nouvelle », commente la docteure Claire Siret, présidente de la Commission des relations avec les associations de patients et les usagers, qui a conduit cette étude rendue publique début mars.

Concernant l’accès au dossier médical, moins d’un tiers des patients indique avoir rencontré des difficultés ou un refus, celui-ci étant plus souvent le fait d’un médecin (21 %) que d’un établissement de santé (15 %). Les médecins, eux, assurent dans leur grande majorité communiquer les dossiers demandés, mais 12 % disent ne pas le faire. D’autres domaines de la loi sont encore bien en friche. Ainsi de la notion de patients experts, méconnue de 59 % des médecins et de 64 % des patients.

Pour une véritable participation

Au-delà des enquêtes, les constats des spécialistes interrogés par Le Monde sont en demi-teinte. « Si le bilan est positif pour les droits individuels, le compte n’y est pas sur les droits collectifs », avertit Alain-Michel Ceretti, président de l’association d’aide aux victimes d’accidents médicaux Le Lien, ancien président de France Assos Santé. Certes, les usagers sont théoriquement représentés dans toutes les instances sanitaires (hôpitaux, agences…), mais le taux de vacance des mandats des quelque 20 000 représentants est d’environ 20 %, selon le ministère de la santé.

En outre, « les usagers ne sont pas forcément les bienvenus dans de nombreuses structures, notamment hospitalières, souligne Alain-Michel Ceretti. Beaucoup d’entre nous – tous bénévoles  sont invisibles. Dans les faits, les patients ne sont que rarement associés aux décisions, qui restent encore prises par les directions. » Une analyse partagée par de nombreuses associations.

Pour Gérard Raymond, actuel président de FAS, « nous sommes à un tournant de la démocratie en santé, il faut passer de la représentation à la véritable participation ». Cela implique, selon lui, le développement de formations pour les représentants d’usagers, et plus de reconnaissance, y compris financière. « Nous ne pouvons plus continuer à faire du bénévolat comme on l’a fait jusqu’à présent », plaide-t-il.

Sur le terrain, la démocratie en santé est inégalement appliquée selon les régions et les établissements. « Il importe aussi d’avoir des relais dans le médicosocial, les soins de ville, à domicile… qui n’existent pas aujourd’hui », ajoute Emmanuel Rusch, président de la Conférence nationale de santé (CNS). Cette instance, créée en 1996 et rattachée au ministre de la santé, doit rendre un rapport sur le bilan de la loi de 2002 et l’évolution de la démocratie en santé courant avril. « Beaucoup de droits fondamentaux ne sont pas respectés aujourd’hui, notamment dans le domaine médicosocial, concernant la dignité de la personne humaine », poursuit le président de la CNS. Selon lui, « il y a urgence à renforcer l’autonomie des instances de démocratie en santé (conseils territoriaux de santé, conférences régionales, nationales…), à les conforter, en augmentant leurs moyens, et à créer un observatoire de la démocratie en santé ».

Le cas de la santé mentale

Le domaine de la santé mentale – premier poste de dépenses de l’Assurance-maladie, devant le cancer ou les maladies cardiovasculaires – est emblématique des difficultés. Les droits des patients sont trop peu respectés, estime, moult exemples à l’appui, le collectif Schizophrénies. Ainsi du droit à l’information : les principaux intéressés ne sont pas systématiquement informés de leur diagnostic ou peuvent l’être avec beaucoup de retard, et ils n’ont que rarement des explications sur les traitements et leurs effets indésirables, a décrit cette association, auditionnée par la Conférence nationale de santé dans le cadre de son rapport. Le droit des familles est lui aussi peu appliqué, et elles ne sont pas considérées comme partenaires de soins. Autres entorses aux droits élémentaires : le port du pyjama est trop souvent imposé dans les hôpitaux, et la désignation d’une personne de confiance, pourtant inscrite dans la loi, rarement proposée. Plus inquiétant encore, les pratiques dites de dernier recours comme l’isolement et la contention sont en forte hausse ces dernières années, insiste le collectif Schizophrénies.

La démocratie sanitaire est loin de s’exercer pleinement et partout en psychiatrie, jugent aussi ces représentants de patients et familles. Les pairs-aidants sont par exemple encore peu nombreux. « Le plus grand frein, c’est la stigmatisation des maladies psychiques, pointe Bénédicte Chenu, secrétaire générale du collectif. Encore trop souvent, en psychiatrie, les soignants ont tendance à penser que la parole du patient est peu fiable, et celle des parents hystérique. »

Très actif dans la lutte contre la stigmatisation des maladies mentales, et fervent promoteur de l’autonomisation de ces patients, le jeune psychiatre Nicolas Rainteau rappelle, de son côté, que les psychiatres sont la seule catégorie de médecins amenée à décider d’hospitalisations ou de soins sans le consentement du patient. « C’est un outil de soins qui biaise les relations », estime ce responsable du Centre de rétablissement et de réhabilitation (C2R) Jean-Minvielle à Montpellier, une structure innovante d’accompagnement de jeunes avec une schizophrénie

Autre question délicate, selon lui, le respect des droits des patients lorsqu’ils sont hospitalisés dans une situation de crise. « Par exemple, sur le fait de leur laisser ou non leur téléphone portable, il n’y a pas de règles, et les pratiques varient selon les endroits, cite le docteur Rainteau. De manière générale, je pense que l’interdiction doit être l’exception, en étant motivée et sur un temps limité. Mais il faut aussi peser les risques : que se passe-t-il si un patient autorisé à garder son portable en filme d’autres et met la vidéo sur les réseaux sociaux ? » Quid du recours à la contention et à l’isolement, pointée du doigt par les associations ? « Mettre d’un côté les mauvais psychiatres qui y auraient recours et les bons qui n’en feraient pas, c’est caricatural, poursuit Nicolas Rainteau. En fait, il y a peu de dialogues entre nous sur ces sujets à fort impact émotionnel. Il serait pourtant préférable que ce soit les médecins de terrain qui s’en emparent pour trouver le juste milieu, plutôt que de se faire imposer des règlements déconnectés de la réalité. »

Autre sujet récurrent : jusqu’où respecter les choix de ces patients, y compris celui d’un refus de soins ? « Les médecins pensent qu’il est de leur devoir de protéger, mais protéger à l’extrême, c’est aussi ne pas donner l’opportunité aux personnes de faire des expériences, d’acquérir des compétences », regrette le docteur Rainteau. Selon lui, cette question du droit des malades et de leurs limites se heurte cependant aux injonctions paradoxales de la société. « D’un côté, on nous demande de faire de la réhabilitation pour remettre les patients dans la société, et en même temps, on nous incite à leshospitaliser longtemps, pour minimiser les risques de rechute, d’événement violent. »

En psychiatrie comme ailleurs, l’application des droits individuels des patients et l’exercice de la démocratie sanitaire restent un défi, et un chantier en cours.


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