par Pierre Savignat, Directeur d’hôpital honoraire, ancien directeur d’Ehpad
Périodiquement des situations scandaleuses au sein des Ehpad se trouvent sous les projecteurs. Les réactions s’enchaînent, de nouveaux contrôles sont diligentés. Des mesures seront sans doute prises pour apporter quelques améliorations sur la qualité de service, les droits des résidents, peut-être même quelques légères augmentations de postes ici ou là. Même à la marge, elles seront utiles et nécessaires. Et ensuite…
Il n’est plus possible de se limiter à gérer périodiquement des symptômes sans s’interroger sur ce que révèle et produit le fait de rassembler dans une même structure plusieurs dizaines de personnes âgées dites dépendantes. Les rapports s’entassent, les commissions se succèdent, les projets de loi s’évaporent.
L’entrée en Ehpad n’est pas réellement un choix, ni des personnes ni des familles. Elle apparaît très souvent comme la solution, faute d’alternative (habitat inadapté, isolement, offre d’aide à domicile lacunaire, etc.). La rupture est énorme. Les personnes, des femmes en majorité, se retrouvent confrontées aux contraintes de la vie en collectivité, forcées à s’adapter à un espace privé pour le moins limité, à cohabiter avec des personnes non choisies, avec des relations sociales et familiales de fait réduites. Les principes de consentement, de liberté d’aller et venir, de respect des choix de vie sont pour le moins largement édulcorés dans leur application.
C’est ce système qui est en cause
A cela s’ajoute à la fois un coût de plus en plus prohibitif pour les personnes et leurs familles (un reste à charge rarement inférieur à 2 000 euros par mois) et des moyens humains qui sont très en dessous de ce qui serait nécessaire. Aujourd’hui encore, par manque de personnel, un rythme hebdomadaire pour les douches est jugé comme satisfaisant, les temps consacrés au lever, aux repas, à la mobilité sont contraints, l’on multiplie les repas mixés car c’est plus rapide, etc. Le tout au détriment de l’autonomie et de la dignité des personnes.
Si les Ehpad tiennent, c’est par la conjonction de plusieurs facteurs : le dévouement et l’implication des personnels, souvent jusqu’à l’épuisement ; des personnes âgées qui n’osent se plaindre, qui trop souvent se résignent ; des familles qui voient ces problèmes mais qui ne disent rien faute de solutions alternatives.
Personne n’est satisfait de cette situation, ni les résidents et leurs proches, ni les personnels, ni l’opinion publique. Alors, sans excuser des actes de maltraitance inadmissibles, il faut comprendre que c’est ce système institutionnel qui est en cause.
Certes, les propositions d’évolution font florès : Ehpad du futur, de demain, Ehpad plateforme, Ehpad à domicile, etc. Mais tout cela tourne autour du maintien (voire pour certains du développement) du modèle de l’Ehpad sans le questionner. Or, l’on doit envisager d’en sortir pour aller vers des politiques congruentes avec les souhaits de l’écrasante majorité des plus de 60 ans.
De plus, il est difficile de croire que l’on financera à la fois une réduction significative du reste à charge en Ehpad, une augmentation conséquente des emplois dans ces structures et une politique volontariste de déploiement de dispositifs permettant un maintien à domicile suffisant, équitablement répartis sur le territoire et de qualité. Des choix s’imposent.
Comment permettre le maintien au domicile ?
Pour cela, il faut, en premier lieu, arrêter de construire et d’ouvrir des Ehpad comme l’a préconisé, en 2021, le rapport des sénateurs Michèle Meunier et Bernard Bonne (1). Ensuite, envisager et préparer leur fermeture, pas demain bien sûr, mais à un horizon de cinq à dix ans. Dès lors, la question n’est plus de savoir comment transformer les Ehpad mais comment permettre le maintien au domicile, dans la cité, opérant ainsi une réorientation complète des politiques publiques du vieillissement vers une véritable inclusion sociale. Ceci permettrait une réaffectation progressive des dotations budgétaires et un fléchage pertinent de moyens supplémentaires.
Toutes les solutions pourront être envisagées, de l’adaptation du logement et de l’urbanisme à de petites unités à caractère familial, en passant par les projets citoyens, des coopératives d’habitants, etc. Bien entendu, cela implique un développement conséquent d’une offre professionnelle d’aide à domicile diversifiée, aisément accessible, permettant des réponses graduées et adaptées (services d’aide à la vie quotidienne ; hospitalisation à domicile ; ensemble d’équipes mobiles gériatriques, de soins palliatifs, etc.). Les aides, les règlements, les normes devront aussi être repensées dans ce cadre, simplifiées, pour favoriser les initiatives de toute sorte.
Il est plus que temps d’ouvrir ce débat sur le fond, en mettant l’ensemble des données sur la table et en y associant largement les citoyens.
(1) «Bien vieillir chez soi», rapport d’information de Bernard Bonne et Michelle Meunier, Sénat, commission des affaires sociales, numéro 453, 17 mars 2021.
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