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vendredi 4 février 2022

Education à la sexualité : l’école pudique

par Marlène Thomas  publié le 2 février 2022 à

Une enquête du collectif #NousToutes que dévoile «Libération» montre que la loi de 2001, prévoyant trois séances annuelles d’éducation à la sexualité du CP à la terminale, est loin d’être appliquée.

«Au lycée, je n’ai pas du tout eu de cours d’éducation sexuelle. Sur tout le collège, il y a dû y avoir trente minutes en tout où on en a parlé.» En primaire rien de plus à signaler, déplore un élu du Conseil de la vie lycéenne du bassin Nord-Paris. Bien loin des trois séances annuelles du CP à la terminale imposées par la loi Aubry de 2001. Conviés au lycée Jean-Drouant à Paris le 23 novembre à l’occasion d’un déplacement ministériel sur l’«application et le contenu des séances d’éducation à la sexualité», les lycéens ont confronté avec aplomb Elisabeth Moreno, ministre chargée de l’Egalité, Sarah El Haïry, secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance. Derrière l’imposant mur de briques rouges de cette école hôtelière, les constats fusent et se ressemblent. «Ça n’intéresse pas vraiment les profs», juge l’un. «C’est toujours très bref» et «tabou», renchérit une autre. Un camarade se souvient d’interventions en primaire qui partaient en «fou rire» et du vide depuis la cinquième. A quelques fauteuils de là, une ado fait état de plusieurs venues d’intervenants extérieurs au collège : «Je me rends compte que j’ai eu de la chance.» Semblant ignorer les multiples alertes de ces dernières années, Elisabeth Moreno lance : «Les bras m’en tombent un peu, on aurait aimé entendre que vous aviez eu de super cours.»

Dévoilée par Libérationune enquête du collectif féministe #NousToutes (1) auprès de plus de 10 900 personnes ayant effectué au moins une année au collège ou au lycée depuis 2001, enfonce le clou. Les répondants n’ont eu en moyenne que 2,7 séances d’éducation à la vie sexuelle et affective, soit à peine 13% des 21 séances qu’ils auraient dû avoir. «Ce qui est inquiétant, appuie Sophie Barre, membre du collectif et professeure d’anglais jusqu’en 2020, c’est qu’en analysant les résultats sur les dix dernières années, il n’y a pas eu d’évolution. Les gens âgés de 28 ans aujourd’hui ont eu en moyenne 3,9 séances, tandis que ceux âgés de 18 ans en ont eu 4.»Ces précieuses heures sont majoritairement dispensées au collège (55,3% de cas) par des enseignants de Sciences et vie de la Terre ou un intervenant extérieur. Le rapport de l’inspection générale de l’éducation, censé dresser un bilan, serait bloqué «dans les tuyaux»depuis juin, selon l’Education nationale, qui avance que 88% des établissements mettaient en place des actions de sensibilisation à la sexualité en 2018.

Mépris de la loi

Ce mépris de la législation avait été dénoncé en 2016 par un rapport du Haut Conseil à l’égalité : 4% des collèges et 11,3% des lycées n’avaient mis en place aucune séance, pointait le rapport. Malgré la publication d’une circulaire ministérielle de rappel en 2018, les comptes ne sont pas bons. Au sein de l’académie de Paris par exemple, moins de 20% des élèves du secondaire suivent une séance d’éducation sexuelle chaque année. Grégory Prémon, directeur académique adjoint, présent au déplacement du 23 novembre, salue malgré tout «une sensibilisation assez forte avec plus de 30 000 élèves concernés». Se félicitant d’une «dynamique positive» et d’une «libération de la parole sur un sujet encore très tabou il y a dix ans», il entend «encore progresser». En plus de catalyser panique morale et crispations identitaires – difficile d’oublier les fugaces ABCD de l’égalité sous François Hollande – les séances d’éducation à la sexualité semblent jouir d’un statut à part, les rendant facultatifs. «On ne respecte pas la loi que quand ça nous paraît possible ou que quand ça nous arrange !» tonne Sophie Barre.

Le contenu même de ces séances – réclamées par des élèves dont la conscience des enjeux d’égalité et de genre est de plus en plus aiguisée – ne comble pas les attentes. «C’est vraiment concentré sur un aspect biologique, scientifique. En réalité, on va pas se questionner sur comment fonctionne les hormones pendant un rapport sexuel», lance une élève à l’adresse des ministres. Un constat rejoignant celui de #NousToutes qui relève que la majorité des thèmes abordés sont en réalité inscrits au programme de SVTsoit «la reproduction, la contraception, les maladies et les organes génitaux», déroule Sophie Barre. Les démarches sont pourtant censées être complémentaires : d’un côté une vision factuelle, d’acquisition de connaissances, en cours de SVT, et de l’autre, «l’idée de réflexion, d’échange avec les élèves en partant de leurs expériences», explique la militante.

La circulaire de 2018 l’inscrit noir sur blanc : les séances doivent, certes, couvrir le champ biologique mais aussi psycho-émotionnel (respect du corps, orientation sexuelle, identité de genre etc.) et juridique (consentement, violences sexistes et sexuelles, droits des enfants…). La quasi totalité des répondants ont abordé le premier, ce qui explique que 51,4% se sentent prêts à gérer les «aspects pratiques d’une relation sexuelle». Quant aux domaines, psycho-émotionnel et juridique, ils n’ont été vus que par environ la moitié des interrogés. Le quantitatif et le qualitatif se recoupent ici : difficile d’aborder une telle variété de sujets en seulement deux à trois interventions en sept ans. En conséquence, une large majorité des répondants estime qu’elles ne remplissent pas les objectifs inscrits dans les textes officiels de «présenter une vision égalitaire» des relations (65,9% en désaccord), «favoriser le respect de soi et autrui et l’acceptation des différences» (72,5%) ou de «combattre les préjugés sexistes et homophobes» (85,1%).

«Pouvoir transformateur»

Conçues comme un outil d’émancipation pour les élèves, ces séances sont pourtant un véritable levier de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. «La petite fraction de personnes qui en ont eu par exemple plus de dix durant leur scolarité avec des intervenants variés et sur des thèmes divers ont clairement vu un impact plus positif», relève Sophie Barre en insistant sur leur«pouvoir transformateur». Un exemple ? Avoir abordé la notion de consentement lors d’au moins une intervention «fait passer de 15 à 82% la part des personnes déclarant qu’elles connaissent sa définition et veilleront à le faire respecter dans leurs futures relations». Même conclusion sur le sujet des violences sexuelles, qui fait «passer de 11 à 50% la part des répondantes et répondants se disant capables de repérer une situation de violence».

Mis face à l’insuffisance du dispositif en vigueur par les lycéens, le secrétaire d’Etat Adrien Taquet avait annoncé lors du déplacement de novembre aux jeunes représentants l’arrivée prochaine de nouveaux vadémécums à destination des académies. Du réchauffé puisque des guides à destination des personnels ont déjà été élaborés en 2017 puis en 2019. Deuxième annonce : une labellisation des associations pouvant intervenir dans ce cadre… Alors que des agréments pour intervenir dans l’éducation nationale existent déjà. «C’est réinventer quelque chose qui existe déjà !»martelait en novembre le Planning familial, convié au lycée Drouant. La secrétaire d’Etat Sarah El Haïry défendait tout de même le bilan gouvernemental : «On met de nouveaux outils à disposition, on a renforcé le module de formation [à l’égalité, ndlr] pour les enseignants, c’est plus de 18 heures en formation initiale.»

Des efforts encore insuffisants. Au manque de volonté politique s’entremêle toujours la question des moyens. «On ne répond pas à toutes les demandes qu’il y a en France, on n’a ni les moyens ni les personnes. On ne peut pas combler tous les manques de l’Education nationale», appuie le Planning familial, qui confirme le tableau dépeint par les lycéens. Du côté des infirmières scolaires, également sollicitées, même goulot d’étranglement. «Il y a un manque cruel de personnel formé et disponible pour nous aider. On doit être en binôme mais il arrive que les infirmières interviennent seules», constate Gwenaëlle Durand, secrétaire générale du Snies-Unsa, qui insiste sur la nécessité d’une mise à niveau régulière. De l’argent pourtant il y en avait : #NousToutes rappelle que Jean-Michel Blanquer s’est vanté d’avoir rendu en décembre 75 millions d’euros à Bercy de crédits non dépensés.

«Ça peut faire peur»

Au lycée Marguerite-de-Flandre à Gondecourt (Nord), la mobilisation d’une équipe de six personnes, formée en 2018 par l’académie, permet d’assurer une séance annuelle à toutes les classes de seconde. Nombre d’heures de cours très élevés, programmes surchargés… malgré la bonne volonté, difficile d’envisager plus. «Il faut trouver les créneaux horaires, soit 120 heures à placer pour quinze classes, mais aussi des collègues volontaires qui y croient et ont envie de s’investir», note le proviseur Christophe Courdent, en ajoutant : «C’est accepter de faire des heures en dehors de leur discipline, d’être mis en porte à faux par des élèves. Il n’y a pas de réponse toute faite sur les questions d’intimité. Ça peut faire peur.» Sophie Barre a exercé au sein de quatre lycées en dix ans et n’a, elle, jamais vu la tenue d’une seule intervention sur ce sujet. «Il y a un déficit en termes de priorité», regrette-t-elle. Cette difficulté à faire entrer le champ de la vie sexuelle et affective à l’école est symptomatique d’une vision très académique de l’éducation. «En France, dans les établissements, il n’y a que l’enseignement, contrairement à d’autres pays comme le Royaume-Uni. L’éducation à la sexualité c’est de l’humain, des rapports sociaux», analyse-t-elle en relevant aussi des «réticences d’ordre conservatrices», qu’elles soient religieuses ou non, auxquelles la salle des profs, comme le reste de la société, n’échappe pas. Une certaine frilosité peut aussi être constatée chez certains parents qui craignent une forme de «corruption» de leurs enfants, particulièrement en primaire, et peuvent estimer que ces sujets ne relèvent pas de la responsabilité de l’école.

Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale, pointe surtout une multiplication des priorités intenables au vu des ressources disponibles : «Il faudrait faire quelque chose autour de l’éducation à la sexualité, du harcèlement, de la laïcité, des conduites à risques, ça ne s’arrête jamais.» L’annonce par le Premier ministre de l’organisation d’une semaine de l’égalité dans les établissements autour du 8 mars est, pour lui, du même ordre. Parlant d’une «foire aux référents et semaines à thème», il enjoint : «Mettons ça clairement dans les programmes disciplinaires.» Une manière de rendre son application vérifiable, tout en maintenant des interventions extérieures. Une fausse bonne idée ? «Ce qui est enseigné est évalué, considéré comme une discipline avec des connaissances à acquérir, pour moi c’est antinomique [avec l’éducation à la sexualité]. Pour que les élèves se sentent libres de s’exprimer, il faut que ça soit en dehors des programmes», estime Sophie Barre. L’urgence est plutôt de sanctuariser des moments dédiés. A Gondecourt, milieu semi-rural où les élèves sont tributaires du ballet des bus, instituer une «plage horaire pour les projets de ce type dans l’emploi du temps» serait une piste à creuser pour le proviseur.

Appelant à enfin prendre le fléau des violences et inégalités à la racine, #NousToutes lance une pétition pour réclamer l’application de la loi. Vingt ans après et trois présidents plus tard, cet enjeu constelle déjà le programme de plusieurs candidats de gauche. Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon s’engagent notamment à renforcer leur application tandis que Christiane Taubira entend mettre en place au collège une «éducation sexuelle au consentement», qui aboutirait à «un brevet de la non-violence».

(1) L’enquête a été lancée le 29 octobre sur les réseaux sociaux pour une durée d’un mois. 10 938 personnes anonymes y ont répondu via un formulaire en ligne.


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