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jeudi 3 février 2022

Education à la sexualité: «Les jeunes ont besoin de discuter avec des adultes prêts à ne pas les juger»

par Marlène Thomas publié le 3 février 2022

Pour la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy, les séances scolaires d’éducation sexuelle complètent les informations trouvées en ligne par les ados.

De TikTok à Instagram en passant par les séries, les informations autour de la sexualité pullulent. Plus ou moins fiables, elles viennent sans aucun doute combler un manque de l’éducation nationale. Preuve d’une information défaillante ? Le succès du tchat gratuit les Pipelettes, tenu par 150 sages-femmes bénévoles auprès des jeunes : 79% des utilisateurs ont moins de 25 ans, dont 27% entre 15 et 17 ans. En tête des thématiques abordées : le suivi gynécologique, la sexualité et la contraception.

Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, co-autrice du livre les Jeunes, la Sexualité et Internet (éd. les Pérégrines), revient sur l’articulation pour les ados entre les séances d’éducation à la sexualité et les ressources en ligne.

Peut-on lier le foisonnement d’infos sur la sexualité sur Internet à un manque de l’éducation nationale ?

Il n’y a pas plus un manque aujourd’hui qu’il y a dix, quinze ou vingt ans mais il y a en revanche la possibilité de produire sur Internet des ressources hyper variées. Qui les produit ? Les institutions publiques, les associations, les influenceurs, les experts. Il va y avoir aussi la production fictionnelle avec les séries parlant d’éducation à la sexualité. On va retrouver de la ressource dans tous les sens et elle s’affiche en tant que telle, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Est-ce que le format des séances d’éducation à la sexualité répond aux besoins des ados ?

Il y a plein de manières de procéder mais la plupart du temps, ces séances sont animées par des associations en partant du questionnement des jeunes. Quand les ados en parlent, ils en évoquent l’importance tout en regrettant qu’elle arrive parfois trop tôt ou trop tard par rapport à leur propre biographie sexuelle.

Un enjeu à lier au fait qu’elles ne sont pas menées comme le prévoit la loi, soit à raison de trois séances par an du CP à la terminale. Cela permettrait une progression. Les ressources en ligne, complémentaires, sont également précieuses pour eux, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre. Pour autant, ressort le besoin de pouvoir discuter avec des adultes, prêts à ne pas les juger mais à écouter quitte à proposer d’autres ressources, sans balayer les leurs d’un revers de main sous prétexte qu’«Internet c’est nul».

La pornographie imprègne-t-elle si dramatiquement leur vision de la sexualité ?

On voit dans l’enquête qu’on a fait avec Arthur Vuattoux combien la pornographie est utilisée de façon différente par les filles et par les garçons à l’adolescence. C’est considéré comme légitime dans l’entrée dans la sexualité des garçons et beaucoup moins pour les filles.

On a aussi constaté combien les contenus, y compris sexistes, véhiculés dans la pornographie s’inscrivent dans un continuum de stéréotypes, qu’on retrouve dans beaucoup d’autres contenus culturels, comme les séries TV. Sur les représentations du corps, par exemple, pas mal de travaux le démontrent, les poils que l’on voyait encore dans les pubs des années 80, notamment dans les catalogues de sous-vêtements, ont totalement disparu. Certes, la pornographie travaille le corps mais comme toute la production publicitaire et médiatique, qui vient participer à la construction des corps considérés comme féminins ou masculins.

Ce qu’on voit aussi dans les discours des jeunes, continuant à l’adolescence à avoir des usages de la pornographie, est un affinement des supports et scénarios des contenus érotiques. Par exemple, l’arrivée du porno féministe, plébiscité par une fraction de jeunes plus militantes, davantage des filles, va leur permettre de se retrouver dans d’autres schémas que ceux proposés par la sexualité mainstream.

C’est aussi pour eux un espace de représentation des corps qui existe peu par ailleurs, excepté sous forme de dessins. Certains pointent tout de même l’influence du porno sur la représentation de la sexualité des plus jeunes. D’autres ont aussi été marquées dans leurs premières expériences par des partenaires cherchant à reproduire des scènes.

Comment les pratiques en ligne relèvent des constructions de genre sur la sexualité ? Quelles analogies avec les interrogations soulevées lors des séances ?

Sur Internet comme lors des séances, les rapports de genre s’expriment autour de la procréation et de la contraception. En ligne, les filles vont davantage s’informer que les garçons sur la contraception puisque c’est sur elles que va peser la responsabilité contraceptive. C’est la même chose dans les séances, y compris chez les intervenantes qui vont féminiser le discours sur la contraception. Dans les questions, les filles vont se considérer comme les seules concernées.

Sur Internet, ce qu’on voit et qu’on remarque moins dans les séances, c’est tout ce qui a trait à l’orientation sexuelle et aux identités de genre. On peut se tester, se questionner. Les mots ne sont pas évidents à poser dans le cadre d’une classe, quand ils peuvent faire l’objet de violences derrière. En ligne, c’est possible. Ça va participer à l’ordre de genre, à la société hétéro sexiste dans laquelle les jeunes grandissent.


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