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vendredi 4 février 2022

Maltraitance des personnes âgées : gare aux simplifications abusives!

par Damien Collard, Maître de conférences à l’université de Franche-Comté

publié le 2 février 2022

Non, il n’y a pas par principe un secteur privé lucratif «maltraitant» et un secteur public «vertueux». Pour conjurer les mauvais traitements dans les Ehpad, il faut consolider les équipes existantes et encourager le partage de pratiques entre soignants.
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La sortie du livre les Fossoyeurs du journalise Victor Castanet – qui pointe les dérives d’un grand groupe privé gérant plus de 200 Ehpad en France – a suscité une véritable onde de choc au sein de la classe politique. Non seulement parce qu’il dénonce des dysfonctionnements qui alimentent la maltraitance envers les résidents, mais aussi parce qu’il pointe les défaillances des autorités de tutelle.

Ce dossier est explosif pour le pouvoir en place, qui plus est en pleine campagne présentielle. Quant aux candidats à l’Elysée, ils se devaient de réagir au plus vite. S’en est suivi un afflux de propositions. Certaines sont radicales : interdiction des Ehpad privés lucratifs et mise en place d’un ratio d’encadrement de 0,6 (six soignants pour dix résidents) pour La France insoumise (LFI), création de 300 000 emplois dans les Ehpad et mise en œuvre d’un ratio d’encadrement de 1 (un soignant pour un résident) pour le Parti communiste français, «arrêt de toute création de places en Ehpad privé» pour le candidat du pôle écologiste.

Améliorer la qualité ?

D’autres sont plus modérées, mais aussi plus vagues : «Une présence humaine plus importante dans les Ehpad» pour la candidate du Parti socialiste, ou encore la publication d’un «référentiel obligatoire» dans les Ehpad afin d’améliorer à la fois la qualité de vie et la qualité des soins pour la candidate Les Républicains. Toutes ces propositions méritent d’être débattues. Néanmoins, l’annonce de mesures chocs et le volontarisme politique ne suffiront pas à prévenir la maltraitance, d’autant que le sujet est complexe. Il faut donc se garder de toute simplification abusive.

Prenons quelques-unes de ces mesures et passons-les à l’épreuve du réel pour comprendre où sont les véritables problèmes. Interdire les Ehpad privés lucratifs (et même arrêter de créer des places supplémentaires dans ces établissements) est à court terme impossible, d’autant plus qu’il existe une demande. Cela n’empêche pas pour autant de réfléchir à la régulation du secteur privé lucratif et aux mécanismes de contrôle à déployer afin de prévenir les dysfonctionnements susceptibles de générer des actes de maltraitance.

Revaloriser les carrières et les métiers

Créer des emplois dans les Ehpad et instaurer un ratio d’encadrement pour renforcer la présence humaine auprès des résidents sont des objectifs, certes, louables, mais comment susciter des vocations de soignants dans un contexte de fortes tensions sur les ressources humaines ? Cela passe nécessairement par un plan ambitieux de revalorisation des carrières et des métiers – à l’instar de ce que proposent certains candidats à l’Elysée – pour attirer de nouvelles candidatures, mais aussi fidéliser les personnels en poste. Indéniablement, cette piste est intéressante. Mais comment financer toutes ces mesures, par quels mécanismes et selon quelles modalités ? Là-dessus, les candidats sont peu diserts.

Enfin, imposer dans tous les Ehpad un «référentiel obligatoire» n’est pas la solution. En effet, croire que l’on peut traiter un sujet aussi complexe en édictant des normes de qualité est une erreur. Si fixer des standards sur les aspects purement matériels du service (en instaurant une surface minimale par chambre) peut avoir un intérêt, il n’en va pas de même en matière de qualité des soins.

Et, s’il en est ainsi, c’est tout simplement parce que la qualité des soins ne dépend pas vraiment de la présence de normes de qualité. Ces dernières s’incarnent souvent dans des procédures, des check-lists, des guides de «bonnes pratiques», des chartes de la «bientraitance». Autant de mots creux ! Autant de «process» souvent inapplicables parce que fondés sur des représentations erronées des situations de travail que doivent affronter les soignants.

Alors que faire concrètement pour conjurer la maltraitance dans les Ehpad ? Tout d’abord, faire fi des oppositions factices entre privé et public. Il n’y a pas par principe un secteur privé lucratif «maltraitant» et un secteur public «vertueux». Par ailleurs, au sein d’une même structure peuvent cohabiter des pratiques qui participent à la qualité des soins et d’autres qui nourrissent la maltraitance.

Ensuite, consolider les équipes existantes et conforter l’esprit d’équipe, avant tout parce que la coopération et la convivialité dans les relations de travail sont de puissants antidotes à l’expression de la violence. Pour ce faire, il convient de stabiliser les effectifs et de fidéliser le personnel, en privilégiant les contrats à durée indéterminée. Enfin, encourager le partage de pratiques entre soignants et stimuler les retours réflexifs sur les situations de travail.

Non pas pour fabriquer des consensus fictifs via la diffusion des «bonnes pratiques», mais pour croiser les points de vue et encourager les débats entre professionnels. C’est une condition sine qua non pour faire émerger des accords et des règles entre soignants afin d’améliorer la qualité des soins dispensés auprès des personnes âgées. Telles sont les mesures à prendre afin de prévenir les actes de maltraitance dans les structures gériatriques.

Damien Collard est l’auteur de Gériatrie : carrefour des souffrances, L’Harmattan, 2021.


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