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mardi 1 février 2022

Jean-Claude Marian, fondateur d’Orpea, le business de l’âge jusqu’au milliard

par Laurent Léger

publié le 1er février 2022
L’homme d’affaires de 82 ans, secondé par son fidèle directeur général aujourd’hui limogé, a construit une immense fortune grâce aux profits réalisés dans ses maisons de retraite.

Economies drastiques et scandaleuses sur les coûts, rentabilité maximale : la recette des dirigeants d’Orpea décrite dans le livre choc du journaliste Vincent Castanet, les Fossoyeurs (Fayard), offre une plongée abyssale dans ce groupe fort de 1 150 établissements dans le monde, avec ses dérives managériales, ses obsessions de profits et la terrible maltraitance qui, selon l’enquête, en résulte pour nombre de résidents de ses maisons de retraite. Le gouvernement a réagi en saisissant l’autorité régionale de santé et en convoquant mardi son directeur général France. Le directeur général du groupe Yves Le Masne a lui été limogé après vingt-huit ans de maison. Une manière de désavouer le fondateur d’Orpea dont il est particulièrement proche – Le Masne et sa famille possèdent une villa à Bormes-les-Mimosas, au bord de la mer, dans laquelle Jean-Claude Marian a des parts…

A 82 ans, le fondateur d’Orpea assiste à la tempête qui secoue son groupe depuis son immense hôtel particulier de Bruxelles aux murs tapissés de tableaux coûteux – Basquiat, Pollock et d’autres. «Il faut que ça crache» était l’injonction assénée de réunion en réunion, raconte le livre. Et bien, grâce à ces seniors qui ont «craché» chaque mois de très belles sommes pour vivre, ou éventuellement végéter dans ses Ehpad, Jean-Claude Marian est devenu milliardaire. Sollicité par Libération, il n’a pas répondu, ainsi que son avocate.

«Ruée sur l’or gris»

Neuropsychiatre de formation, n’ayant jamais exercé, l’octogénaire avait parmi les premiers reniflé le filon : la financiarisation du secteur des maisons de retraite permettrait d’en tirer de juteux dividendes. «Tout ce qui touchait à la santé de près ou de loin s’envolait, se souvient un ami de Marian. Les investisseurs se sont rués sur l’or gris;» En 1989, il ouvre son premier établissement, crée Orpea et bâtit un leader mondial, introduit en Bourse en 2002. Jusqu’à la parution du livre, ce sont les mots «business model», «retour sur investissements» ou «profitabilité» qui caractérisaient le groupe dans les articles qui lui étaient consacrés.

Les lits des personnes âgées ont permis à Jean-Claude Marian d’engranger des sommes colossales. Fin 2012, il détient 20,16% du capital du groupe (23,09% avec les autres membres de sa famille), des parts qui lui rapportent quelque 7 millions d’euros de dividendes annuels. Un premier tournant se produit en 2013 : en novembre, révèle le livre les Fossoyeurs, la police, qui enquête sur une affaire d’évasion fiscale impliquant un cadre d’Orpea, perquisitionne chez un proche de Marian, dont le boulot discret consiste alors à faire le lien entre le groupe et les élus, afin d’obtenir des autorisations d’ouverture d’établissements.

Marian a-t-il craint que la révélation de l’affaire fasse chuter le cours de bourse, lui occasionnant de sérieuses pertes ? Quelques semaines plus tard, il vend 15,9% de ses parts à un fonds de pension canadien. L’action est à 40,34 euros. Le patron encaisse 321 millions d’euros, sans que l’affaire judiciaire soit révélée – elle le sera dans le livre paru la semaine dernière. Lui qui avait intégré dès 2001 le classement Challenges des fortunes professionnelles, fait en tout cas une entrée fracassante dans la catégorie des super-riches. Bingo : résident belge depuis 2006, il ne paie aucun impôt sur la vente de ses actions, comme le permet ce paradis des rentiers. Accessoirement il n’est plus assujetti à l’ISI (ex-ISF) français depuis son installation sur place.

«Il pèse un bon milliard»

Grâce à ses millions, Marian ne cesse de compléter sa collection d’œuvres d’art. Le voilà nommé au comité consultatif de chez Sotheby’s, la plus ancienne maison d’enchères au monde. Orpea se développe à tour de bras, il vise désormais la Chine. Objectif atteint en 2016. L’action grimpe, Marian prend de la hauteur : en 2017, il lâche les manettes opérationnelles de son groupe et se fait nommer président d’honneur. En mai 2018, un accord de partenariat est signé, sous l’égide de la Caisse des dépôts, avec le fonds souverain russe, le RDIF, afin de développer des opportunités d’investissement en Russie. L’un des conseillers de ce fonds n’est autre qu’un certain Dominique Strauss-Kahn.

Début 2020, le titre est à 111,85 euros. Jean-Claude Marian décide de se débarrasser du solde de ses actions. Il touche un chèque de 456 millions. On est juste avant la pandémie de Covid, avant que les maisons de retraite soient touchées de plein fouet par le virus – Les Fossoyeurs raconte d’ailleurs comment l’intéressé a pris conscience rapidement de l’ampleur de la pandémie à venir.

La seule vente de ses actions a rapporté à Jean-Claude Marian 777 millions d’euros, auxquels il faut rajouter les millions d’euros de dividendes encaissés pendant toutes ces années et les loyers de ses sociétés civiles immobilières auxquels les murs de nombre d’établissements du groupe appartiennent. «Il pèse un bon milliard», analyse un proche. Le médecin neuropsychiatre semble s’être effacé depuis longtemps derrière le financier et l’entrepreneur.

Goût du secret

Bien avant de quitter son groupe, Marian jouait déjà des législations luxembourgeoise et belge pour y installer ses sociétés, prenant des participations ici, réalisant là des montages sophistiqués. Dès 2007, il crée en Belgique une société financière, Loba Holding. En 2011, ce sont deux autres qui voient le jour au Luxembourg, Hésione et Hésione Investissement, détentrices de certaines de ses sociétés en France. Mais l’un de ses amis admire néanmoins l’homme qui, il y a des années, frôlant «la liquidation personnelle» selon lui, a réussi à remonter la pente jusqu’à se retrouver milliardaire.

Fait rare, notre homme a abandonné la nationalité française pour adopter la belge. Pourquoi ? Mystère. Questionné dans une rare intervention télévisée en Belgique, sur LN24, en mai 2021, il confirme mais botte en touche : «La Belgique est un pays extraordinairement accueillant, on a trouvé un accueil tout à fait gentil, on a eu envie de rester», assure sans rire ce personnage réputé pour son goût du secret. Mais pour une de ses connaissances à Bruxelles, Jean-Claude Marian pourrait préparer son déménagement à Monaco, comme auparavant Johnny Hallyday.

«Le seul moyen pour cela c’est de devenir belge après dix ans de résidence à Bruxelles, puis de renoncer à la nationalité française avant de s’installer sur le Rocher, estime cette source. Après cela, zéro impôt et zéro droit de succession.» En effet, stipule la règle locale, tout résident monégasque qui détiendra des biens à la fois à Monaco et dans différents Etats de l’Union européenne aura sa succession soumise à une loi unique, celle de la principauté, qui applique zéro droit de succession entre parents et enfants ou conjoints.

«Peu probable», tempère son ami en réponse à Libé sans toutefois élucider le mystère. Reconverti dans la promotion immobilière en Belgique, Jean-Claude Marian a racheté l’année dernière une pâtisserie belge, célèbre depuis sa création en 1910, Wittamer. Les personnes âgées, les immeubles, les gâteaux : ainsi va la spéculation.


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