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mardi 2 novembre 2021

Témoignages Donneurs de spermatozoïdes : «C’est un don de cellules, je ne donne pas la paternité»

par Marlène Thomas  publié le 1er novembre 2021

Un mois après l’entrée en vigueur de la loi dite «PMA pour toutes» et alors qu’une campagne nationale d’appel aux dons a été lancée, quatre hommes témoignent de leur démarche auprès de «Libération».


Arnaud, 38 ans : «Je donne mon sang, pourquoi pas mes spermatozoïdes ?»

Il nous reçoit par une journée ensoleillée dans sa maison de Carrières-sous-Poissy dans les Yvelines. Geek assumé, ce chargé d’études médias de 38 ans a terminé son don de spermatozoïdes cette année, un processus entamé il y a trois ans, retardé notamment par la crise sanitaire. Le déclic est venu de son travail pour l’Agence de biomédecine, pour qui il a étudié pas moins de 2 000 articles en cinq ans sur le don de gamètes. Alors que son chat Glados gravite autour de la table, il détaille : «Je connaissais les tenants et les aboutissants, ça m’a permis de me dire : “Je donne mon sang, pourquoi pas mes spermatozoïdes ?”» Père de deux enfants, âgés de 6 ans et 15 mois, ce Franco-Italien a pris cette décision en concertation avec sa compagne. «Elle voulait donner ses ovocytes aussi, on a le même âge mais la limite étant plus basse pour les femmes, elle n’a pas pu.» Un sujet qu’il a aussi abordé avec son aînée il y a deux ans. «Je lui ai dit tout bêtement : “Papa a donné ses graines pour que d’autres puissent être parents”. Elle était petite, je ne suis pas sûre qu’elle ait tout imprimé.»

Entre deux gorgées de thé, il insiste : «C’est un don de cellules, je ne donne pas la paternité. Je suis biologiquement la personne ayant permis à une femme seule ou à un couple de devenir parents, ça s’arrête là.» Dans cette optique, Arnaud est «radicalement contre» la levée de l’anonymat prévue par la loi de bioéthique. «Les parents, ce sont ceux qui élèvent culturellement et socialement leurs enfants.» La perspective de la destruction des stocks de gamètes anonymes, à une date encore indéterminée, s’ils ne sont pas utilisés, lui paraît «scandaleuse alors qu’on en manque».

Pour ses quatre séances de recueils, sans compter les autres rendez-vous médicaux, le Francilien a multiplié les allers-retours jusqu’à l’hôpital Cochin à Paris. Le Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) le plus proche de chez lui, à Poissy, ne reçoit que les ovocytes. Hormis ces déplacements, la procédure est simple. «Pour les hommes, c’est de la masturbation, appelons un chat un chat. On se met tout seul dans une petite cabine, il y a un DVD assez pourri fourni gracieusement par l’hôpital, on fait sa petite affaire dans un petit flacon, ce qui n’est pas très commode. On met ça dans un coffre, c’est récupéré de l’autre côté et merci au revoir.» Arnaud n’a pas hésité à prêcher la bonne parole autour de lui, sans que pour l’heure d’autres proches ne passent le cap du don.

Raphaël, 42 ans : «C’est très bien de pouvoir parler aux enfants de la manière dont ils ont été conçus»

Ce Stéphanois, installé depuis une dizaine d’années à Charroux dans l’Allier, a passé le cap du don de gamètes en 2018. C’est par une campagne diffusée à la radio que cet agent de restauration en milieu hospitalier et éleveur canin prend conscience de cette possibilité. Sa motivation profonde est toutefois bien plus intime.«Avec mon ex-épouse, nous n’arrivions pas à avoir d’enfants. Je me suis dit : “Pourquoi ne pas essayer de faire ce don, pour aider d’autres couples en difficulté ?”» Raphaël avait divorcé quand il a pris sa décision, mais ­celui qui se définit désormais comme homosexuel en a discuté avec son compagnon de l’époque. «C’était important pour moi qu’il soit au courant, il n’y a pas besoin de se cacher. Mes proches m’ont dit que c’était bien de faire ce geste.» Le quadragénaire, qui n’a jamais entamé d’autres démarches similaires telles que le don du sang, assimile son acte à un «don de paternité» et salue l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes.

Le processus de recueil de gamètes, réalisé à Clermont-Ferrand, s’est étalé sur quatre rendez-vous. «Ça devait se faire en trois fois mais la première fois je n’y suis pas arrivé, j’ai eu un blocage. C’est très particulier.» En six mois, le don était bouclé. Alors que la démarche prévoit une autoconservation d’une partie des gamètes, Raphaël a préféré qu’ils soient attribués à d’autres. Complètement en accord avec le droit d’accès aux origines ouvert par la loi bioéthique, il pourrait envisager de refaire un don. «Je trouve très bien que les parents puissent parler aux enfants de la manière dont ils ont été conçus, de savoir d’où ils viennent par rapport au don de spermatozoïdes ou d’ovocytes.» L’agent de restauration est prêt à répondre à toutes les questions éventuelles que pourrait se poser un enfant conçu grâce à son don. «Pour moi, c’est un cadeau d’offrir la vie à un être humain et c’est un plaisir de savoir que des personnes ne pouvant pas avoir d’enfants puissent devenir parents.» Reste pour lui cette frustration de l’inconnu : «ne pas pouvoir connaître les couples à qui on donne» et surtout «ne pas savoir s’ils ont pu avoir un enfant grâce à ce don».

Alan, 49 ans : «Ça m’a semblé naturel, c’est une sorte d’échange»

Se placer dans «la posture du donneur a été assez simple» pour Alan. Agé de 49 ans, cet architecte, installé à Libourne (Gironde), a donné des spermatozoïdes à Bordeaux il y a quatre ans. «Ma compagne et moi avons été confrontés à la difficulté d’avoir des enfants, nous avons dû faire appel à un don d’ovocytes.» Une procédure de six ans ayant permis la naissance, il y a deux ans et demi, de jumeaux. Conscient de la pénurie de donneuses – le couple a attendu plus de deux ans pour recevoir son premier don –, ce Breton d’origine a également été sensibilisé durant ce parcours au manque de donneurs«Un médecin m’a demandé si je souhaitais l’être. Ça m’a semblé naturel, c’est une sorte d’échange. D’un côté, j’attendais de recevoir, et de l’autre il me semblait assez juste de donner comme j’étais en capacité de le faire.» Cet acte de solidarité se rapproche davantage pour lui d’un don d’organes «bien que le processus soit moins lourd médicalement mais peut-être davantage psychologiquement». Donneur de sang «pas très régulier», il lit dans ce geste «un acte moins anodin. Je transmets un patrimoine génétique à des êtres vivants qui ne l’ont pas forcément demandé.» Alors que «savoir qui on est, d’où on vient est déjà assez compliqué à gérer pour tout le monde», cet aspect – auquel ses enfants seront aussi confrontés – est selon lui «plus difficile à appréhender».

Si Alan ne pense pas tous les jours au devenir de son don, une inquiétude persiste, celle de voir débarquer, un jour, à sa porte une personne «à la recherche de son père». Assez mal à l’aise quant au droit d’accès aux origines, il envisage de refuser la levée d’anonymat mais se laisse encore le temps de la réflexion. Dans ce cas, ces gamètes seront détruits. Pour lui, les choses sont claires.«Je ne me considérerai jamais comme le père des enfants ayant pu naître de ces dons-là. La paternité passe par autre chose qu’une transmission de quelques cellules.» En revanche, l’idée que quelqu’un recherche son identité ne le dérange pas, si l’idée n’est pas de découvrir un parent. Si ses propres enfants, nés d’un don anonyme, souhaitent faire une recherche analogue sur la donneuse d’ovocytes, il les accompagnera dans cette démarche. «Je me servirai de mon expérience de donneur pour éclairer leur réflexion sur ce qu’elle a pu ressentir en faisant ce don.»

Valentin, 25 ans : «C’est une question de solidarité, au même titre qu’un don de sang»

«Ce qui m’embête, c’est d’être considéré comme un super-héros pour avoir donné ses gamètes. C’est juste une question de solidarité au même titre qu’un don de sang», lâche Valentin. Blouse blanche sur le dos, le neuropsychologue clinicien de 25 ans nous reçoit dans son bureau par écrans interposés. Cet Alsacien de naissance a commencé le processus de don de spermatozoïdes à 19 ans, ce qui a étonné l’équipe médicale, les donneurs étant en majorité trentenaires. «Lorsque j’étais étudiant à Poitiers, beaucoup me disaient : “Je pensais que c’était que dans les films, comme celui où un donneur a eu 100 enfants, ça veut dire que tu gagnes de l’argent ?” Il y a beaucoup de mythes autour de ce don.» Aujourd’hui installé à Dax, dans les Landes, Valentin est aussi inscrit sur la liste de dons d’organes et de moelle osseuse – mais pas de sang, car il dit ne pas s’en sentir capable. Ce besoin presque viscéral d’aider autrui remonte à son enfance. Son grand frère a survécu à une leucémie.«Mon deuxième frère a été compatible pour un don de moelle, mais pas moi. Allez expliquer à un enfant de 6 ans, alors qu’il a déjà vu cinq chambres se vider à côté de celle de son frangin, qu’il ne peut pas le sauver.»

Le jeune homme s’est attelé depuis à «chercher les différentes possibilités pour aider directement ou indirectement des personnes souffrant de maladies comme le cancer». Il découvre alors que certains traitements comme les rayons peuvent provoquer une infertilité. «Si je peux être un outil permettant à un enfant d’avoir un magnifique foyer et de rendre des parents heureux, tant mieux.» Un geste impliquant selon lui une certaine «responsabilit黫Si dans 20 ans, quelqu’un toque à ma porte en disant : “vous êtes mon père j’aimerais apprendre à vous connaître”, je me présenterai sans souci.» Actuellement célibataire, il tient à faire part cette éventualité à chacune de ses relations. Un don de gamètes, «ce n’est ni être papa, ni tout à fait un don d’organe, c’est très particulier.» Valentin doit encore effectuer deux recueils, dont un pour lui, avant d’avoir bouclé le processus. Serveur barman les week-ends, boxeur, cavalier, éleveur de chiens, le jeune homme a peiné à trouver le temps de se déplacer à Bordeaux. Valentin appelle à lever ce frein en «facilitant l’accès aux dépôts. Il faudrait que les recueils puissent être faits dans n’importe quel hôpital, clinique ou laboratoire.»


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