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mercredi 3 novembre 2021

L’infertilité, un défi de société majeur qui commence à être pris au sérieux

Par   Publié le 01 novembre 2021 

Une « task force » pour prévenir et mieux traiter l’infertilité ? C’est ce que réclame depuis des années René Frydman, spécialiste de la reproduction et du développement de l’assistance médicale à la procréation. Le ministère de la santé vient de mettre en place un groupe de travail sur le sujet.

« Infertilité ? Tous concernés ! » Pour la 7e Semaine de sensibilisation à l’infertilité (du 1er au 7 novembre), le principal collectif de patients en France, BAMP, a choisi de s’adresser à toute la population. Virginie Rio, responsable de l’association, qui se bat depuis presque dix ans pour faire entendre la voix des couples infertiles, a le sentiment que le sujet est enfin pris au sérieux. Le PrSamir Hamamah, responsable du département de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, vient d’être chargé d’un « plan fertilité », avec Salomé Berlioux, qui témoigne dans La Peau des pêches (Stock, 288 pages, 20,90 euros) du véritable chemin de croix que peut représenter un parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP, ou PMA pour procréation médicalement assistée) en France.

Sommes-nous de plus en plus infertiles ? Une méta-analyse publiée en 2017 par l’épidémiologiste Shanna Swan révèle que la concentration de spermatozoïdes a diminué de 50 % en moins de quarante ans chez les hommes d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Australie.

« Il y a aussi une augmentation du nombre de cancers des testicules – + 2,5 % par an en France  et des malformations congénitales des organes reproducteurs masculins, certainement liées aux perturbateurs endocriniens, souligne Samir Hamamah. Il est temps de réagir et de lutter contre la perception que l’infertilité est une maladie honteuse. C’est une maladie comme les autres, qui touche aussi bien les hommes que les femmes. »

Dans les couples, l’infertilité provient pour 30 % des femmes, pour 30 % des hommes, ou des deux (30 %), 10 % à 15 % des infertilités restant « inexpliquées ». Exposition aux polluants, mauvaise alimentation, tabagisme, obésité, sont des facteurs de risque connus.

Le facteur « âge »

Mais le facteur le mieux identifié pour expliquer la baisse de la fertilité, c’est l’âge. L’âge moyen à la première maternité continue de croître dans tous les pays occidentaux. En France, il était de 24 ans en 1974, contre 30,6 ans en 2017. Désormais, 21 % des femmes qui accouchent ont plus de 35 ans. Or, après 30 ans, leur réserve ovarienne commence à diminuer et, après 35 ans, elle chute brutalement.

« De plus, l’appareil reproducteur des hommes vieillit plus lentement, mais il vieillit ! explique le Pr Charles Coutton, du laboratoire de génétique chromosomique au CHU de Grenoble.Avec l’âge, les mutations génétiques dans l’ADN des spermatozoïdes augmentent, ce qui aggrave le risque de fausse couche ou, chez l’enfant à naître, les risques de malformation et de maladie neurodéveloppementale. » Or, dans un couple, l’homme est en moyenne plus âgé que la femme, de trois ans environ. Les femmes faisant leur enfant plus tard, avec des hommes plus âgés, cela cumule les risques d’infertilité…

Résultat, le recours à l’AMP est de plus en plus fréquent : 100 000 enfants sont nés par AMP en Europe en 2008, 200 000 en 2018. En France, cela représente 3,4 % des naissances, et déjà 6 % en Espagne. A ce rythme, on pourrait bientôt atteindre dans ce pays les 10 % d’enfants nés dans le cadre d’une AMP.

Les techniques ne sont pourtant pas toutes-puissantes, contrairement à ce que disent les discours médiatique et/ou médical ambiants.

Avec près d’une chance sur quatre (27 %) en moyenne d’aboutir à une naissance grâce à une aide à la procréation, tous âges confondus, il faut souvent plusieurs tentatives pour faire un enfant

« Certaines cliniques affichent notamment des taux de succès cumulés sur quatre fécondations in vitro (FIV)  le nombre de tentatives remboursées par la sécurité sociale  et laissent miroiter à 40 ans des taux de réussite de 67 %, explique dans l’une de ses études Elise de la Rochebrochard, directrice de recherches à l’Institut national d’études démographiques. Or ces estimations ne correspondent pas à la réalité, car peu de couples vont jusqu’à quatre tentatives : en cas d’échec de la première FIV, 27 % ne poursuivent pas avec une deuxième, ce taux monte à 54 % après deux FIV sans succès, et 76 % après trois FIV… »

Avec, en France, près d’une chance sur quatre (27 %), en moyenne d’aboutir à une naissance grâce à une aide à la procréation, tous âges confondus, il faut en fait souvent plusieurs tentatives pour faire un enfant. Surtout que le recours à l’AMP est de plus en plus tardif.

Des traitements de première intention en hausse

Elise de la Rochebrochard a également réalisé, à partir des données de l’assurance maladie, la seule étude qui prenne en compte tous les traitements de l’infertilité (dont les médicaments donnés en première intention). Entre 2008 et 2017, 1,25 % des femmes de 20-49 ans étaient traitées pour infertilité, soit plus de 150 000 femmes chaque année. « Au cours de cette décennie, le recours à ces traitements a augmenté de 24 % chez les femmes de 34 ans ou plus,souligne la chercheuse. Or, d’une part, on ne sait pratiquement rien de l’efficacité des traitements pour l’infertilité donnés en première intention : combien de grossesses obtenues, et ont-elles été à terme ? Par ailleurs, la FIV classique et la FIV avec ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde), techniques conçues pour des diagnostics d’infertilité bien précis – trompes obstruées, faible concentration de spermatozoïdes, notamment –, sont utilisées très largement au-delà de ces indications, à défaut d’autres techniques disponibles. » Or si l’infertilité d’une femme est liée au vieillissement de ses ovocytes, à moins d’utiliser des gamètes « jeunes », les chances de succès sont faibles…

« En France, on arrive relativement tard à la FIV, souligne de son côté Jacques de Mouzon, président de la Société de médecine de la reproduction. Quand un couple a des difficultés à procréer, on lui conseille d’attendre un an, puis on donne un traitement, et en cas d’échec on l’oriente vers l’AMP. Pour un couple qui démarre jeune, cela permet de ne pas médicaliser inutilement. Pour ceux qui démarrent leur projet après 30 ans, c’est risqué, le temps joue contre eux. » 

Couples ignorants

Comment lutter contre l’infertilité, et éviter un recours de plus en plus tardif à l’AMP ? « En France, nous dépensons 600 millions d’euros par an pour les couples infertiles, constate le professeur Hamamah. En mettant un euro en prévention, nous économiserons dix euros en traitement ».

Or aucune campagne d’information sur la reproduction n’a jamais été élaborée. La santé publique s’intéresse de près à la contraception, à la prévention des maladies sexuellement transmissible, aux violences conjugales. Mais rien sur la santé reproductive…

Pourtant, dans ce domaine, les couples sont parfaitement ignorants. Iris Sanchez, sage-femme, l’a mesuré dans son mémoire de fin d’études, en interrogeant 117 jeunes femmes (90 % ont au moins le bac) : plus de la moitié n’a jamais entendu parler de « réserve ovarienne » et la majorité a une vision trop optimiste de sa fertilité : 30 % envisagent une grossesse jusqu’à 36-40 ans, 22 % jusqu’à 41-45 ans et 16 % jusqu’à plus de 46 ans.

Comment alerter ? Des sociétés savantes aux Etats-Unis et en Angleterre ont déjà mis en place des programmes visant à informer la population des risques d’infertilité liés au report d’un projet parental. Malgré une couverture médiatique importante, ces campagnes n’ont pas eu d’effet sur l’âge à la première maternité.

« Seule une information très personnalisée auprès des couples peut éventuellement modifier leur comportement », estime Nathalie Massin, qui a développé à l’hôpital de Créteil (Val-de-Marne) un « check-up fertilité », pour l’instant unique en France. Les gynécologues de ville refusent généralement de prescrire aux femmes qui n’ont pas encore essayé d’avoir un enfant un tel bilan, qu’ils jugent inutile et potentiellement stressant. C’est pourquoi Caroline Gorge, fondatrice du site Internet Freya, démarre une étude pilote avec un groupe de gynécologues et de sages-femmes sensibilisés à ce sujet. Leur idée : faciliter, au moyen de téléconsultations payantes, l’accès des couples et des femmes célibataires à un bilan équivalent, puis les accompagner bien avant qu’ils mettent en route leur projet d’enfant, les alerter sur les risques environnementaux et le report trop tardif d’un tel projet, leur donner des conseils alimentaires, etc.

Un bilan pour tous ?

Devrait-on proposer à toutes les femmes ce bilan, comme on propose aujourd’hui un dépistage du cancer du sein ou de la prostate ? « Nous y réfléchissons sérieusement, confirme le professeur Hamamah. Mais qui doit le faire ? A quel âge le proposer ? La découverte d’un capital-temps réduit ne va-t-elle pas générer un sentiment d’urgence à concevoir ? Tout cela doit être discuté. »

En discussion aussi, le sujet de la prévention des risques environnementaux. Certains se sont déjà saisis de ce problème. A Bordeaux, la plate-forme Prévenir (PREVention ENvIronnement Reproduction) est intégrée au service de PMA du CHU depuis 2014. « Nous recevons les couples présentant des troubles de la reproduction pour évaluer leur exposition actuelle et pré-conceptionnelle à des facteurs de risques : polluants mais aussi activités physiques, facteurs psychosociaux, en milieu professionnel ou domestique, explique Fleur Delva, médecin de santé publique. Puis nous les conseillons afin de limiter leur exposition. Une étude menée sur 214 couples a montré qu’environ 50 % ont des contraintes physiques – travailler debout par exemple  et 15 à 20 % sont exposés à des substances chimiques : pesticides, solvants, métaux lourds, médicaments. Nous ne pouvons pas affirmer que la suppression de l’exposition à tel polluant aura un effet direct sur leur fertilité, sauf pour le tabagisme, par exemple. Mais cette information ne peut être que bénéfique, notamment sur les enfants à naître. »

Cette plate-forme a fait école, d’autres se sont créés à Marseille, Rennes, Créteil mais se comptent encore sur les doigts d’une main, car les financements manquent. Les entretiens doivent être menés par des professionnels et sont chronophages.

La performance des centres en question

Outre des propositions pour prévenir les situations d’infertilité, un autre objectif inscrit dans la lettre de mission gouvernementale est de limiter le recours aux techniques d’AMP, dont on sait qu’elles laissent près de la moitié des couples sans enfant et qu’elles constituent un parcours du combattant.

Les taux de succès de la FIV varient dans des proportions considérables en Europe d’un pays à l’autre. « En Grande-Bretagne (qui affiche les meilleurs résultats en Europe), le taux de succès de chaque centre est publié chaque année et pour chaque tranche d’âge, remarque Françoise Shenfield, qui enseigne la médecine reproductive à l’University College Hospital de Londres. Un centre qui a de mauvais résultats ne peut survivre dans un secteur privatisé à 60 %. »

En France, sur le site de l’Agence de biomédecine, c’est le taux de naissances par ponction d’ovocytes cumulé (27 % en 2017) qui est mis en avant, tout âge égal par ailleurs. « Les résultats individuels des centres y sont présentés de façon si obscure qu’à moins d’être diplômé en statistique, ils sont incompréhensibles », s’agace le professeur René Frydman, spécialiste de la reproduction et du développement de l’AMP en France. Pourtant, les taux de naissances par ponction varient de 13 % à 37 % selon les cliniques. C’est une association de patients qui, chaque année, en fait le classement, consultable sur le site Fiv.fr, créé et alimenté, sans subvention, par Géraldine et Dimitri Meunier, un couple qui a eu deux enfants dans le cadre d’une AMP.

« Aux Etats-Unis les patients paient 15 000 à 20 000 dollars par FIV, les centres sont donc mieux équipés », estime Jacques de Mouzon. Par exemple, un nouvel incubateur génère, par le biais d’images des embryons prises toutes les cinq minutes, des informations cruciales pour évaluer la division cellulaire, déceler certaines anomalies. Et cela sans sortir de l’incubateur des embryons ainsi conservés dans des conditions plus stables, avec de meilleures chances de grossesses. En France, seuls quelques centres possèdent cet équipement évidemment onéreux (100 000 euros).

« Un protocole identique sur tout le territoire »

Deuxième explication : la sélection des patients. Certains centres refusent des femmes âgées de plus de 40 ans, ou qui ont déjà connu plusieurs échecs, ou avec un indice de masse corporelle supérieur à 30. Et affichent ainsi un taux de succès plus élevé…

« Au lieu de masquer ces différences entre les centres, il serait plus efficace d’aider les moins performants à comprendre pourquoi ils ont des résultats médiocres, souligne le Pr Hamamah. Je proposerais d’organiser pour la PMA ce que nous avons mis en place pour le traitement des cancers : un protocole identique de traitement des patients sur tout le territoire, afin que tous les couples soient accompagnés avec les mêmes chances de succès. »

Salomé Berlioux insiste de son côté sur l’accompagnement humain. « Les taux de succès sont meilleurs là où les couples sont pris en charge de façon globale, où la femme n’est pas réduite à ses organes de reproduction, où l’homme est associé au parcours de soin. Il est temps, comme cela est fait pour d’autres pathologies, le cancer par exemple, de proposer une médecine holistique, qui s’intéresse au patient dans son entier. »

Enfin, un effort particulier devrait être fourni pour améliorer la recherche sur tous ces sujets. « Dans le domaine de la reproduction, la recherche en France est invisible et fragmentée, regrette le professeur Hamamah. Par exemple, l’an dernier, il n’y a eu aucun appel d’offres contenant le mot-clé reproduction ! » Et pourtant, cette recherche est capitale pour mieux comprendre l’infertilité, et proposer des traitements adaptés.


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