Par Jean-Baptiste Jacquin Publié le 22 septembre 2021
Devant le refus du Parlement de s’emparer du sujet, l’association suisse Dignitas saisit aujourd’hui le Conseil d’Etat. Objectif : faire évoluer les choses par la voie juridique.
A défaut de voir le débat sur « le droit à mourir dans la dignité »s’ouvrir réellement sur le terrain politique, et devant l’incapacité du gouvernement et du Parlement à s’emparer de ce sujet de société, c’est par la voie juridique que les choses pourraient évoluer. L’association suisse Dignitas, militante pour le droit à choisir sa fin de vie, devait déposer, mercredi 22 septembre, une requête devant le Conseil d’Etat accompagnée d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin que le Conseil constitutionnel se prononce.
Le sujet a récemment avancé par le même chemin en Allemagne et en Autriche, alors que le droit au suicide assisté existe déjà sous certaines conditions en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne ou au Canada. Saisie par plusieurs associations dont Dignitas, la Cour constitutionnelle allemande a jugé, le 26 février 2020, que le droit de mettre fin à sa vie de manière indépendante fait partie du droit fondamental de la personnalité et de la dignité humaine. Quelques mois plus tard, en décembre, la Cour constitutionnelle autrichienne se prononçait dans le même sens.
« C’est le moment de le faire en France, même si la procédure pour arriver à la Cour constitutionnelle y est plus complexe », justifie Claudia Magri, chargée de la communication de Dignitas. L’association fondée en 1998 compte aujourd’hui quelque 10 000 adhérents dont plus d’un millier en France. Elle a accompagné jusqu’à la mort en Suisse 35 résidents français en 2020 et 43 en 2019.
Concrètement, la procédure mise en place avec le concours de l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Patrice Spinosi passe par une requête demandant l’abrogation du décret listant les substances vénéneuses interdites à la prescription médicale, en particulier le pentobarbital. La QPC qui vient en appui, soumise à l’appréciation de la haute juridiction administrative avant son éventuelle transmission au Conseil constitutionnel, demande de censurer les articles du code santé publique qui font obstacle à la moindre exception permettant à chacun de choisir sa fin de vie et punissent de prison les personnes qui apporteraient leur concours à une telle issue.
« Contrôle strict »
« Nous ne demandons pas au Conseil constitutionnel de définir ces exceptions mais d’imposer au législateur de choisir lui-même les soupapes à inscrire dans la loi afin de garantir une évolution harmonieuse de notre droit », explique Me Spinosi. L’Assemblée nationale qui devait débattre le 8 avril de la proposition de loi « donnant et garantissant une fin de vie libre et choisie » déposée par le député Olivier Falorni (Charente-Maritime, Libertés et Territoires) a été empêchée de mener la discussion à son terme en raison d’un barrage de plus de 4 000 amendements. Le gouvernement préférant de son côté tergiverser plutôt que d’assumer un débat sur ce sujet délicat auquel les Français sont pourtant, à en croire les sondages, largement favorables.
Le droit à l’autonomie personnelle et à l’autodétermination pour son propre corps n’est pas formellement inscrit dans le droit européen ni dans la Constitution, mais la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la place croissante accordée dans différents domaines au droit à la dignité par le Conseil constitutionnel plaident pour. Le fait qu’une personne soit « empêchée par la loi d’exercer son choix d’éviter ce qui, à ses yeux, constituera une fin de vie indigne et pénible » peut être de nature à conduire à « une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée » protégé par la Convention européenne, avait jugé dès 2002, la Cour de Strasbourg.
Selon Me Spinosi, « le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine figure indubitablement au premier rang des droits et libertés que la Constitution garantit ». Le Conseil constitutionnel a déjà souligné dans une décision de septembre 2010 que « le préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain (…) possède des droits inaliénables et sacrés » et « que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ». Mais, l’institution de la rue Montpensier n’a encore jamais eu à se prononcer sur ce droit à mourir dignement et à en choisir le moment.
A l’appui de la procédure, Dignitas ne demande pas un droit absolu au suicide assisté. « Il est indéniable qu’il importe qu’un contrôle strict puisse être exercé sur les substances dangereuses et mortifères », écrit son avocat à l’appui de la QPC. Quant à la pénalisation des médecins ou accompagnants qui aideraient une personne à choisir le moment et les conditions de sa mort, elle est, selon Me Spinosi, contraire au principe constitutionnel de fraternité, solennellement rappelé dans une célèbre décision de septembre 2018 par le Conseil constitutionnel. Ce principe implique notamment « la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire », avait-il jugé.
Si la QPC est transmise à l’institution présidée par Laurent Fabius, celle-ci devra se prononcer dans les tout premiers mois de 2022, en pleine campagne pour l’élection présidentielle. Les candidats à la présidence de la République pourraient alors être amenés à se positionner sur le sujet, même s’il reviendra à la prochaine législature de faire bouger la loi. Pour l’heure, la lettre posthume adressée à Emmanuel Macron par Alain Cocq, mort le 15 juin en Suisse par suicide assisté après des années de souffrances terribles provoquées par une maladie incurable, n’a pas suffi à relancer le débat.
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