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C’est l’histoire d’un philosophe qui avait décidé d’aller sur le terrain pour mettre ses connaissances – et donc se mettre lui-même aussi – à l’épreuve. Le philosophe Guillaume Durand, maître de conférences à l’université de Nantes, dirige aussi la consultation d’éthique clinique au Centre hospitalier de Saint-Nazaire après une dizaine d’années à exercer dans ce domaine. Il raconte quelques situations tirées de son expérience dans son nouveau livre Un philosophe à l’hôpital (Flammarion).
Il y explique à quel point la complexité des situations concrètes qu’il a rencontrées interroge les certitudes qu’il croyait avoir acquises.
Un philosophe à la rescousse
Mais qu'allait donc faire un universitaire dans le milieu hospitalier ? Ni donner des cours ni guérir des malades. Il s’agissait plutôt d’aider les soignants désemparés, en apportant ce que peut amener un philosophe : un recul, une réflexion sur le sens des gestes quotidiens, un éclairage pouvant faciliter certaines décisions alors que les demandes adressées au système de santé sont en constante augmentation. « Faut-il répondre favorablement à ce couple de personnes malentendantes qui désire concevoir un enfant sourd à l’aide de l’assistance médicale à la procréation ? Une hyménoplastie (reconstruction de l’hymen) pour raison religieuse est-elle un acte médical légitime ? Jusqu’où peut aller la médecine dans une société démocratique, laïque et libérale ? »
Un philosophe en plein doute
Voilà du moins pour la théorie. Car ce que raconte Guillaume Durand, ce sont plutôt les doutes et les remises en question qui l’assaillent quand il se trouve confronté à la réalité – parfois violente – des cas qui se présentent. Non seulement il n’a pas nécessairement les réponses attendues, mais, en outre, les catégories philosophiques qu’il espérait mobiliser se révèlent souvent inopérantes, ou du moins insuffisantes. Ainsi ce patient qui souffre d’une pathologie psychique et à qui l’on demande de prendre un traitement vital : sa volonté est-elle suffisamment éclairée ? Dispose-t-il des capacités cognitives suffisantes pour prendre une décision complexe qui nécessite de bien comprendre la situation et l’enjeu médical ? L’opposition classique entre liberté et déterminisme semble trop rigide pour rendre compte de son « degré d’autonomie ». Autre exemple, celui du don d’organes : si notre corps nous appartient, alors « comment comprendre alors que le prélèvement d’organes et de tissus soient autorisés ? »
L'art de bien juger
Si ces interrogations assaillent Guillaume Durand, et s’il n’a pas de réponse nette à leur apporter, ce n’est pas parce que sa culture philosophique ne servirait à rien mais, au contraire, parce qu’il a la sagesse de prendre toute la mesure de la gravité de situations qu’il affronte, sans leur plaquer de réponses toutes faites. L’hôpital lui semble même « un espace où l’exercice du doute et de la discussion sont fondamentaux » parce que, comme le disait Aristote, la médecine est un art et non une science exacte, c’est-à-dire qu’elle traite des cas particuliers et non des normes universelles. Plus exactement, elle est un art du jugement qui consiste à adapter son savoir à des situations inédites. Art redoutablement difficile, qui montre à Guillaume Durand une autre manière de philosopher et qui lui permet d’affirmer : « Je suis un philosophe des ovules, du sang et des larmes. »
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