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lundi 20 septembre 2021

Au sein des familles, « le Covid, c’est pire que la religion et la politique »

Par   Publié le 18 septembre 2021

Masques, vaccin, passe sanitaire… Au fil de la crise sanitaire, les familles se sont parfois déchirées autour de ces questions. Un véritable casus belli qui a même mené certains couples à la rupture.

Pour Sophie, « la goutte d’eau de trop », ce fut d’apprendre que son compagnon avait défilé, cet été, dans le cortège anti-passe sanitaire emmené par le parti Les Patriotes de Florian Philippot. « Manifester avec l’extrême droite, ça, je n’ai pas supporté, c’est contraire à toutes nos valeurs, ça dépassait mes limites », explique-t-elle, en arrêt de travail longue durée depuis un accident. Après quatre ans de vie commune, c’est la rupture. Il fait ses valises et quitte la petite maison où il vivait avec cette dernière et ses deux enfants, nés d’une précédente union. La conséquence, selon Sophie (dont le prénom a été modifié), « d’un virage antivax et complotiste » qui a eu pour effet collatéral de faire exploser leur cellule familiale recomposée.

En cause, nous relate cette mère de famille rencontrée après un appel à témoignages lancé sur le site du Monde au sujet des liens familiaux mis à l’épreuve par la crise sanitaire : « une psychose totale liée au Covid » de son ex-compagnon. Toutes les personnes qui nous ont répondu ont requis l’anonymat.

Quand elle rassemble ses souvenirs aujourd’hui, c’est avant tout son « comportement complètement incohérent » face à la pandémie qui lui revient. « Je savais qu’il était hypocondriaque mais, dès le début de la crise sanitaire, ça a viré à l’obsession. C’était panique à bord, il fallait par exemple laisser les courses dehors pendant des heures avant de tout désinfecter », se souvient-elle. Mais, à l’inverse, à l’annonce du premier confinement, « lui qui avait toujours été ce que j’appelle un peu méchamment une larve de canapé [rires] s’est mis à trouver toutes les raisons pour sortir au maximum, en accumulant les fausses attestations ». Elle préfère en rire : « La chienne n’a jamais tant fait de balades que pendant ces deux mois. »

« C’était peine perdue »

Moins drôle, son compagnon, alors au chômage, se met à visionner beaucoup de vidéos « complotistes, mouvance QAnon » sur l’ordinateur qui trône alors dans le salon. En l’espace de quelques mois, Sophie assiste, impuissante, à ce qu’elle compare à une dérive sectaire. « Il tenait des discours qui n’étaient pas cohérents, et qui n’étaient pas lui. Par exemple, quand on n’avait pas de masques, il criait au scandale d’Etat et le jour où il a fallu les porter, c’était hors de question. » Assez désemparée, elle l’encourage à consulter et, devant son refus, en parle à leur médecin traitant, mais c’est un échec : « Il a arrêté d’aller le voir et a changé de médecin. » Dès qu’il est question du Covid et de la gestion de la crise par le gouvernement, qu’il honnit, les échanges se tendent. « J’ai essayé de le sortir de son truc avec pédagogie, en argumentant, mais c’était peine perdue », explique celle qui s’entend à plusieurs reprises traitée de « facho » et de « collabo ».

Au fil des mois, Sophie tente une autre méthode : éviter tout sujet lié au Covid-19. « Mais ça limitait un peu les discussions de famille à la météo, et de toute façon il y revenait toujours. » Sa décision de se faire vacciner, ainsi que ses enfants, accentue le clivage. « Quand j’ai fait ma première injection, il ne m’a pas approchée pendant trois jours. Et pour les enfants, qu’il adore par ailleurs, ça l’a plongé dans une grande inquiétude, soupire la mère de famille. A partir de là, il a commencé à prendre ses repas tout seul, de peur d’être “contaminé”. » A l’annonce de la rupture, il s’est dit d’ailleurs réjoui que « l’apartheid entre vaccinés et non-vaccinés prenne fin », rapporte-t-elle, encore sidérée.

Moins spectaculaires que celle-ci, d’autres fractures ont vu le jour dans certaines familles après plus d’un an et demi de restrictions liées à la crise sanitaire. Avec une dimension particulière pour les parents séparés, sommés de s’entendre sur des règles communes dans une période particulièrement anxiogène. « Nous avons observé deux types de situation chez les couples en situation de conflit, rapporte Nathalie Béziat-Langlois, médiatrice familiale à l’association Olga Spitzer. Chez certains, la crise sanitaire a eu comme effet de redistribuer les priorités, ça leur a permis de relativiser et de faire front notamment autour des enfants pour trouver des arrangements face à cette situation complètement inédite. » A l’inverse, « pour ceux pris dans des conflits plus anciens ou enkystés, tous les sujets autour de la vaccination, la décision d’aller ou non à l’école, le port du masque… ont ajouté à la discorde ».

« La mère de ma fille a commencé à me montrer des vidéos de soi-disant grands spécialistes de la médecine qui s’opposaient à la vaccination », se rappelle Thomas

Thomas, cadre dans la fonction publique de 42 ans, jusqu’ici « couple séparé modèle, entretenant une relation très simple et très souple » avec la mère de sa fille, en a fait l’amère expérience. A son grand étonnement. En dix ans, leur « garde alternée à 50-50 »s’était toujours bien déroulée. Lors du premier confinement, nul accroc : tous deux s’arrangent pour préserver leur fonctionnement habituel. D’un commun accord, ils restreignent drastiquement leurs contacts avec le monde extérieur, et respectent de concert les couvre-feux et confinements successifs. Mais, en juin, leur équilibre vacille pour la première fois. « La mère de ma fille a commencé à me montrer des vidéos de soi-disant grands spécialistes de la médecine qui s’opposaient à la vaccination », se rappelle le Palois, lui-même vacciné, qui croit d’abord à une blague de son ex-compagne. « Quand j’ai réalisé qu’elle ne plaisantait pas et que je lui ai dit ce que j’en pensais, on a commencé à être un peu en froid. »

Une « deuxième séparation »

Le second choc survient quelques semaines plus tard, après l’allocution d’Emmanuel Macron, le 12 juillet, sur la généralisation du passe sanitaire. « On a compris que notre fille, qui va avoir 12 ans, ne pourrait pas accéder à tout un tas d’activités extrascolaires sans être vaccinée. » Le ton monte alors d’un cran. « Je suis très rationnel, je ne suis pas particulièrement heureux de présenter mon QR code tous les matins, mais je réussis à le mettre en perspective par rapport au bien commun », dit-il. D’où l’incompréhension quand son ex « [lui] a sorti toute cette rhétorique qu’on entend sur la dictature, et puis elle [lui] a clairement dit : Si tu veux la faire vacciner je m’y opposerai par écrit.” » « Alors que tout s’était toujours fait entre nous de façon limpide et digne… », témoigne Thomas.

Un mois plus tard, même s’il a « quand même bon espoir que ça change », le sujet reste sensible. « Depuis quelques jours, je sens une brèche dans ses postures, parce que je pense qu’elle aussi a réalisé ce que ça impliquait de ne pas être vaccinée. Mais ce qui me questionne beaucoup, c’est comment quelqu’un qui est professeure agrégée, qui se cultive, qui lit beaucoup, peut tout à coup se faire retourner par des théories affligeantes ? », s’interroge-t-il. Lui n’hésite pas à parler de « deuxième séparation », celle-ci presque philosophique, à cette occasion. « Jusqu’alors on avait une vraie connivence intellectuelle, d’ordre amical, avec les mêmes principes d’éducation. Là, il y a clairement une vraie fêlure. »

Au contraire, pour Marc, chef d’entreprise dans le secteur du bâtiment en Ile-de-France, le sort réservé aux enfants a été, ces derniers mois, le seul sujet de relatif consensus familial portant sur le Covid. « Mettre des masques aux enfants à l’école, ça me rend très en colère, et là-dessus on est tous d’accord, ma femme et même les grands-parents », avoue-t-il. « Mais, même à partir d’un point de consensus comme celui-là, les discussions s’enveniment. Le Covid, c’est pire que la religion et la politique, on est trois, quatre barres au-dessus », estime ce père de deux enfants de 2 et 6 ans au langage fleuri. « Clairement opposé au passe sanitaire » au nom de la défense des libertés, à rebours de la quasi-totalité de son entourage familial, il reconnaît des échanges parfois tendus ces derniers mois. « Dans les repas du dimanche, je suis un peu celui qui met le feu aux poudres, je leur demande : “Alors ça y est, l’oracle Macron a trouvé la solution, on a le vaccin ? !” », dit-il en riant. « J’ai ma belle-sœur avec moi, mais on est clairement en minorité », s’amuse-t-il.

Volontiers provocateur, il lance : « Pourquoi on s’engueule en famille ? Parce qu’il y a ceux qui sont rentrés dans l’anxiogénéité de la guerre, comme l’a dit Macron, et moi non, voilà. » Pas encore vacciné, « j’ai le syndrome de l’entrepreneur, jamais le temps », il a pris rendez-vous dans l’optique d’un baptême prévu en Italie à l’automne. Et s’est plié sans rechigner aux tests PCR et gestes barrières quand il savait qu’il serait au contact de personnes fragiles pendant les vacances. Sur le fond, Marc déplore « une société où l’on n’a plus le choix qu’entre être un mouton ou un complotiste ». Une polarisation qui a atteint son apogée, estime-t-il, avec l’instauration du passe sanitaire, qualifiée de « ségrégation entre le bon et le mauvais citoyen ». Avec son épouse, encore très angoissée par la situation sanitaire, « [ils ont] des points d’accord et de désaccord. Mais, sur les points de désaccord, chacun reste très bloqué sur ses convictions, le débat n’existe pas », reconnaît-il.

Le silence comme ultime solution

Pour beaucoup, le silence apparaît comme l’ultime solution. « On n’en parle pas, ça vaut mieux », affirme parmi d’autres Claire, infirmière de 41 ans habitant en région parisienne. Comment dépasser autrement ce sentiment désagréable provoqué par la découverte chez des proches de réactions qu’on n’aurait pas imaginées, qui se révèlent contraires à nos propres valeurs ? Claire n’a pas trouvé la réponse, éprouvée par « le combat » mené contre ses parents et ses frère et sœur pour leur faire entendre raison sur les bienfaits de la vaccination. « Il a fallu que j’argumente sans arrêt, mais je n’étais pas du tout entendue, ce qui m’a vraiment bouleversée », exprime celle qui fut réquisitionnée à l’hôpital lors de la première vague du Covid, au printemps 2020.

« En tant que soignante, j’aurais dû réussir à convaincre mon cercle familial », regrette Claire, une infirmière

Encore aujourd’hui, le spectacle « des personnes âgées qui mouraient seules, sans leurs proches », continue de la hanter. A l’époque, elle désapprouve, sans trop le dire, les visites que continuent de faire chez leurs parents sa sœur et ses enfants. Puis à l’été, courte trêve. La famille est tout à la joie de se retrouver, en respectant tant bien que mal les gestes barrières pour protéger les anciens. La première confrontation importante a lieu à l’automne, et s’inscrit autour du vaccin… pour la grippe, qu’elle recommande vivement à son père de faire dans le contexte pandémique. « Ça a été mon premier combat. Mon père s’est braqué, et donc je suis passée par ma mère, comme d’habitude. Et, finalement, avec l’aide de son médecin, il a accepté. »

Le soulagement est de courte durée : « Très vite, la question est revenue avec la vaccination contre le Covid. » En raison de leur âge, ses parents font partie des populations prioritaires, comme son frère de 49 ans, en obésité morbide. Mais ils font pendant plusieurs semaines de la résistance, vidéos de Raoult à l’appui, avant de finalement prendre rendez-vous. « Je suis très proche de ma mère, donc je m’étais fixé une limite : pas d’engueulade », explique Claire.

Blessée de n’être pas écoutée, à la fois comme fille et comme infirmière, elle vit cette période comme « un échec personnel ».« En tant que soignante, j’aurais dû réussir à convaincre mon cercle familial, cela me questionne beaucoup de ne pas y être parvenue », réfléchit-elle. Celle qui passe avec son mari pour les intellos de la famille, « plutôt un sujet de rigolade jusque-là », préfère ne plus aborder le sujet, en particulier avec sa sœur, toujours opposée à la vaccination pour elle-même et ses enfants adolescents. « Ce qui me heurte, c’est qu’il n’y a pas de réflexion derrière ça, c’est une sorte d’élan non réfléchi, intuitif », observe-t-elle. « J’ai peur, si je creuse le sujet, comme ce n’est pas très construit comme réflexion, de remettre en cause ce qu’elle est, pas seulement ce qu’elle pense. »Une discussion aurait, craint-elle, des répercussions« potentiellement monumentales » qu’elle n’a pas la force d’affronter. Depuis quelque temps, les visites familiales se sont un peu espacées.


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