Propos recueillis par Nathaniel Herzberg Publié le 15 juin 2021
La professeure Alexandra Benachi, membre du Comité consultatif national d’éthique, juge « choquant que l’on soit contraint de vacciner des enfants parce que des adultes refusent de le faire ». Elle plaide pour la délivrance d’une notice d’information aux adolescents, même « si cela doit ralentir un peu le processus ».
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu, mercredi 9 juin, un avis favorable à la vaccination des adolescents de plus de 12 ans contre le Covid-19, assorti toutefois de précautions et de réserves. Sa conclusion indique que, pour le CCNE, « il semble souhaitable (…) d’accepter de vacciner contre [le] Covid-19 les adolescents qui le demandent, mais après avoir reçu une information claire et adaptée à cette tranche d’âge sur les incertitudes liées à la maladie, au vaccin lui-même et à son efficacité à moyen et long terme, ainsi que sur les alternatives ouvrant sur la préventaion de la maladie ». Rapporteuse de l’avis, la professeure Alexandra Benachi, chef du service de gynécologie obstétrique à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine), en détaille les motivations.
Les mineurs sont déjà soumis à onze vaccinations obligatoires, auxquelles s’ajoutent certaines, facultatives. En quoi celle-ci imposait-elle un avis du CCNE ?
Le contexte est très différent. Les onze pathologies contre lesquelles on vaccine sont parfaitement connues, leurs effets, leurs risques, y compris leur morbidité à long terme, les risques de séquelles ; ce n’est pas le cas du Covid, on manque de recul. Pour la quasi-totalité des vaccins, il y a un bénéfice direct important pour les enfants en matière de santé, de mortalité ou de morbidité. Ici, les enfants ne développent que très peu de formes graves, et le nombre de décès est très faible. Enfin, on dispose de peu d’études sur les adolescents – une seule –, alors même que c’est la première fois que l’on produit un vaccin à ARN. Même si toutes les études sur les adultes et les dizaines de millions de vaccinations effectuées sont très rassurantes, cela pose quand même quelques questions. En tout cas, ça nous impose d’être certain que, avant de leur injecter un vaccin contre une maladie qui ne les touche que très peu, ils aient bien compris ce que l’on fait.
Dans cet avis, vous donnez votre accord du bout de la plume. Pourquoi tant de réserves ?
On ne peut pas vacciner sans réfléchir des enfants qui n’ont que peu de bénéfices directs et qui risquent de nous le reprocher dans le futur. Une des raisons pour lesquelles ils vont se faire vacciner, c’est pour enlever le masque, continuer à jouer avec leurs amis, aller dans des concerts et se retrouver librement. Cette génération a déjà énormément souffert de cette maladie et des mesures qui l’ont accompagnée, notamment en termes de santé mentale. Si un nouveau variant plus sévère arrive et qu’on doit les reconfiner ou si l’on découvre des effets secondaires imprévus, ils diront qu’on leur a menti. On aura alors une perte de confiance totale envers les institutions. Les Etats-Unis, le Canada, l’Italie vaccinent leurs ados en masse. Nous pensons qu’il ne faut pas se précipiter parce que ce n’est pas l’urgence du moment. Il reste plus de 20 % des Français adultes qui ne veulent pas se faire vacciner. Si tous les adultes étaient vaccinés, nous n’aurions pas besoin de vacciner nos jeunes. Donc commençons par ça.
Pas de vaccination des adolescents tout de suite, donc…
Il faut examiner les situations. Un adolescent en surpoids et qui a un asthme, ou une enfant de 14 ans qui a un grand-parent qui ne peut pas se faire vacciner car il est immunodéprimé, bien sûr qu’il faut les vacciner le plus vite possible. Mais, pour la vaccination de masse, nous recommandons d’y aller doucement. Réfléchissons et donnons toute l’information aux adolescents pour que leur consentement soit véritablement éclairé.
Ne sont-ce pas les parents qui décident ?
Il faut l’avis des parents, mais aussi de l’adolescent. Le code de santé publique indique très clairement que, quand un enfant est en âge de comprendre, il faut lui expliquer pourquoi on lui fait un vaccin et recueillir son consentement. Le gouvernement a présenté la chose comme une évidence, nous avons voulu marquer le fait que ça ne l’était pas. Mais nous ne nous opposons pas à cette vaccination.
Les bénéfices directs sont-ils si faibles que ça ?
Les chiffres de Santé publique France font état de treize décès depuis le début de l’épidémie chez les moins de 18 ans, et un seul n’avait pas de comorbidité associée. Même si chaque cas est terrible pour la famille concernée, rapporté au nombre d’enfants en France, c’est infime. On peut y ajouter 737 admissions en soins critiques. Mais, là encore, on reste dans une proportion très réduite.
Ne prenez-vous pas en compte les bénéfices psychologiques et sociaux, autrement dit le stress et les entraves à leur développement que les adolescents ont subis et dont la vaccination pourrait les libérer ?
Si, bien sûr. Nous y avons accordé un chapitre entier. C’est un bénéfice indirect très important. Mais ce coût psychosocial qu’ils ont subi est d’abord venu de la fermeture des écoles. On s’est heureusement rendu compte, après coup, que c’était une mesure à ne prendre qu’en ultime recours. Si tous les adultes étaient vaccinés, on n’envisagerait même pas de fermer des classes. Les jeunes pourraient vivre normalement, sans restrictions, sans masques. Et s’ils devaient se contaminer, ça ne serait pas très grave, puisque les personnes de leur entourage, qui risquent de faire des formes graves, seraient toutes protégées.
Ce n’est pas tout à fait la première fois que l’on immunise les enfants pour protéger les adultes. Les vaccins contre le pneumocoque – qui vise à protéger les personnes âgées – et la rubéole – maladie qui menace surtout les femmes enceintes – n’entrent-ils pas dans cette catégorie ?
Pour le pneumocoque, c’est ce que je pensais. Et j’ai découvert à l’occasion de ce rapport que, si la mortalité des enfants reste faible, ils courent des risques très importants de séquelles pneumologiques et neurologiques. Quant à la rubéole, il s’agit effectivement d’éviter le danger très élevé de malformations du fœtus, et donc d’interruption médicale de grossesse. Mais c’est un vaccin trivalent que nous administrons, avec la rougeole et les oreillons, et pour lequel nous avons beaucoup de recul.
Est-il bien éthique, alors, de faire porter aux mineurs le refus de vaccination d’une partie de la population adulte ? Ne serait-il pas plus juste de rendre la vaccination obligatoire pour les adultes ?
A titre personnel, j’y serais favorable. Je trouve choquant que l’on soit contraint de vacciner des enfants parce que des adultes refusent de le faire. Donc je serais pour une telle obligation. Mais le comité n’est pas sur cette position. Collectivement, notre espoir, c’est que les adultes, en découvrant notre avis, se disent : « Si mon refus de me faire vacciner fait prendre un risque à un adolescent – puisqu’ils estiment qu’il y a un risque – alors j’y vais moi. » Nous sommes peut-être naïfs, mais c’est un de nos messages. Nous insistons également sur le fait qu’il faut bien recueillir le consentement. Dire à un jeune qu’une fois vacciné il pourra faire la fête librement, ce n’est pas recueillir son consentement libre et éclairé. Il faut lui donner véritablement toutes les informations.
Comment proposez-vous de procéder ?
Il serait possible de rédiger une notice d’information claire et précise, spécifique aux adolescents, qui expose précisément la situation. Leur dire qu’ils vont recevoir un vaccin pour lequel on n’a pas encore tout le recul que l’on pourrait souhaiter avoir, que ce vaccin ne les libérera pas instantanément des diverses contraintes engendrées par l’épidémie, et qu’ils font cette vaccination parce que certains adultes refusent de la faire, autrement dit que le bénéfice sera pour la population générale, pour les autres plus que pour eux-mêmes. Et de s’assurer qu’ils auront bien lu ce document avant l’injection.
Ne va-t-on pas vous accuser de gripper la machine, comme cet hiver avec le recueil du consentement des personnes âgées ?
Ça peut être très simple, se faire pendant qu’ils sont dans la salle d’attente, avant l’injection. Mais, pour nous, c’est essentiel.
Ecartez-vous les moins de 12 ans ?
Il n’y a aucune donnée et, potentiellement, la réaction immunologique peut être plus importante. Donc, ça ne serait pas raisonnable de les vacciner aujourd’hui. Nous verrons si des études sont publiées.
Le gouvernement a annoncé sa décision sans attendre votre avis. Que pensez-vous d’une telle séquence ?
Disons que c’est malheureux, et nous l’avons écrit. Mais notre avis arrive à temps, à la fois pour dire aux adultes qu’ils doivent se faire vacciner avant de faire vacciner les jeunes, et pour faire en sorte que les autorités sanitaires se préoccupent du consentement. Si cela doit ralentir un peu le processus, conduire certaines familles à attendre, ou même décourager quelques adolescents, ce n’est pas un problème. L’enjeu le mérite.
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