par Clémentine Mercier publié le 14 juin 2021
L’écouter flanque des frissons. En octobre, Tony Oursler nous confiait avoir été hypnotisé lors d’une séance par Internet. L’artiste américain était le premier abasourdi par ce qu’il venait de vivre : «Cela a été le truc le plus incroyable de ma vie, alors que je suis plutôt sceptique de la magie. Je me suis baladé dans trois différents lieux, aussi clairement que je vous vois aujourd’hui, comme dans un film. Je n’en croyais pas mes yeux.» Grâce à une hypnotiseuse basée en Californie, il a pu retrouver, depuis New York, le ventriloque à marionnettes que lui avait présenté son grand-père quand il était petit mais aussi se balader dans la maison de son enfance, dans une pièce cachée derrière une télévision. «Elle m’a dit de regarder au sol et soudain j’ai vu mes petites jambes d’enfant, mon short et mes petits pieds de quand j’avais 5 ans, c’était très bizarre. Je n’ai aucune raison de vous mentir. Tout cela sans aucune drogue. Ça a été une expérience fascinante.»
Au musée d’Arts de Nantes, l’installation monumentale de l’Américain clôt l’envoûtante exposition «Hypnose. Art et hypnotisme de Mesmer à nos jours». Dans la chapelle de l’Oratoire, une douzaine d’œuvres de Tony Oursler créent des passerelles entre les premiers magnétiseurs et les médias d’aujourd’hui : il y a l’arbre du marquis de Puységur, qui organisait des séances de somnambulisme à Soissons, le lit du professeur Charcot où s’évanouissaient les «hystériques» pendant l’âge d’or de l’hypnose, la caricature de Franz Mesmer en âne, la reproduction géante d’une Dreammachine de Brion Gysin, les marionnettes du début de la télévision américaine, une spirale hypnotique immense et surtout un iPhone géant : «Je voulais jouer sur l’idée d’un miroir noir en forme de monolithe, avance l’Américain. Le smartphone est sans aucun doute le nouvel outil hypnotique. On le touche au moins 2000 fois par jour et notre esprit change de fonctionnement dès qu’on le regarde. Pour moi, il est dans la droite lignée de Mesmer.»Femmes possédées
Il faut parcourir tout un chemin chronologique pensé par Pascal Rousseau avant d’arriver au bouquet final de la chapelle de l’Oratoire. L’historien d’art s’est penché sur trois siècles d’hypnose qu’il a croisés avec l’histoire de l’art. Et forcément, ces liens sont féconds puisqu’ils interrogent les fondements même de l’expérience esthétique : quel pouvoir a une œuvre sur celui qui la regarde ? Et l’artiste à l’origine de l’œuvre, est-il habité par des forces qui le dépassent ? A l’entrée de l’exposition, le baquet de Mesmer, inventé en 1780, est là pour montrer que la théorie des fluides magnétiques, bien que décriée par la médecine officielle, creuse un sillon dans lequel s’engouffre l’esthétique romantique au XIXe siècle. La figure de la somnambule, belle femme échevelée, devient alors une muse pour les peintres : la Voyante de Prevorst de Gabriel von Max (1892), une femme livide alitée aux yeux clos, ou la Somnambule au regard noir et pénétrant de Gustave Courbet (1865), montrent des femmes possédées par un esprit autre, distillant le malaise par des dédoublements de personnalité.
Ce n’est que vers 1880 qu’apparaît le terme «hypnose», au moment où le médecin Jean-Martin Charcot se spécialise dans le traitement de «l’hystérie» à la Salpêtrière, hôpital transformé en véritable cabinet de curiosité. Le neurologue, «Paganini de l’hystérie» selon Octave Mirbeau, véritable pygmalion de ses patientes en transe, s’entoure ainsi de moulages, peintures, dessins, effaçant les frontières entre l’art et la science. A leur tour, les hystériques deviennent des modèles d’inspiration pour les artistes. Dans la foulée, le roman Trilby de George du Maurier (1895), qui met en scène l’hypnotiseur Svengali et sa victime, devient un best-seller, alors même qu’un film des frères Lumière montre une femme en pleine convulsion. Ces figures ouvrent la voie au cinéma expressionniste, dominé par les personnages maléfiques du docteur Caligari et du docteur Mabuse, ainsi qu’aux surréalistes qui se rassemblent pour des séances d’hypnose collective.
Spirales noir et blanc
Si l’art d’avant 1945 s’attache aux figures sous emprise et à leurs gourous, les séances d’envoûtement sortent des cadres du film, du livre et du tableau. Elles mobilisent directement le spectateur avec l’art optique et psychédélique des années 1960. Dans les dernières salles, spirales noir et blanc, cercles concentriques, disques tournant sur eux-mêmes tentent d’ensorceler les visiteurs. Les artistes eux-mêmes s’offrent à notre regard sous hypnose, comme la chorégraphe Catherine Contour ou Larry Miller qui, dans une installation vidéo, entre en transe pour expier les souffrances de son enfance infligées par un beau-père abusif (Mom-Me). Devant l’Hommage à Emile Coué, la remarquable installation d’Alain Séchas, on ne peut qu’être scotché. L’artiste associe une spirale tournante et un disque rayé qui répète en accélérant «Tous les jours à tous points de vue, je vais de mieux en mieux», un humour noir à consommer sans modération, dont on ressort un peu éberlué.
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