Par Stéphane Mandard , Gilles Rof et Richard Schittly Publié le 16 juin 2021
REPORTAGE
La journée de mardi marquait, partout en France, l’ouverture de la vaccination aux mineurs de 12 ans et plus, soit une cible potentielle de 3,5 millions d’adolescents qu’espère toucher le gouvernement pour atteindre l’immunité collective.
A Paris, à Marseille et à Lyon, on a fait l’école buissonnière, mardi 15 juin, pour recevoir sa première dose de Pfizer-BioNTech. La journée marquait, partout en France, l’ouverture de la vaccination aux mineurs de 12 ans et plus, soit une cible potentielle de 3,5 millions d’adolescents qu’espère toucher le gouvernement pour atteindre l’immunité collective.
Constance Neltner, 14 ans, collégienne dans un établissement du 6e arrondissement, à Paris, a « séché les cours » pour se rendre au vaccinodrome installé au Parc des expositions de la porte de Versailles, là où défilent habituellement les vaches du Salon de l’agriculture ou les limousines du Mondial de l’automobile. « Mais c’est pour la bonne cause, s’empresse de préciser Caroline, sa maman. On fait partie des pionnières ! »
Bien loin de là, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), près de Marseille, Tristan n’est pas peu fier : « Je suis le premier de mon collège à me faire vacciner. » Tee-shirt de skateur, lunettes et cheveux longs, à 13 ans, il est aussi le plus jeune des adolescents rencontrés mardi par Le Monde. Elève en 4e, il est accompagné par sa mère, Sandrine Savino, mais il assure avoir pris la décision « tout seul ». « C’est important pour l’immunité collective, aider au retour à la vie d’avant »,explique Tristan.
Quand on demande à Constance pourquoi elle a tenu à se faire vacciner dès le premier jour, elle se tourne vers sa mère : « Pour partir en vacances et pour arrêter le virus, qu’il n’y ait pas de quatrième vague à la rentrée. »
Sésame pour retrouver les grands-parents (et les copines)
Bianca Escofier, 15 ans, en 3e dans un collège du 15earrondissement de Paris et « crop top » de rigueur, a également mis entre parenthèses les révisions du brevet pour aller se faire piquer le bras par les pompiers qui gèrent le centre de la porte de Versailles : « Super, très rapide, rien senti, comme ça je suis sûre de ne pas avoir le Covid. » « C’est important que tout le monde joue le jeu pour en finir une fois pour toutes », développe sa mère, Victoria, qui promet de revenir avec le petit dernier, 11 ans, dès que ce sera possible.
La vaccination des ados requiert qu’ils soient accompagnés d’au moins un parent (et pas forcément la maman) mais aussi leur consentement. « S’il n’avait pas été d’accord, je ne l’aurais pas poussé », assure la mère d’Alexandre, 16 ans, lycéen dans un établissement du 15e arrondissement de la capitale. L’intéressé est un élève sérieux et un citoyen raisonné : « Il est important de se faire vacciner pour empêcher le Covid de se diffuser. Plus tôt on le fait, mieux ce sera. »
Marc, attaché-case et costume sombre, fait partie des convaincus de la première heure : « On a été élevé dans la culture du vaccin, c’est donc naturellement qu’on fait vacciner notre fille. » Il profite de la pause déjeuner pour accompagner Alix, 17 ans. En 1re dans un lycée privé du 7e arrondissement de Paris, elle aborde l’injection comme un sésame pour retrouver ses grands-parents (et les copines) cet été au Pays basque, sans crainte de les contaminer.
Le Comité consultatif national d’éthique a estimé qu’il était « précipité » d’ouvrir la vaccination aux enfants et que le bénéfice individuel était « très limité » pour une catégorie peu à risque pour les formes graves de la maladie. « Nous faisons confiance aux autorités sanitaires de notre pays », dit cependant Marc, pendant qu’Alix tapote frénétiquement sur le clavier de son smartphone : « Une copine qui vient aussi de se faire vacciner ce matin. »
Un engouement national
Karine, naturopathe à Lyon, ne fait « pas tellement confiance »aux vaccins. « Moi, je ne souhaite pas me vacciner, je ne sors pas trop, dit-elle. Mais chacun fait comme il veut ». Alors elle a quand même accompagné sa fille, Maelys, 17 ans, au vaccinodrome du palais des sports de Gerland : « Je la comprends. » Comme beaucoup d’ados, après des mois de confinement, Maelys a une bonne raison : « sortir » cet été. Le programme ? « Aller sur la plage avec les copines. La dernière fois, on était cinquante ! C’est mieux si on est vacciné ! »
Comme Maelys, un peu plus de 140 mineurs avaient réservé un créneau à Gerland mardi 15 juin. « On note un engouement dès le premier jour, témoigne la docteure Jihane Fattoum, responsable du vaccinodrome. Les jeunes ont envie de participer, pour des raisons familiales ou des choix très personnels, convaincus qu’il faut faire œuvre collective. » Un engouement qui se confirme au niveau national. Selon la plate-forme Doctolib, plus de 60 000 rendez-vous ont été pris pour des adolescents depuis l’ouverture des réservations, lundi 14 juin.
Au centre vaccinal de Vitrolles, aménagé dans la salle de spectacle Guy Obino, la journée a commencé à midi pour se terminer à 20 heures. Sur les 787 candidats à une injection de Pfizer-BioNTech, 68 avaient entre 12 et 18 ans. « Dès que les médias ont commencé à parler de l’ouverture aux ados, des parents ont essayé d’inscrire leurs enfants. La semaine dernière, il a fallu en renvoyer certains chez eux », raconte la responsable, Odile Chamirian.
Sans rancune, Sirine et Sophia viennent pour la deuxième fois. Les deux cousines, 17 ans, doivent partir en vacances en Tunisie et veulent, à tout prix, éviter la quarantaine qui s’impose là-bas pour ceux qui ne sont pas vaccinés. « J’ai un peu peur de la piqûre », reconnaît la première. « Et moi de ce qu’il y a dans le vaccin », complète la seconde, qui, même si elle sait que « c’est faux », ne peut s’empêcher de s’interroger sur ces vidéos devenues virales affirmant que l’injection rend « magnétique ». Toutes les deux ont déjà eu le Covid-19, attrapé en famille, et espèrent « un été plus stable » où elles pourront « un peu sortir ». Djemaa Lafouti, la mère de Sirine, fait office de garant pour les deux jeunes filles. Elle, n’a pas encore été vaccinée. « Moi, je ne pars pas cet été, cela me laisse du temps pour voir ce que cela fait », assure-t-elle, dubitative.
Règle du parent accompagnateur
A Lyon, Maelys a traîné avec elle une camarade de classe. Mais l’adolescente ignorait la règle du parent accompagnateur. « Elle attend dehors en espérant que son père arrivera à temps », dit la jeune fille. « La procédure n’est pas claire, juge sa mère, Karine. Il faut la signature des deux parents, ce qui n’est pas simple quand ils sont séparés. L’autorité parentale d’un seul parent devrait suffire. » Mais à Vitrolles, on a prévu le coup. Un carton a été préparé pour accueillir les attestations parentales récoltées dans la journée. Le signataire s’y engage pour les deux parents. « Elles nous serviront si une mère ou un père divorcé vient nous voir pour nous dire qu’il n’a pas donné son accord », indique la responsable du centre.
Mimoune, professeur de mathématiques à Villeurbane (Rhône), a pris les choses en main. Il est venu au centre de Gerland avec ses trois filles : 12, 15 et 17 ans. « Dès que le président de la République a annoncé la vaccination pour les mineurs, j’ai cherché un créneau. Toute la famille sera vaccinée avant fin juillet », promet-il, encore sous le choc de la disparition d’un frère, médecin et victime du Covid-19 dès le début de la pandémie, au Maroc.
« Au pire, on crèvera tous », fanfaronne Ambroise, 14 ans, chemise de bûcheron, Converse et sac à dos. Les effets secondaires ? Même pas peur. « Le pompier m’a dit : “Toi, t’as la peau dure.” Ça m’a un peu piqué », glisse l’ado, en mimant un geste de lancer de fléchette, à sa maman qui a voulu faire d’« une pierre deux coups ».
Car si Ambroise s’est fait vacciner « plus pour voyager », sa grande sœur, Céleste, 17 ans, a un grand projet en la matière : « Une année de césure aux Etats-Unis, à partir d’août. »Pendant le quart d’heure d’observation réglementaire, elle feuillette Into the Wild. En se faisant vacciner maintenant, elle compte surtout « échapper à la quarantaine » à son arrivée en Amérique. Pour Luna, 16 ans, c’est l’assurance de pouvoir partir cet été vers l’Espagne et sans avoir à refaire ce maudit test PCR avant de rentrer.
Passer le bac d’abord
« Il y a un an pile, ma fille faisait son premier test PCR pour pouvoir rejoindre son père à La Réunion », raconte Danielle, même cheveux de jais et même robe en jean qu’Antonia, 17 ans. Elle a gardé les photos sur son téléphone et a déjà posté sur Facebook les clichés du bras de la désormais primo-injectée. « Je lui ai dit de se faire piquer le bras gauche car elle est droitière et après-demain, c’est l’épreuve de philo », dit Danielle. Prudentes, les copines d’Antonia préfèrent passer le bac d’abord. La mère et la fille ont fait une heure et demie de transport depuis les Yvelines pour honorer leur rendez-vous au centre de vaccination de la porte de Versailles.
Pour beaucoup d’adolescents, le leitmotiv, c’est les vacances. Pour Antonia, c’est ce qui va avec : « La fête. » « Je veux être sécurisée car je vais beaucoup sortir, prévient Antonia. C’est ma dernière année au lycée, alors avec mes amies, on va beaucoup aller à Paris et en soirée. »
La première fête est prévue samedi, pour l’anniversaire d’une cousine. A-t-on rappelé à Antonia l’importance de ne pas trop relâcher les gestes barrières après la première injection ? « Non, on m’a seulement conseillé de prendre un Doliprane. »La deuxième dose est programmée le 20 juillet. Antonia aura eu 18 ans la veille : « Ça va faire mal ! »
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