par Erwan Cario publié le 17 juin 2021
Il y a ceux qui adorent la géométrie, et ceux qui ne le savent pas encore, même s’ils peuvent avoir tendance à prendre la tangente dès qu’ils entendent parler de Pythagore ou de Thalès. C’est le point de départ de David Acheson, professeur émérite à Oxford et vulgarisateur talentueux de la discipline, dans la construction de son dernier essai Géométrix (Flammarion). On passera pudiquement sur ce titre de l’édition française, façon village gaulois, qui ne rend pas justice à l’original The Wonder Book of Geometry, car ce qui se dégage des premières pages, c’est d’abord un sentiment de merveilleux. Celui-là même qui nous avait très probablement échappé à l’époque où il fallait bien vérifier la présence de notre compas et de notre équerre dans notre sac avant de se rendre en classe.
L’auteur, pourtant, ne fait pas dans la poésie et débute son livre par la démonstration d’un théorème, celui de l’angle droit : l’angle formé par un point sur un demi-cercle vaut toujours 90°. On reformule pour être sûr que tout le monde suit bien : un triangle défini par le diamètre d’un cercle et un troisième point n’importe où sur ce même cercle est un triangle rectangle. On ne reproduira pas la démonstration ici (mais promis, elle est bonne), car Géométrix est avant tout un livre de dessin, la géométrie ne pouvant se manipuler sans représentation graphique. Résultat, en une quinzaine de pages à peine, on a déjà compris la démonstration d’un théorème, et on s’est à nouveau familiarisé avec les deux stars de l’ouvrage : le triangle et le cercle.
Ces droites qui ont l’habitude de se croiser
Alors, certes, tout le monde n’a pas eu cette fascination quasi mystique pour les médiatrices, les médianes, les bissectrices et les hauteurs, toutes ces droites qui, par groupe de trois, ont pour habitude de se croiser en un point unique doté de propriétés inattendues, mais pour peu qu’on fasse l’effort de consacrer un peu d’attention à l’enchaînement des dessins, à ces points A, B, C ou O et aux angles qui les accompagnent, tout est relativement limpide. Oui, ce «relativement» peut faire peur, mais il faut l’admettre, il n’y a pas de récit dans une démonstration de géométrie, il n’y a pas de belle mise en scène destinée à passionner les foules comme c’est souvent le cas dans ces livres de vulgarisation scientifique qui nous font voyager dans l’infiniment grand et l’infiniment petit. Mais cette absence de narration n’implique aucune austérité. Les schémas sont clairs et les transitions logiques qui permettent de voyager depuis les hypothèses jusqu’au résultat d’une démonstration n’ont pas grand-chose à envier aux rebondissements d’un film à suspense. Avec, cet avantage indéniable : le final ne déçoit jamais.
Si les démonstrations qui fourmillent dans Géométrix ne racontent pas de belles histoires, le livre en contient quand même de nombreuses quand il s’agit d’explorer l’histoire de la discipline. Une histoire qui connut son apogée 300 ans avant notre ère avec le plus célèbre des livres de géométrie, les Eléments, par Euclide d’Alexandrie. Un ouvrage qui, explique David Acheson, «a exercé plus d’influence et connu plus d’éditions que la quasi-totalité des autres livres de l’histoire de l’humanité». L’auteur nous fait même rencontrer un certain nombre de mathématiciens désireux d’améliorer ou de simplement prolonger les travaux d’Euclide. Comme, par exemple, Une nouvelle théorie des parallèles, écrit en 1888 par un chercheur d’Oxford, Charles L. Dodgson, un poil plus connu pour son œuvre de fiction publiée sous le pseudonyme de Lewis Carroll. S’il fallait une nouvelle preuve du merveilleux de la géométrie…
Géométrie, ce potentiel de réflexions
Le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Voilà, désolé pour ce théorème de Pythagore qui a surgi sans prévenir, mais pas d’inquiétude, le plus dur est fait. Cet énoncé qui rappelle pour beaucoup, encore une fois, de mauvais souvenirs, est en effet aussi fascinant par ses conséquences (on a toujours aimé le fait que ça fonctionne avec des longueurs de 3, 4, et 5, ne nous demandez pas pourquoi) et ses applications, que par la multiplicité de ses démonstrations. Un livre publié en 1940 aux Etats-Unis en recense ainsi 371 ! Mais pas besoin d’en connaître autant, les quelques-unes présentées par Acheson se comprennent facilement et suffisent à se réconcilier une fois pour toutes avec le philosophe grec.
C’est d’ailleurs ce qui ressort de la lecture de Géométrix : un sentiment de réconciliation. Le fait de comprendre ce qui y est écrit, étape par étape, est un accomplissement en soi. La vulgarisation de David Acheson est en effet beaucoup plus explicative que simplement descriptive. Un peu comme si, en refermant un bouquin grand public sur la physique quantique, on se retrouvait à pouvoir manipuler les équations de Schrödinger. Ce n’est malheureusement jamais le cas et il faut se contenter la plupart du temps de son chat vivant et mort dans sa boîte.
Ce qui fascine finalement, dans cette redécouverte de la géométrie, c’est aussi le potentiel de réflexions, de découvertes et de magie rendu possible par la simple manipulation d’une règle et d’un compas sur une feuille vierge. Pas besoin de technologie de pointe, ni de dispositif complexe, quelques droites et un cercle suffisent à déclencher en nous cette intense satisfaction de saisir un peu plus les lois qui régissent notre espace. Tant que celui-ci reste euclidien et que la somme des angles d’un triangle respecte un strict 180 degrés, bien sûr.
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