Nous ne sommes pas responsables de ce qui n’a pas encore eu lieu, mais nos actes nous engagent au-delà de nos intentions. En s’inspirant de la pensée du philosophe Hans Jonas, le professeur agrégé de philosophie Mathias Roux propose, pour traiter cette question du baccalauréat 2021, un plan de dissertation, où il s’agit de trouver un moyen terme entre la nécessité de limiter l’étendue de notre responsabilité et le souci de l’avenir.
Proposition de correction : il s’agit ici de pistes possibles de traitement du sujet et non de la copie-type attendue par les correcteurs !
- Principales notions du programme impliquées par le sujet : la liberté, le temps
- Repères du programme utiles pour la réflexion : en acte / en puissance, nécessaire / contingent, essentiel / accidentel, principe / cause / fin, médiat/immédiat
Introduction / Problématisation
Être responsable signifie qu’on est en capacité de répondre de ses actes, de les assumer, de les justifier. Un être humain est responsable quand on peut lui imputer un acte : il est alors identifié comme son auteur. Ce rappel montre qu’on ne peut, a priori, être tenu pour responsable que des faits qui se sont déjà produits. En effet, il semble impossible que l’on demande des comptes à quelqu’un pour un événement qui n’aurait pas encore eu lieu. À première vue, nous ne sommes donc pas responsables de l’avenir puisque, par définition, le futur n’est pas encore.
Pour autant, il paraît trop facile de se dédouaner de toute responsabilité quant à la survenue future de faits. Les actes que je commets aujourd’hui auront des conséquences à plus ou moins long terme. Nos actes sont des causes qui engendrent des effets, et je ne peux l’ignorer. Par nos projets, nos intentions et nos actions, nous orientons en partie la marche du monde, donc son avenir.
Dans un premier temps, nous rappellerons que la notion de responsabilité implique la possibilité de mettre en relation un fait avec son auteur, et qu’en conséquence, elle ne concerne que ce qui s’est déjà produit. Mais, dans une deuxième partie, nous verrons qu’on doit également être tenu pour responsable des conséquences de nos actes, sinon nous ne serions responsables de rien.
Enfin, il faudra se demander jusqu’à quel point nos actes nous engagent. En effet, l’avenir est incertain et nous ne sommes pas omniscients. Être responsable de l’avenir ne doit pas impliquer qu’on soit, par avance, responsable de tout ce qui peut arriver. Ce qui serait aussi absurde que dangereux.
Première partie / Nous ne sommes pas responsables de ce qui n’a pas eu lieu
N’est responsable que celui dont on peut démontrer qu’il est l’auteur d’un fait en établissant une relation de cause à effet directe entre son action et une ou des conséquences.
Seul un être supposé libre est tenu pour responsable. L’intention précède l’action : on se représente, donc on anticipe, les conséquences de son acte. Ce qui signifie : agir en connaissance de cause.
En vertu de ces principes, nul n’est responsable de ce qu’il n’a pas voulu. Or, ne pouvant pas prédire la totalité des évènements qui se produiront, nous ne sommes pas responsables de l’avenir, mais seulement des effets immédiats de nos actes.
Deuxième partie / Nos actes nous engagent au-delà de nos intentions
Les rappels de la première partie sont de nature à nous exonérer trop facilement de notre responsabilité. À la lettre, ils signifieraient par exemple que si je n’entretiens jamais ma voiture parce que je n’ai pas d’argent ou que je n’y connais rien, je ne suis pas responsable du fait que l’une de mes roues s’est détachée et a causé un accident.
Nous sommes donc aussi responsables en partie de ce que nous n’avons pas consciemment voulu et qui se produit à la suite des choix que nous avons opérés. Aristote faisait remarquer à ce titre que le fait de contracter une mauvaise habitude qui diminue ma marge de liberté (par exemple fumer), engage ma responsabilité, car je suis bien l’auteur de la série des actes qui ont contribué à cette perte de liberté.
Troisième partie / Nous avons le devoir moral de nous soucier des conséquences de nos actes à long terme
Il faut trouver un moyen terme entre n’être responsable de rien et être responsable de tout. Le sujet nous invite à le penser. En effet, nous ne sommes pas devins mais, pour autant, nous avons de plus en plus les moyens d’anticiper les conséquences individuelles et collectives de nos conduites.
Se pose alors la question du futur : jusqu’à quel point sur l’échelle du temps les conséquences des mes actes m’engagent-elles ? Cinq ans, dix ans, cent ans ?
Dans le contexte de la crise environnementale, Hans Jonas nous permet d’apporter une réponse en contournant la question qui constitue, ainsi formulée, un faux problème, car il n’existe aucun signe objectif permettant de mettre en lien un acte avec ses potentielles conséquences à long terme. En revanche, dit-il, faire preuve de responsabilité quant à l’avenir, c’est agir en prenant toujours comme l’une des finalités la préservation des conditions de vie sur terre pour les générations futures.
Conclusion
Nous ne sommes à proprement parler jamais responsables de l’avenir qui, par définition, est incertain et contingent. Mais il est de notre responsabilité morale d’associer aux buts personnels poursuivis une dimension collective et projective. Nous sommes ainsi responsables de l’état de la terre que nous laisserons à nos enfants dès maintenant.
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