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lundi 4 janvier 2021

«Les femmes qui ont des problèmes d’alcool ne sont pas celles que l’on croit»


 


Par Charles Delouche-Bertolasi — 3 janvier 2021

«Les femmes qui ont des problèmes d’alcool ne sont pas celles que l’on croit»

«Les femmes qui ont des problèmes d’alcool ne sont pas celles que l’on croit» Photo Victor Fraile. Reuters

Pour Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et addictologue, l'alcoolisme féminin est devenu un «problème majeur» en France qui concerne souvent un public «instruit» et «très diplômé».

Deux ouvrages sur un même sujet, complexe et méconnu, sont attendus en ce début d’année en librairie. Deux femmes journalistes font le récit de leur combat pour arrêter l’alcool : Stéphanie Braquehais publie Jour zéro (l’Iconoclaste) et Claire Touzard Sans alcool, le jour où j’ai arrêté de boire (Flammarion). Une addiction contre laquelle lutte Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et addictologue. Présidente fondatrice de l’association Addict’elles, elle est l’auteure de les Femmes face à l’alcool : résister et s’en sortir (Odile Jacob) publié en 2010. Depuis plus de dix ans, elle dirige au centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) de l’hôpital Sainte-Anne à Paris une consultation destinée aux femmes qui souffrent de problèmes d’alcool.

Quels sont les profils des patientes qui viennent à vos consultations ?

Les femmes qui boivent et qui ont des problèmes d’alcool ne sont pas celles que l’on croit. On s’imagine plutôt des femmes dans la précarité, ce sont en vérité des femmes très instruites, très diplômées, avec souvent des responsabilités managériales. Cela se manifeste par une alcoolisation seule, souvent le soir, dans un contexte dépressif ou d’ennui. Avec une culpabilité du lendemain systématique. L’alcool est un problème majeur et il est de plus en plus accompagné de cocaïne chez les femmes.

Observez-vous des facteurs déclencheurs ou des prédispositions particulières ?

Il existe des terrains à risque, des antécédents familiaux ou de traumatismes, liés souvent à des violences sexuelles, physiques ou psychiques. Ce sont des antécédents de maltraitance générale qui pèsent très lourd. Des femmes sujettes à la violence en permanence. Avant, pendant et après la consommation d’alcool.

Comment expliquer le tabou autour de la consommation d’alcool chez les femmes ?

Lorsqu’une femme a un problème d’alcool, elle est vue comme si elle ne pouvait pas se tenir, avec la présence de la notion de désinhibition sexuelle. On s’affole lorsqu’une femme à un problème de produits illicites comme le cannabis, la cocaïne ou les médicaments. Mais on méprise une femme qui boit. Les gens pensent que c’est une question de volonté. Que si elles veulent, elles peuvent. Tout le problème est là. Il ne faut jamais être dans un registre moralisateur ni dans la répression. C’est la raison pour laquelle la première chose qu’elles abordent en consultation est la question de la honte. Elles viennent parfois après quinze ou trente ans d’évolution, avec de très gros problèmes psychiatriques, somatiques, sociaux ou même administratifs.

Jamais l’alcoolisme féminin n’a été autant exposé. Comment expliquer cette tendance ?

Les jeunes femmes boivent de plus en plus tôt. Or plus la consommation d’alcool est précoce, moins bon est le pronostic. Il n’y a qu’à voir les campagnes publicitaires autour des femmes. Elles et les jeunes sont les nouvelles cibles des alcooliers. La femme est l’avenir du vin selon le credo des industriels. Si on regarde les dernières campagnes publicitaires, on voit que les bouteilles de pastis ont changé, que les verres donnés en promotion sont effilés, féminisés. Les étiquettes des bouteilles de vin changent également, avec des motifs épurés et stylisés. L’alcool est désormais souvent associé à la femme élégante, fortunée, qui a du pouvoir. Il y a aussi l’enfer des courses : lorsque nos patientes sont en cours de soin et qu’elles se battent pour être abstinentes, elles ont beau éviter les rayons spécialisés, l’alcool les suit jusqu’aux caisses. Dans certaines grandes surfaces, les produits alcooliers se rapprochent de ceux dédiés aux femmes, type serviettes hygiéniques ou savon. Tout ça est très bien étudié.


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