Le texte, qui devait être examiné par la Commission des lois mardi 1er décembre, est un pas de plus vers une justice des mineurs toujours plus semblable à celle des majeurs, dénonce un collectif dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Le Parlement s’apprête à substituer un « code de justice pénale des mineurs » à l’emblématique ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante signée Charles de Gaulle qui, en préambule, écrivait : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour en perdre un seul…» Si ce projet est adopté, le juge des enfants n’instruira plus, le rôle du parquet sera renforcé, la nouvelle procédure ouvrira grandes les vannes vers le flagrant délit pour les mineurs. Un nouveau pas sera franchi pour rapprocher cette justice des enfants de celle des adultes.
La délinquance des jeunes a-t-elle à ce point mué pour qu’il faille changer d’instrument juridique ? Non. Elle baisse depuis cinq ans et ne représente plus que 13,5 % de la délinquance des adultes, contre 20 % dans les années 2000 ! (Selon les chiffres du ministère de la justice). Elle est certes plus violente que par le passé, comme l’ensemble de la délinquance, mais gardons raison : les jeunes en conflit avec la loi ne sont pas des barbares, ce sont des enfants en carence éducative, qui présentent parfois des troubles de la personnalité.
Intervention systématique
L’instrument juridique actuel est-il inadapté ? Non, encore. Il permet d’intervenir systématiquement – le taux de classement sans suite pour les mineurs est de 6,5 %, quand il est de 12 % pour les adultes – et rapidement… dès lors que les services de police ont fait leur travail. Or le taux d’élucidation des faits par la police reste extraordinairement bas. Il permet de réagir vite à l’interpellation.
Dans les vingt heures suivant la fin de la garde à vue, le jeune peut être présenté à un juge avec possibilité de détention provisoire ou de contrôle judiciaire, avec, notamment, placement en centre éducatif fermé. Et les parquets ne se privent pas de faire déférer les mineurs ! Exceptionnellement, le jeune peut être jugé à la première audience utile du tribunal pour enfants où il encourt une peine de prison ferme. Entre-temps auront été prises les mesures d’ordre public qui s’imposent.
La justice pour enfants serait laxiste ? 850 jeunes sont actuellement en prison (et environ 600 en centres éducatifs fermés, initialement réservés aux multi-réitérants), avec une nette augmentation des incarcérations ces dernières années. Alors que la loi veut que le recours à la répression soit exceptionnel, 45 % des décisions prises le sont dans ce registre.
Inefficace ? Dans 85 % des cas (rapport du sénateur Jean-René Lecerf, 2011), un jeune délinquant avant sa majorité ne l’est plus après, s’il a été pris en charge par un juge et par la Protection judiciaire de la jeunesse.
Alors, pourquoi modifier fondamentalement un texte, l’ordonnance du 2 février 1945, régulièrement mis à jour ? On entendrait répondre à une décision du Conseil constitutionnel de 2011, qui, à rebours de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, a tenu le juge des enfants pour partial quand il exerce le double rôle d’instruction et de jugement des faits, oubliant au passage qu’il suit aussi l’exécution de la sanction. Or cette connaissance préalable du jeune est la garantie du suivi éducatif dont il a manqué jusque-là.
Ce projet a surtout comme objectif affiché de juger toujours plus vite, au détriment du travail éducatif pourtant essentiel pour un enfant en délicatesse avec la loi
Le juge des enfants n’instruisant plus, le parquet sera chargé de fournir des dossiers « prêts à juger ». Qu’aurait produit cette future loi lors des révoltes de 2005 alors que, dans 45 % des cas, les juges des enfants ont refusé de mettre en examen par manque de preuves rapportées ?
Ce projet a surtout comme objectif affiché de juger toujours plus vite, au détriment du travail éducatif pourtant essentiel pour un enfant en délicatesse avec la loi. Comme si l’enjeu n’était pas plutôt de réagir vite aux carences éducatives, y compris par des mesures fermes. Ce n’est pas d’être tenu pour coupable qui permettra au jeune de rompre avec une séquence de vie difficile, mais le fait de retrouver de l’espoir, des perspectives et déjà de l’estime de soi par la mobilisation d’adultes présents et équilibrés.
Qu’on ne s’y trompe pas, en jugeant vite demain, on pense qu’on jugera fort. On met en place un dispositif visant à « éliminer » provisoirement du circuit des jeunes tenus pour dangereux ; mais en quoi protégera-t-on mieux la société si rien de plus n’est fait au fond pour changer leurs conditions de vie ?
Prévenir la primo-délinquance
L’enjeu n’est pas de modifier la loi, mais de l’appliquer. En quoi cette réforme répond-elle à l’appel des juges pour enfants de 2018 [paru dans Le Monde le 5 novembre 2018] dénonçant la difficulté à mettre en œuvre les mesures éducatives prises tant au pénal qu’en protection de l’enfance ?
On ne s’attaque pas mieux à la récidive, et on ne s’attache toujours pas à prévenir la primo-délinquance : tous les éléments du dispositif de soutien à la parentalité – Protection maternelle et infantile (PMI), service social scolaire, santé scolaire, psychiatrie infantile, prévention spécialisée – sont aujourd’hui en souffrance. Trop d’enfants, avec des parents eux-mêmes en difficulté, sont donc plus que jamais abandonnés à eux-mêmes. On peut s’inquiéter de l’état de nos prisons dans cinq à dix ans.
Pour couronner le tout, on affiche vouloir respecter (enfin !) la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui veut qu’un seuil d’âge minimal soit fixé pour réduire le recours à la justice. En principe, avant 13 ans, un enfant ne pourra plus être poursuivi et condamné, sauf aux magistrats d’estimer qu’il avait conscience de ses actes. On sera donc toujours amené à rechercher le discernement qu’on tient aujourd’hui pour acquis autour de 7-8 ans. Où est la différence par rapport au droit actuel si cette présomption d’irresponsabilité n’est pas absolue ?
Premiers signataires : Dominique Attias, avocate au barreau de Paris ; Jean-Louis Auduc, ancien directeur d’études de l IUFM de Créteil ; Josiane Bigot, magistrat honoraire, présidente de la Convention nationale des associations de protection de l’enfance (CNAPE) ; Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants ; William Bourdon, avocat à la cour de Paris ; Catherine Dolto, médecin ; Michel Fize, sociologue et écrivain ; Georges Labazée, vice-président du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) ; Christine Lazerges, professeure émérite, ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ; Claude Roméo, ancien directeur « enfance et famille » de Seine Saint-Denis ; Jean-Luc Rongé, président de DEI-France ; Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat honoraire, président de l’association Espoir ; Isabelle Santiago, ancienne vice-présidente du Conseil départemental du Val-de-Marne, chargée de l’enfance ; Michel Wieviorka, sociologue ; Maxime Zennou, directeur général du Groupe SOS Jeunesse. Pétition et liste complète des signataires sur : Change.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire