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vendredi 8 janvier 2021

« Il est crucial d’aider les enfants à installer les écrans dans un cercle vertueux »


 



Les écrans doivent être mis au service de l’éducation et permettre à chaque enfant de développer sa créativité et son sens critique, préconise, dans une tribune au « Monde », un collectif de quatre personnalités impliquées dans le secteur de la formation et de l’édition.

Publié le 06 janvier 2021


L’application Musical.ly, désormais TikTok, sur un téléphone en 2018.

Tribune. Addictifs et fondamentalement nocifs, les écrans sont spontanément pensés par la plupart d’entre nous comme un des maux principaux de notre époque : ils s’immisceraient dans nos cerveaux pour nous hypnotiser et maltraiteraient l’esprit de nos enfants, ils désocialiseraient les individus et ruineraient notre monde commun… On a beau reconnaître la place centrale que les écrans ont pris dans nos vies, ainsi que leur utilité indéniable, nous sommes tous intarissables lorsqu’il s’agit d’égrener la liste de leurs vices.

Là est le paradoxe : nous ne cessons de dénigrer un outil dont nous ne pouvons plus nous passer et vis-à-vis duquel notre ambivalence est notoire. L’attitude de la plupart des parents en est le symptôme le plus révélateur : c’est smartphone en main qu’ils s’agacent contre l’addiction de leurs enfants et c’est tout en rédigeant un texto qu’ils menacent sans cesse leur progéniture de leur confisquer leurs écrans.

Et si nous méditions sur notre rapport passionnel aux écrans et la nervosité ambiguë qu’ils génèrent ? Avec sang-froid et honnêteté nous pourrions veiller à ne pas plus les diaboliser que les diviniser.

Rester maîtres de la situation

Les écrans sont parmi nous. C’est un fait. Ils sont devenus indispensables et personne n’envisage de les voir disparaître. Nous n’avons plus le choix. On ne vivra plus sans eux. Mais nous pouvons rester maîtres de la situation.

Aujourd’hui, les écrans sont avant tout les vecteurs d’une révolution de l’information : celle d’un flux infini et désordonné, parfois même de l’infox, et celle d’algorithmes cyniques, chargés de capter notre attention car c’est ce qu’il y a de plus facile et de plus rentable à produire. Demain, ils seront ce que nous déciderons d’en faire.

Alors plutôt que de nous lamenter, tout en les utilisant toujours plus, pourquoi ne pas agir, en répondant à la question essentielle : comment rendre les écrans bénéfiques pour notre humanité ?

Et si nous cherchions à transformer le risque que les écrans présentent en une force ? Notre devoir est d’engager une profonde réflexion, à la fois pragmatique et créative, pour transformer un outil dont la nocivité sur le développement de l’esprit est parfois bien réelle en un outil socialement utile et intellectuellement profitable.

Connaître l’outil

Et si les écrans, plutôt que de nous extraire du monde, pouvaient nous aider à l’améliorer de façon inclusive ?

Répondre à cet enjeu passe par une double exigence : promouvoir une formation à l’usage des écrans, ce qui est essentiel, et les utiliser au service de l’apprentissage et de l’éducation. Il est impératif de permettre à nos enfants de connaître les tenants et les aboutissants de l’outil qu’ils tiennent entre leurs mains. Il est crucial de les aider à installer cet outil dans un cercle vertueux, où l’apprentissage et l’éveil priment et où l’acquisition raisonnée des connaissances dessine un objectif clairement défini, ceci afin qu’ils deviennent des êtres libres et critiques face au flux continu d’informations de ce monde numérique.

Les « EdTech » désignent l’ensemble des nouvelles technologies chargées de faciliter l’enseignement et l’apprentissage. Leur mission est de répondre à ce défi. C’est un chantier considérable dans la mesure où il s’agit d’inventer, de créer et de produire des applications, des jeux, des outils et des formules d’intelligence artificielle dans une démarche responsable, citoyenne, démocratique et éthique, au service d’une mission éducative.

Or, ici, plusieurs points fondamentaux et contradictoires sont à noter : si le mot EdTech circule de façon récurrente, force est de constater que leur impact sur la société est encore faible. Il y a certes de très bonnes démarches, mais il existe peu de produits, qui plus est techniquement assez limités et peu ambitieux car les budgets ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.

Immense potentiel

Il est temps d’une prise de conscience : ces démarches ne peuvent pas être menées de manière timide, craintive, voire réticente. A l’inverse, Il faut exploiter l’immense potentiel de l’outil numérique, comprendre ses ressorts et son fonctionnement en étudiant comment les enfants peuvent s’en emparer en devenant actifs, de façon extrêmement maîtrisée. Si nous contenons la place que nous laissons aux écrans, conscients de leurs méfaits lorsqu’ils sont envahissants, concernant la détérioration de la vision, l’appauvrissement des interactions sociales, les dépendances, les addictions, les contenus inadaptés ou nocifs… si nous veillons donc à éviter ces écueils, nous pouvons faire confiance à certains de leurs effets positifs.

Les EdTech devraient faire partie intégrante de notre monde informatique, tant par leur qualité que par leur quantité, en rendant ces projets attractifs et intelligents.

Idéalement, c’est de façon collégiale que nous devrions tous collaborer, enfants, parents, professeurs, institutions, afin de permettre aux enfants de s’emparer différemment de l’objet numérique. Nos écrans devront fédérer au lieu d’isoler, renforcer au lieu d’affaiblir.

On rétorquera que ce serait trouver la formule de la quadrature du cercle ? En vérité, nous n’avons plus le choix : nous devons prendre des initiatives numériques qui soient ludo-éducatives et responsables dans le monde tel qu’il existe. Ne laissons pas nos enfants se perdre dans les écrans. Et n’offrons pas la promesse d’un marché de plus de 2 milliards d’enfants aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), dont l’ADN ne les pousse pas à réfléchir autrement qu’en termes de profits immédiats, sans se poser la moindre question sur la formation des esprits, ni sur les dommages que peuvent causer certains de leurs services.

Signataires : Emmanuel Freund est entrepreneur et fondateur de la start-up PowerZ ; Charlotte Poussin est membre du conseil d’administration de l’Association Montessori de France, autrice de La Pédagogie Montessori (Que sais-je ? PUF, 2017) ; Célia Rosentraubest directrice générale des éditions Hatier-Foucher (groupe Hachette) et présidente de l’association Les Editeurs d’éducation ; Pascal Ruffenach est président du directoire et directeur général du groupe Bayard (J’aime LireAstrapiOkapi…) 


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