Alors que les grandes associations ont dû se réorganiser face à l’impossibilité pour de nombreux bénévoles âgés de se mobiliser, de nouveaux réseaux d’entraide voient le jour, notamment au niveau du quartier.
Par Isabelle Rey-Lefebvre Publié le 23 décembre 2020
Les demandes d’aide alimentaire ne faiblissent pas et touchent un public de plus en plus large dont les revenus ont été déstabilisés par les confinements : la Croix-Rouge constate une hausse des besoins de 40 % et une affluence accrue, chômeurs (+ 64 %), travailleurs pauvres (+ 63 %), retraités (+ 37 %), étudiants (+ 23 %), travailleurs indépendants, commerçants…
Les grandes associations comme les Restos du cœur, la Croix-Rouge, le Secours populaire, le Secours catholique ou Emmaüs ont dû se réorganiser face à l’impossibilité pour de nombreux bénévoles âgés de se mobiliser. De nouveaux réseaux d’entraide de proximité, clubs de sport, écoles, voisins, au contact direct des ménages en difficulté, sont spontanément venus les compléter. Les réseaux sociaux leur permettent, en quelques clics, de mobiliser beaucoup de monde, de compétences, de ressources et de mettre en place une logistique complexe, à l’échelle du quartier. La Banque alimentaire, sorte de grossiste en dons qui approvisionne déjà plus de 5 000 structures, a d’ailleurs, dans la période, habilité pas moins de 250 nouvelles associations.
« Que du bio »
La dizaine de chaises que l’association Les Marmoulins ont disposées sur le trottoir, ce mercredi 2 décembre, le long de la façade de la Maison du bas Belleville, à Paris, sont déjà toutes occupées, deux heures avant le début de la distribution de paniers alimentaires, prévue à midi. La file d’attente ira jusqu’à soixante personnes, les dernières arrivées s’inquiétant de ce qui restera pour eux.
Alexandra – les prénoms ont été modifiés –, retraitée, est là parce que sa petite pension de 800 euros ne permet pas de nourrir la maisonnée comprenant, désormais, deux grands enfants et un petit-fils : « Ma fille, qui travaillait dans la banque, a été licenciée pour cause de restructuration. Et mon fils, électricien, n’a plus de boulot, alors ils sont revenus à la maison. Heureusement, j’ai une HLM », soupire cette grand-mère redevenue soutien de famille.
A ses côtés, son amie Catherine, 68 ans, ancienne aide à domicile, peste contre la baisse de son allocation personnalisée au logement, passée de 197 à 62 euros, au prétexte que sa pension avait, elle, été légèrement réévaluée à 1 034 euros : « Entre le loyer HLM, l’électricité, la mutuelle, il ne reste rien », confie-t-elle. Un peu plus loin, une jeune mère de famille, assistante de vie scolaire avec 700 euros de salaire et qui arrondissait ses fins de mois avec des petits bricolages à domicile que la crise sanitaire rend impossibles, vient chercher de quoi remplir le réfrigérateur pour ses jeunes enfants.
La marchandise arrive, comme prévu, à 11 heures, dans la camionnette de l’association « achetée 5 500 euros avec les deniers des bénévoles », se félicite Yves Leccia, président des Marmoulins. Quelques minutes suffisent à tout débarquer : « On ne distribue que du bio, insiste-t-il. Des invendus de Rungis où nous avons nos fournisseurs. » Aujourd’hui, ce sont courges, aubergines, raisin, poires, kakis, steaks de soja, coriandre, persil, basilic, citrons et des paquets de pâtes qu’un riverain a offerts.
« Tout le monde sera servi »
Les Marmoulins, c’est, au départ, en 2015, une bande de cinq copains passionnés de musique et de cycles. La boutique de réparation de vélos de l’un d’entre eux, Yoann Baillou, est devenue le quartier général. D’autres les ont rejoints, jusqu’à atteindre une cinquantaine de bénévoles. « On est tous du quartier, des amis d’amis, et on se relaie dans les approvisionnements et les distributions afin que tout le monde fasse quelque chose, que personne ne s’installe dans un rôle », explique Octavio Espirito Santo, 64 ans, ancien directeur de la photo dans le cinéma. Ce jour-là, Françoise, régisseuse intermittente du spectacle, est chargée du stock : « Il n’y a plus de boulot alors on s’occupe », dit-elle en souriant. Elle est secondée par Mohamed, assistant décorateur dans le cinéma, Mefissa, organisatrice de séjours linguistiques en Irlande, également privée de travail et dont un atout précieux est de parler arabe…
« Tout le monde sera servi, on ne demande pas la “carte de pauvre”, rassure Yves Leccia. Rien ne se perd, ce qui ne sera pas distribué sera offert à la Mission évangélique, place Sainte-Marthe, et à la Cantine des Pyrénées »voisines. Les Marmoulins font partie d’un réseau francilien d’une quinzaine d’associations de quartier comme les Chômeurs de l’Essonne ou les Squatteurs d’Evry, qui mettent leurs marchandises en commun pour diversifier leurs paniers. « Lorsqu’on a une palette entière de concombres, on le signale sur notre boucle Telegram et on partage », explique Valérie Martin, plasticienne et cofondatrice de l’épicerie participative et coopérative Les Amis de l’Ep’autre, à Juvisy-sur-Orge (Essonne), qui livre des denrées aux familles hébergées dans les hôtels sociaux de l’accueil de jour local de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ou encore à la maison des jeunes et de la culture qui contribue, elle aussi, à la distribution de l’aide alimentaire.
Le Club olympique de Vincennes (Val-de-Marne) a, lui, constitué une cagnotte de 7 000 euros pour aider ses adhérents en difficulté « car il y en a aussi dans notre ville réputée aisée », confie Frédéric Chevit, son président.« Comme notre club de football n’a pas fonctionné au deuxième trimestre, nous avons proposé à notre millier de membres de leur rembourser 50 euros sur la cotisation annuelle de 310 euros, en leur laissant la possibilité de verser cette somme dans la cagnotte, s’ils le souhaitaient. Et 124 adhérents ont choisi la solidarité », se félicite-t-il. Tout a été investi dans l’achat de denrées et de produits d’hygiène distribués, à domicile, à une vingtaine de familles. En tête des demandes préalablement recueillies : boîtes de thon, fruits et couches pour bébé, tous achetés à la supérette d’un des adhérents qui a consenti de grosses remises.
Dans les quartiers nord de Marseille, Salim Grabsi, professeur au lycée Diderot, a pris la tête du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM) et fédéré un réseau de 54 associations pour distribuer des colis alimentaires avec, comme base logistique, l’ancien McDonald’s de Sainte-Marthe, fermé en décembre 2019 mais longtemps occupé par ses salariés. « Nous avons, un temps, espéré obtenir l’accord de McDonald’s France mais, face à l’urgence sociale, nous avons réquisitionné le restaurant en avril, explique M. Grabsi. Les employés sont formés, les frigos sont là et, la dernière semaine de novembre, nous avons dépassé les 3 500 colis par semaine » pour des bénéficiaires dans toute la ville.
A Toulouse, dans le quartier de Bellefontaine, au Mirail, une trentaine de jeunes du collectif Les Invisibles, constatant, dès le mois de mars, le désarroi de leurs voisins, des familles entières qui n’arrivaient plus à se nourrir, ont fait appel aux dons, collecté des invendus et organisé la distribution de vivres à 750 personnes chaque semaine. « Nous avons enfin obtenu notre agrément auprès de la Banque alimentaire mais nous manquons d’un local stable et avons toujours autant de mal à nous faire reconnaître par la municipalité et la préfecture qui se méfient de nous, regrette Lina Duprat, ex-salariée de la régie de quartier. Qu’ils viennent voir ce que l’on fait : nous sommes sans doute inexpérimentés mais nous ne demandons qu’à nous améliorer. »
Les Enfants de Coluche et Alimentation Solidaire 33, à Bordeaux, sont des associations de lutte contre le gaspillage alimentaire et pour le mieux manger au service des plus pauvres. Elles irriguent une quinzaine de squats pas toujours bien repérés par les grands acteurs de la solidarité, dont la « Zone libre » de Cenon où vivent 300 migrants dont 110 enfants. « Il y a des poubelles pleines et des ventres vides : avec la camionnette que nous avons achetée, nous ramassons les invendus au marché de Bordeaux Brienne, témoigne Adrien Doutreix, infirmier et l’un des animateurs d’AS33. La Banque alimentaire a été très réactive et nous a soutenus avant même notre habilitation. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire