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mardi 1 décembre 2020

La Cour des comptes étrille l’organisation de la protection de l’enfance

Dans un rapport publié lundi, les magistrats financiers mettent en cause les inégalités territoriales et réclament une meilleure coordination des services de l’aide sociale à l’enfance avec ceux de la justice.

Par  Publié le 30 novembre 2020

Fin 2018, près de 330 000 jeunes (306 800 mineurs et 21 400 jeunes majeurs) étaient pris en charge au titre de la protection de l’enfance en France. De la simple mesure éducative jusqu’au placement, cette mission est dévolue aux départements depuis les lois de 1983 sur la décentralisation, et en grande partie assurée par le secteur associatif. Le coût de cette politique publique s’élève à 8,4 milliards d’euros par an, dont 7,99 milliards à la charge des départements. C’est donc bien à un « enjeu social majeur », comme elle le définit elle-même, que la Cour des comptes consacre un rapport au titre éloquent « La protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant », rendu public lundi 30 novembre.

Ce n’est pas la première fois que les magistrats financiers se penchent sur la thématique. En 2009 déjà, un rapport soulignait les fragilités de la protection de l’enfance et formulait 27 recommandations, adressées soit à l’Etat, soit aux départements, soit aux deux conjointement. Force est de constater que, onze ans plus tard, ces dernières n’ont, « pour une majeure partie », pas été prises en compte. Elles sont en partie réitérées dans les dix recommandations qui concluent le nouveau rapport.

En 168 pages, les magistrats étrillent un système manifestement à bout de souffle, marqué par d’importantes disparités territoriales. En effet, malgré deux lois ambitieuses (en 2007 et 2016), le cadre fixé demeure en partie inappliqué. Avec une exception, relevée par la Cour : les cellules de recueil des informations préoccupantes qui sont « fonctionnelles dans l’ensemble des départements » bien que de manière imparfaite.

Iniquités territoriales

Pour le reste, l’organisation complexe du système, qui se trouve à la croisée de plusieurs ministères et fait intervenir à la fois une autorité administrative (le département) et judiciaire (le juge des enfants), s’illustre par la faiblesse de sa gouvernance et un pilotage défaillant. En cause, estiment les magistrats, « une multiplicité d’instances aux missions enchevêtrées, aux moyens limités, dont la coordination est chronophage ».

Le manque cruel de référentiels communs qui permettraient de lutter contre les iniquités territoriales est pointé. De l’Aisne aux Bouches-du-Rhône, chaque département procède à sa manière, tant pour l’évaluation du danger, le nombre de mesures suivies par les travailleurs sociaux, que pour le contrôle des établissements accueillant des mineurs protégés. Des disparités qui s’illustrent notamment dans la prise en charge des mineurs non accompagnés, originaires de pays étrangers et demandant la protection de la France, lesquels prennent une place croissance dans le dispositif.

Par souci d’équité, « clarification et simplification » devraient être les mots d’ordre, considèrent les magistrats. Ils proposent ainsi qu’au niveau de l’Etat le pilotage soit confié à la direction générale de la cohésion sociale, avec le renforcement du rôle de l’Observatoire national de la protection de l’enfance et la suppression d’une autre instance, le Conseil national de la protection de l’enfance, créé par la loi de 2016. Autre recommandation : que le préfet soit l’interlocuteur du président du département concernant le déploiement de cette politique.

Un chantier est en outre présenté comme absolument nécessaire : la meilleure coordination des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) avec ceux de la justice, sachant que les juges des enfants sont à l’origine de 75 % des décisions de prise en charge.

Globalement, s’alarme la Cour, les délais importants ayant cours en protection de l’enfance, qu’il s’agisse du traitement des cellules de recueil des informations préoccupantes et de l’exécution des délais de justice, « peuvent nuire gravement à l’enfant ». Ainsi, « l’indicateur du nombre de mineurs en attente de suivi éducatif se dégrade sensiblement sur la période étudiée (+ 8,6 % depuis 2014), preuve de la difficulté des départements à assurer leur mission ».

Parcours chaotiques

Pour les magistrats, l’absence de vision à long terme concernant le devenir des enfants fait cruellement défaut. Elle se heurte, relèvent-ils, à une caractéristique française : le maintien à tout prix des liens avec la famille d’origine. Or, « appréhender le parcours des enfants sur le long terme suppose de clarifier la relation avec leurs parents, d’une part en évaluant les compétences parentales et d’autre part en envisageant si nécessaire des adaptations du statut de l’enfant et des modifications de l’exercice de l’autorité parentale ». Sauf que la procédure de délaissement parental, introduite dans la loi de 2016 dans ce but, reste à ce stade fort peu utilisée.

Conséquence de la difficulté des pouvoirs publics à élaborer une solution adaptée aux besoins des enfants protégés : les parcours souvent chaotiques de ces derniers, malgré l’existence d’outils comme le « projet pour l’enfant », instauré en 2007, censé garantir sa bonne prise en charge mais qui « se heurte, en pratique, à de nombreux écueils ». Dès lors, au « couperet » des 18 ans, en raison « du caractère facultatif des contrats jeunes majeurs », l’insertion sociale de ces jeunes apparaît très difficile, comme en témoigne la forte proportion d’anciens de l’ASE chez les sans-abri.

Dernier enjeu soulevé dans le rapport : celui des ressources humaines du secteur, qui peine à recruter. « Cette situation ne saurait cependant justifier le recours, de plus en plus fréquent, à des personnels moins qualifiés ou à l’allégement de la surveillance des obligations attendues en la matière, au premier rang desquelles figure le contrôle des antécédents judiciaires », met en garde la Cour. Concernant la situation des assistants familiaux, qui accueillent une part importante des enfants placés, elle note qu’« il est indispensable de renforcer l’attractivité du métier et de leur apporter un meilleur appui ». C’est justement un des chantiers de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, lancée en 2019 par le secrétariat d’Etat à l’enfance.


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