— 30 novembre 2020
Pablo,à Paris pendant le premier confinement.Image extraite de la série 120mm.
Photo Cyril Zannettacci. Vu
Avant l’épidémie, les services de psychiatrie infanto-juvéniles alertaient déjà sur leur manque de moyens. Aujourd’hui, les besoins vont croissant sans réel dispositif pour assurer un suivi de qualité.
Tribune. L’épidémie de Covid, les confinements, le premier surtout, ont ajouté une vague aux demandes déferlant sur la psychiatrie infanto-juvénile. En effet, à ces occasions, ont surgi de nouvelles problématiques et des situations connues ou pas de nos services se sont aggravées ou ont décompensé.
Les besoins de soins se multiplient pour des jeunes, sans antécédents notables, déclarant des troubles anxieux axés souvent autour de phobies diverses ou de la peur d’étouffer. D’autres manifestent des états anxio-dépressifs où se mêlent la peur d’attraper le virus, la peur et la culpabilité de le transmettre à leurs parents, la peur que leur parent meure… Chez quelques-uns, ces troubles ont une base réelle dans la mort d’un proche (grand-parent, parent). Chez d’autres apparaissent des troubles obsessionnels compulsifs, des entrées dans la psychose. L’épidémie de Covid est ainsi un facteur déclencheur sur des terrains fragiles et prédisposés à des troubles psychiques.
Nous accueillons aussi des situations d’enfants, de collégiens «décrocheurs» lors des cours à distance. Sur le plan académique, des disparités s’accentuent. Elles se manifestent aujourd’hui par des retards dans les apprentissages et leur cortège de troubles du comportement en milieu scolaire.
Nous devons aussi prendre en charge des enfants affectés de troubles plus ou moins importants – inhibition, énurésie secondaire, troubles du comportement, agressivité, crises clastiques – et liés autant à leur mal-être qu’à celui de leurs parents. En effet, un enfant est tributaire de son environnement, ses parents en premier lieu, et poreux à leur état mental. Or les adultes sont affectés à plusieurs égards par cette crise du Covid et ses conséquences sociales.
De l’anxiété à l’angoisse
Chez les parents, de l’anxiété, de la dépression sont occasionnées par une perte d’emploi, la crainte du chômage. Cette situation est majorée par le devoir de prendre le relais de l’école auprès des enfants, la culpabilité de ne pas y arriver, des ressources insuffisantes, un emploi précaire, voire non déclaré, une situation sans papiers, un logement exigu où une famille nombreuse se retrouve confinée plusieurs mois avec des risques accrus de transmission du virus. Cette conjoncture est source de préoccupations telles que leurs objets finissent par se mélanger jusqu’à générer de l’anxiété voire de l’angoisse.
Dans ce contexte, les parents relâchent leur vigilance quant aux «écrans». Pour un certain nombre d’enfants, les périodes de confinement sont l’occasion d’une augmentation de la «consommation» de jeux vidéo et de réseaux sociaux, voire de l’origine ou du renforcement d’une addiction dont on connaît les conséquences : bouderies, pleurs, auto ou hétéroagressivité lors du sevrage, comportements face auxquels les parents réagissent comme ils peuvent: le laisser faire et l’autoritarisme sont les deux faces d’une même médaille et renforcent dans tous les cas des boucles interactives délétères.
Dans les familles lors des confinements, les cris se multiplient, ceux des parents, ceux de l’enfant d’autant qu’il est insécurisé par le mal-être de ses aînés. Le psychisme est dès lors débordé pouvant générer des passages à l’acte de la part du parent, de la maltraitance notamment, sur l’enfant ou une autre personne, la femme le plus souvent. Victimes ou témoins de ces agissements, des enfants s’enferment dans un mutisme ou dans une dépression, d’autres réagissent par de l’agitation ou des troubles du comportement, déclencheurs potentiels de nouveaux actes maltraitants de la part du ou des parent(s). D’autres reproduisent ces actes violents à l’égard de leur fratrie ou dans le milieu scolaire.
Dans cette période, particulièrement lors du premier confinement, la poursuite du panel de soins nécessaires est contrainte. Aussi, chez des bébés à risque ou chez des enfants avec autisme, sont observés, des régressions importantes des acquis et des comportements (stéréotypies, cris, autostimulation…). Faute de sorties, des patients sans langage manifestent leur mal-être par des comportements à l’origine de spirales délétères : les plaintes du voisinage, l’inquiétude majorée des parents ont une répercussion sur l’enfant.
Le confinement aggrave aussi des crises autour d’un adolescent. Mouvement de transformation, l’adolescence est arrêtée dans son élan de séparation nécessaire. Contraint à la promiscuité, un adolescent déprime ou décompense sur un mode bruyant, un autre rejoint l’espace virtuel des jeux vidéo au détriment du travail scolaire. Inquiets, les parents le bousculent, font intrusion dans son espace intime, se replient sur des positions autoritaires, poussant l’adolescent à des réactions explosives; on entre ainsi dans un engrenage qui nécessite au minimum l’intervention d’un tiers.
Le manque de rééducateurs
Bref, les services de psychiatrie infanto-juvéniles sont débordés par un afflux de demandes alors qu’ils alertaient, avant cette épidémie, sur leur manque de moyens. Les besoins vont croissant à mesure que le malaise social, la précarité, les effets nocifs de l’environnement (perturbateurs endocriniens…) augmentent. Manque de rééducateurs : il n’y a quasiment plus d’orthophonistes dans le secteur public et ceux du libéral affichent complet. Faute de moyens suffisants, nous devons adresser les enfants à des psychomotriciens du libéral, soins à peine remboursés par l’assurance maladie. Quand elle est accordée, une demande d’aide à la Maison du handicap contraint à différer les soins de plusieurs mois.
Or, certains troubles psychiques de l’enfant nécessitent une réponse rapide ou des soins et rééducations soutenus. Les pédopsychiatres partent progressivement à la retraite et la récente réforme de l’internat rend improbable la possibilité d’une relève. Les propositions des Agences régionales de santé (ARS) se tournent vers la création de plateformes de diagnostics et d’évaluation qui ne résolvent en rien le problème des soins et du suivi des patients. Enfin le projet de réforme du financement de la psychiatrie, prévue pour 2022 va aggraver la situation. Le financement des services sera, en partie, proportionnel à leur file active. Cet équivalent de la T2A qui a été dénoncé en Médecine-chirurgie-obstétrique revient en force en psychiatrie et obligera les services à privilégier le suivi annuel d’un nombre maximal de patients, au détriment d’un suivi de qualité et relatif aux besoins de chacun.
Adultes responsables, positionnons les enfants et l’environnement en visée de tout choix politique et économique.
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