blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

lundi 30 novembre 2020

Avoir 18 ans l’année du Covid-19 : des jeunes entre amertume et angoisse

Nés en 2002, ils devaient fêter leur majorité en 2020. Mais la pandémie a fauché ce moment charnière inoubliable, et les a privés de ce rite de passage comme de l’insouciance propre à leur âge.

Par  Publié le 27 novembre 2020

La fête de leurs 18 ans se joue à la roulette russe. Né en avril ? Confinement, on oublie les réjouissances… Né en juillet ? Déconfinement, fiesta ! Fin octobre ? Couvre-feu, au lit avec les poules. Novembre ? Reconfinement, pas de bol… Pour qui est né en 2002, la célébration, tant attendue, de la majorité dans l’excitation et les effluves d’alcool tient du coup de chance.

Côté veine, Mathieu, qui étudie de près mais à distance la communication à l’IUT de Troyes. Le 22 juin, il a pu réunir chez lui une trentaine de copains, même si la « peur qu’un cluster se développe dans la maison » lui traversait régulièrement l’esprit. Versant malchance, Matthéo, à Grande-Synthe (Nord), né en octobre. Déscolarisé depuis deux ans, tout nouvellement en service civique, le jeune homme aux longs cheveux châtains avait, depuis belle lurette, planifié une fête mémorable dans une salle de quartier. « On aurait dansé toute la nuit, j’aurais joué avec mon groupe de metal. » Le Covid-19 a douché son enthousiasme. « Deux copains sont venus prendre un verre chez moi. Forcément, c’était un peu pourri. Je n’aurai pas de souvenirs. »

Hantise commune de cette génération du millénaire : débuter sa vie d’adulte dans le salon familial, devant un fraisier décongelé, entouré de papa, maman et la petite sœur. Rallumez les bougies, pas eu le temps de faire la photo, souris mon chéri ! En fac de psychologie derrière son ordinateur, Louise, 18 ans en décembre, a déjà fait une croix sur la soirée prévue dans un bar du Marais réservé aux filles, à Paris« C’était une affirmation, pour moi… Je me suis rabattue sur une fête à la maison, mais même ce plan-là tombe à l’eau. Ça va finir avec un gâteau… Il n’y aura pas d’avant, d’après. On va rester des ados tout cons dans notre chambre, à se péter les boutons. »

Attentes déçues

Ils ont 17 ou 18 ans, fréquentent encore le lycée quand ils ne tentent pas de se lancer dans les études, de travailler, déjà, ou simplement de trouver une raison de se lever le matin. « Les grandes étapes qui scandaient leur parcours pour devenir de jeunes adultes ont disparu, observe la sociologue Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS. L’âge des possibles, cette période de postadolescence où l’on jouit de sa liberté, est devenu l’âge des incertitudes angoissantes. Le Covid les a fait devenir vieux en quelques mois. » Il les a privés de rites de passage autant que d’insouciance. De cette légèreté propre à la prime jeunesse où les parents subviennent encore à l’essentiel, où la vie et le monde s’ouvrent, infinis, où les amours sont éphémères, les amitiés se croient éternelles.

Le bac ? En contrôle continu, hormis quelques épreuves en première. « Frustrant », pour Andréa, Rouennaise et majeure depuis février (« J’ai échappé à l’anniversaire confiné »)« Nos parents en font encore des rêves, de leur bac. C’est un passage à l’âge adulte, croit-elle. On voulait gérer les révisions, le stress, être mis à l’épreuve comme les autres, le réussir, le fêter. Cette expérience universelle marquante, je ne l’ai pas vécue. »

« L’été de mes 18 ans, je devais faire un tour d’Europe en train avec mes amies. On a fini à cinq dans le studio de famille de l’une d’elles, à Montpellier. On ne voulait pas tomber malades en Slovénie », raconte Anaïs

L’entrée à la fac ? Un faux départ… « L’université comme lieu d’apprentissage de l’autonomie, de découverte, y compris des rapports aux autres, est un univers mort », selon Mme Dagnaud. Après une semaine ou deux de travaux dirigés masqués, un siège sur deux laissé vacant, retour à la case familiale, à l’écran, au « débrouille-toi tout seul », peste Chérif, en première année de lettres étrangères appliquées à Lyon-II. « On n’a même pas de visioconférences, juste des fiches à rendre. A la maison, on peut vite être distrait, et tout le monde n’a pas une chambre à soi, les outils qu’il faut, il y en a qui bossent sur leur téléphone. Beaucoup vont lâcher l’affaire. » Les « amphis », la BU (bibliothèque universitaire), le RU (restaurant universitaire), les soirées du BDE (bureau des élèves), les bars du jeudi soir… Que reste-t-il des promesses étudiantes ?

Sur la liste des attentes déçues, noter encore : les soirées d’intégration ; les rencontres, même si « on ne se met pas la pression » ; le permis de conduire, les auto-écoles étant prises d’assaut, puis fermées ; le premier petit boulot d’été, introuvable ; donc, les premières vacances entre potes qui partent à vau-l’eau. Elève en khâgne au lycée Lakanal de Sceaux (Hauts-de-Seine), Anaïs, dont les yeux bruns rient au-dessus du masque, avait pourtant gagné des billets Interrail à un concours. « L’été de mes 18 ans, je devais faire un tour d’Europe en train avec mes amies. On s’en sortait pour 200 euros par personne, on avait tout prévu, tout réservé. Ça faisait un peu rêver. On a fini à cinq dans le studio de famille de l’une d’elles, à Montpellier. On ne voulait pas tomber malades en Slovénie. »

Sérieux, ces grands ados. « Trop sérieux, même », pour la professeure Marie Rose Moro, pédopsychiatre à la tête de la Maison des adolescents (Solenn), à Paris. « Ils intègrent trop les règles au détriment d’une certaine légèreté. Ce n’est pas bon pour eux, de transgresser aussi peu, cela va réduire leurs possibles. » Lorsqu’ils érigent des barricades de poubelles devant leur lycée, c’est pour une révolution… du « protocole sanitaire renforcé »Paul, 17 ans, en terminale au lycée Charlemagne, à Paris, a eu droit, le 6 novembre, à une sortie « découverte » de la rudesse des CRS, avec option amende. « Le blocus, c’était parce qu’on voulait la classe hybride, à moitié à distance. On est 37 par classe, sans ventilation. Nous, on a peu de chances de mourir, même s’il y a des élèves asthmatiques, mais certains profs ont une santé fragile. Et on ne veut pas rapporter ça dans nos familles. »

Le sentiment de ne compter pour rien

Anouk sera majeure le 31 décembre (cela la « tracasse un peu »). Elle devait passer une année sabbatique chez sa grand-mère canadienne, qui a pris peur. Elle se retrouve baby-sitter, quatre jours par semaine, chez des voisins de village, près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). « A Ottawa, j’aurais découvert plein de trucs, regrette-t-elle. C’est énervant mais je n’ai personne à qui m’en prendre, à part au patient zéro. Ce sont les aléas de la vie. »

De vieux sages, que ces jeunes. A l’âge de toutes les rébellions, ils ne semblent pas nourrir le moindre conflit de générations. Leurs aînés, qui les stigmatisent puis vont s’agglutiner au Puy-du-Fou, leurs pairs irresponsables qui « checkent » du poing ou affichent sur Instagram leur soirée d’Halloween, le sentiment de ne compter pour rien aux yeux des décideurs… Voilà, tout de même, qui les agace.

Désormais, voir des gens s’embrasser dans les films étonne Anjela, 17 ans. « J’espère que nous ne serons pas imprégnés de tout ça… »

Mais davantage que de colère, c’est de tristesse, d’amertume et d’angoisse qu’ils sont lestés. Anouk, ainsi, poursuit : « On dirait un peu que c’est l’apocalypse dans le monde, là. Notre génération prend tout sur la tête. Mais on n’a pas des pouvoirs magiques ! » Venue de Haute-Savoie pour une classe prépa parisienne, Clémentine décrit « une forme de mélancolie qui s’installe »tandis que ses 18 ans filent« Une espèce de trop-plein… Le Covid, le meurtre de Samuel Paty, la planète On nous laisse un monde qui tombe en ruines, des interrogations plus que des certitudes sur notre avenir proche ou lointain. » Cerise sur la fin du monde : atteinte du Covid pendant les municipales, elle a raté la première élection de sa vie.

« Génération Covid ». La pandémie s’éternisant, Monique Dagnaud ose l’expression« Dans une période-clé de projection, pour eux, il n’y a que des sables mouvants, des programmes à revoir, des situations d’attente. Cette génération en sera marquée. Il y a une vraie inquiétude sur l’état psychologique de la jeunesse. » Bouille ronde parsemée de taches de rousseur, Anjela, 17 ans, en hypokhâgne à Rennes, s’interroge : voir des gens s’embrasser dans les films l’étonne, désormais. « J’espère que nous ne serons pas imprégnés de tout ça… »

Saison 2 du confinement, certains de ses congénères n’ont pas voulu rejouer les épisodes précédents. Ils se sont claquemurés entre amis (« c’est pâtes-riz-cordons bleus, mais au moins on se motive et on rigole ») ou même en couple. Comme Fanny et Lucas, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), 18 et 17 ans, élèves de terminale « complètement déprimés » au printemps. Elle se mettait « une énorme pression pour bosser »lui s’était mué en « larve sur PC »La cohabitation plus un service civique auprès des personnes âgées (pour elle) les ont sortis du gouffre. N’empêche. Fanny se « triture le cerveau ». « Quel métier on va faire si, à chaque confinement, il n’y a plus de boulot ? Je ne me vois pas prof d’arts plastiques en ligne… » Elle poste pourtant tous ses dessins sur Instagram.

En ligne. C’est ainsi qu’Anaïs, en khâgne, rompt l’isolement. Dans sa soupente d’étudiante, l’écran d’ordinateur est scindé en deux. Dissertation à gauche, vidéos de visages concentrés à droite. « Avec quatre-cinq amies, on s’appelle par Skype. On recrée une bibliothèque virtuelle dans notre chambre. On peut rester six heures en appel visio, micro coupé pour ne pas trop être tentées de bavarder, même si on fait une petite blague de temps en temps. On s’encourage à travailler »assure-t-elle, regard surligné à l’eye-liner comme pour sortir.

Voilà le genre de « pratiques porteuses de résilience » qu’observe Anne Cordier, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rouen. « Les 17-18 ans, dit-elle, ont l’habitude de prolonger leur sociabilité dans les espaces numériques. Ils ont, surtout, une capacité à donner de l’épaisseur à leurs relations en ligne en instaurant des rituels communs, en s’organisant en communautés. Pour eux, c’est une façon de faire quelque chose du confinement, de ne pas subir. » Vous imaginez un confinement dans les années 1990 ? La question est de Mathieu, qui joue à se faire peur. « La déprime totale ! Nous, on a les réseaux sociaux, c’est mieux que rien. »

Bouées de sauvetage numériques

Stratégies de substitution numériques : les Messenger, Discord, WhatsApp, Snapchat leur permettent de s’informer sur les cours, de converser par groupes d’amis, de classe, entre joueurs en réseau, de bavarder en douce pendant la visioconférence du prof radoteur, ou de commenter la série regardée en streaming. Autres bouées de sauvetage, les live (directs) de célébrités (sur Twitch ou Instagram), rendez-vous qui scandent le temps. Ou même les sites de rencontres. Louise s’est inscrite sur Taimi, un réseau social destiné à la communauté LGBT, quitte à tricher de quelques mois sur son âge : « J’ai de nouvelles personnes à qui me présenter, avec qui discuter régulièrement. Ça m’aide. J’ai quelque chose à attendre. »

Au calme pour la « conf call » en visio avec leur n + 1, les parents ne considèrent plus avec autant de réprobation la bulle numérique dans laquelle flotte leur progéniture, à l’abri de toute pandémie. Non, les limites du tout-écran, ce sont ceux qui les ont explorées qui en parlent le mieux. « Mes amis, je préfère les voir en vrai, ça me manque »« L’absence de contact physique, c’est un peu démoralisant »disent nos jeunes interlocuteurs. Qui s’inquiètent. Elève de l’école d’animation Rubika, à Valenciennes (Nord), Alexis, 18 ans, a peur pour l’emploi de ses parents salariés de l’industrie navale. Peur pour sa génération, aussi : « Nous, les 2000, on va devoir relever tout un tas de défis, le climat, la gigantesque crise économique qui va arriver. » Peur encore qu’avec le Covid, « on se méfie les uns des autres, on vive dans une société aseptisée, numérisée ».

En classe prépa littéraire à l’autre bout de la France, Alexandre avoue que son incapacité à « voir un avenir positif quelque part » lui donne « l’impression de se noyer ». Pour ses 18 ans, en avril, les copains lui avaient réservé la surprise d’une réunion Zoom et d’un montage vidéo. Lui-même avait tourné une parodie de Bref, la série courte de Canal+, intitulée « Bref, 18 ans en confinement ». Bref, déjà fini de rêver.


Aucun commentaire: