— 3 décembre 2020
Gisèle, Romain, Abdallah, animateur, et Didier Vincent, moniteur d'atelier Falc, le 2 décembre à Carrières-sur-Seine. Photo Marc Chaumeil. Divergences pour Libération
A l’occasion de la journée internationale des personnes handicapées, «Libération» s’est rendu dans une atelier de «Falc», où des travailleurs ayant un handicap mental œuvrent à rendre des documents accessibles à leurs pairs. Un marché qui attire aussi des acteurs peu scrupuleux.
Didier Vincent lit une phrase à l’écran : «Leurs avis sont importants avant le début de la formation.» Puis interroge : «C’est quoi un avis ?» Romain Rengard, 29 ans, se lance : «C’est ce que la personne donne, non ?» Il a déjà entendu l’expression «donner son avis», mais ne sait pas bien ce qu’elle désigne. Il retente sa chance : «C’est quelqu’un qui montre quelque chose ?» Didier Vincent tranche avec bienveillance : «OK, c’est pas compris.» En cette fraîche matinée de décembre, à l’Esat (établissement et service d’aide par le travail) La Roseraie de Carrières-sur-Seine (Yvelines), un petit groupe travaille le Falc, le français facile à lire et à comprendre, adapté aux personnes ayant une déficience mentale. Le secrétariat d’Etat aux Personnes handicapées leur a commandé la transcription d’un document de plusieurs pages. «Ce sont des personnes déficientes intellectuelles et on se sert de leur matière grise pour travailler», note Didier Vincent, le moniteur d’atelier, le seul à ne pas avoir de handicap, chargé de superviser et de guider les travailleurs.
Attestation de déplacement pendant le confinement, instructions de la caisse d’allocations familiales (CAF), sensibilisation aux violences faites aux femmes : de plus en plus d’organismes proposent des documents en Falc, afin de faciliter l’accès à l’information et aux dispositifs de droit commun des personnes ayant une déficience intellectuelle. Ce français simplifié favorise la forme active, l’emploi du «je», bannit le subjonctif, use de pictogrammes et d’une mise en page aérée. Une quinzaine d’Esat en France proposent des services de transcription. L’intérêt : le texte est travaillé par les personnes à qui il est destiné.
Niveaux différents
Lorsque l’atelier de la Roseraie reçoit un texte complexe, comme celui envoyé par le secrétariat d’Etat, Didier Vincent en fait une première synthèse, simplifiée, qui sert ensuite de base de travail aux employés de l’Esat. Il poursuit la lecture sur le grand écran : «"Les stagiaires sont actifs pendant la formation." Ça veut dire quoi, Romain ?» L’homme qui travaille le Falc depuis six mois ne sait pas. «C’est le mot "actifs" qui est compliqué», remarque le moniteur d’atelier. Il prend la peine d’expliquer au groupe ce que ça veut dire. Charge à eux, désormais, de trouver une explication claire. «Les stagiaires participent pendant la formation», proposent-ils finalement.
Les avis et perceptions des uns et des autres s’agrègent pour aboutir à la formulation adaptée à un public le plus large possible. «Des fois, ce qui est compliqué pour moi, c’est facile pour eux, ou le contraire. On ne comprend pas tous la même chose, on peut donner chacun notre avis», explique Delphine Grellier, 37 ans, dont quatre de Falc. Au cours de la matinée, elle lancera d’ailleurs «ça, Claire elle ne comprendrait pas», en référence à une collègue dont le niveau intellectuel est moins élevé.
Gisèle à l’Atelier "Facile à lire et à comprendre", hier. Photo Marc Chaumeil. Divergences pour Libération
Richard Escat a rejoint l’atelier de Falc à sa création, en 2015. «Je trouvais ça génial de pouvoir transcrire un texte pour qu’il soit plus compréhensible par d’autres personnes», dit cet homme de 52 ans aux cheveux et à la barbe poivre et sel, qui rythme l’atelier de ses petites blagues. L’an passé, il a participé à l’élaboration d’un livret de visite d’exposition au Musée de l’homme. «J’ai vu des personnes qui savaient bien lire et écrire prendre plutôt la version en Falc. Je suis tombé un peu sur les genoux. Quand on voit ça, on se dit qu’on a bien travaillé», loue-t-il. «Comme il y en a plein qui ne comprennent pas les mots compliqués, ça peut aider tout le monde», abonde Delphine Grellier.
De fait, le français facile à lire et à comprendre sert aussi à d’autres publics, comme les étrangers maîtrisant mal la langue. Richard Escat a d’ailleurs formé une association d’aide aux femmes victimes de violences, qui reçoit de nombreuses personnes étrangères. «Il a fallu que je me tourne les méninges, ça fumait, je vous explique pas», lâche-t-il.
Marché rémunérateur
A la Roseraie, les ateliers de Falc n’ont lieu que le matin, «parce que l’esprit est plus vif, dit Richard Escat. On a essayé l’après-midi : c’était la brasse commune, on n’arrivait à rien». D’ailleurs, dès 11h30, Delphine Grellier a les yeux fermés. Voilà deux heures que le groupe planche sur le document, avec une pause au milieu, ses batteries sont à plat, elle veut aller manger.
L’Esat francilien transcrit au gré des commandes passées par des clients qui vont de la gendarmerie nationale à des médiathèques en passant par des ministères. Des partis politiques s’y intéressent aussi, avec des résultats inégaux. «On a travaillé avec EE-LV et les Insoumis sur les professions de foi pour les élections européennes. Les Insoumis ont compris ce qu’on faisait, mais avec EE-LV, ça s’est mal passé : ils n’ont pas accepté que leur texte soit réécrit,affirme Didier Vincent. Si eux [les travailleurs handicapés, ndlr] ne comprennent pas, ça ne sert à rien de faire du Falc.»
Photo Marc Chaumeil. Divergences pour Libération
Face à l’essor de ce marché, «des agences de com se sont rendu compte que le Falc pouvait être très rémunérateur. Elles le font elles-mêmes et ont peu de compréhension de ce qu’est la déficience intellectuelle», remarque, à regret, Didier Vincent. Voilà pourquoi l’Unapei, fédération d’associations représentant les personnes avec un handicap intellectuel, a mis au point un label, la «marque qualité Falc», et un pictogramme associé, gage que les documents ont été transcrits par des personnes concernées et qu’ils respectent les règles édictées au niveau européen. «Il faut le mériter, ce pictogramme», conclut Didier Vincent.
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