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vendredi 31 janvier 2020

Patients transgenres : le généraliste en première ligne

31.01.2020


Accompagner un patient porteur d’une dysphorie de genre dans son parcours de soins implique de comprendre ses besoins, ses attentes et de savoir l'orienter. Par crainte d’être jugé, le patient transgenre n’a pas toujours spontanément recours à son médecin traitant. Celui-ci devrait pourtant jouer un rôle majeur dans son suivi médical et psychologique. A la condition d’y être préparé.

  • Médecin généraliste dialoguant
Image d'illustration | GARO/PHANIE

Environ 25 millions de personnes dans le monde seraient concernées par la transidentité. Parfois sujet à une grande souffrance psychique qui peut être ponctuée d’épisodes dépressifs, le patient transidentitaire a plus que tout autre besoin d’une écoute attentive et d’un accompagnement spécifique, médical et psychique. Son parcours de soins, notamment s’il nécessite une réassignation de genre, comporte de nombreuses étapes médicales et psychologiques qui devraient théoriquement pouvoir débuter dans le cabinet du médecin traitant.

Des avancées institutionnelles
Longtemps considérée comme une maladie mentale, ce n’est qu’en février 2010 qu’est publié le décret officialisant la sortie des « troubles précoces de l’identité de genre » de la liste des affections psychiatriques. Dans la foulée, la Haute Autorité de Santé (HAS) publie un rapport destiné à améliorer la prise en charge médicale des personnes transidentitaires. Réclamé, entre autres, par les associations représentatives de personnes trans, ce document prouve combien l’accompagnement de ces patients requiert des connaissances et un savoir-faire spécifiques. Il y a évidemment la question du suivi médical (hormonothérapie, chirurgie) des patients souhaitant évoluer vers l’autre genre. Mais il y a également un suivi psychologique et juridique (changement d’état civil) important. Dans son rapport, la HAS préconisait la création de centres de référence travaillant en réseau et structurés autour d’équipes pluridisciplinaires.
Créée en juillet 2010, la société française d’études et de prise en charge de la transidentité (SoFECT), recense les centres experts dans le domaine. Au sein de ces structures, le parcours de soins multidisciplinaire des patients souffrant de dysphorie de genre est structuré autour de psychiatres, d’endocrinologues, de chirurgiens, de dermatologues et de personnels paramédicaux (infirmiers, orthophonistes). Parallèlement à ce « parcours officiel », il existe des praticiens qui permettent aux personnes trans de suivre, en dehors de la chirurgie génitale qui est autorisée uniquement dans les hôpitaux publics, un « parcours libre ». Fin mai 2019, les Etats membres de l'OMS ont validé la onzième version de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11) qui fera disparaitre le « transsexualisme » des maladies psychiatriques et apparaître l'incongruence de genre comme une nouvelle condition relative à la santé sexuelle. De cette façon, la communauté internationale dépsychiatrise définitivement les personnes transidentitaires, tout en préservant les possibilités de remboursement des soins.
Le rôle du médecin traitant
Lorsqu’ils s’adressent à un centre de référence, les patients transgenres ont déjà franchi de nombreuses étapes — notamment psychologique — dans l’acceptation de qui ils sont. Qu’en est-il des autres ? Pour la grande majorité d’entre eux, c’est sur Internet (sites associatifs, forums d’entraide de groupes transgenres, blogs de patients trans…) qu’ils cherchent les réponses à leurs multiples interrogations. Avec tous les risques de désinformation que cela comporte. Certains se tournent même vers l’étranger. Il a été démontré que le fait d’être trans était une barrière à l’accès aux soins. La plupart, par crainte d’être jugés ou de ne pas trouver les réponses adaptées, n’osent pas demander de l’aide. Bien souvent, ils sont dans l’incapacité de franchir le pas d’un cabinet médical pour se confier à leur médecin traitant avec lequel, en théorie, une certaine proximité est entretenue. Le Dr Corinne Hamel, est généraliste en Charente-Maritime (1). Ce n’est pas en sa qualité de médecin, mais plutôt de patiente — née garçon et convaincue très jeune d’être une femme — qu’elle accepte de témoigner. Les généralistes ont un rôle majeur à jouer, affirme-t-elle. Tout d’abord dans la détection précoce des signes d’une dysphorie de genre. « Il ne faut pas faire l’amalgame entre incongruence de genre qui est une variation du comportement humain et dysphorie de genre qui peut chez certaines personnes accroitre la morbimortablité et le risque de suicide », explique-t-elle. Mais les généralistes ne sont pas préparés à l’accompagnement médical de ces personnes qui se décline en plusieurs phases (diagnostic, expérience en vie réelle, hormonosubstitution, chirurgie d'affirmation de genre). Parce que l’état psychologique des patients trans peut être fragile, il y a urgence à ce que la médecine de premier recours comprenne rapidement les enjeux et maîtrise les outils d’une bonne prise en charge. Sur ce point, la France semble un peu à la traîne. Aucune recommandation clinique n’a à ce jour été édictée sur le territoire. Certains référentiels existent dans le monde et des standards de soins ont été publiés en 2012 par l’Association mondiale pour la santé des personnes transgenres(2).
En 2017, l’Endocrine Society a quant à elle publié un guide de recommandations des bonnes pratiques. « La médecine transgenre est assez jeune et c’est une discipline très controversée », explique le Dr Hamel. Les études de médecine ne font pas non plus la part belle à la transidentité. « Alors qu’ils sont les mieux placés pour détecter un trouble anxieux et qu’ils devraient avoir un rôle pivot dans l’accompagnement des patients vers d’autres spécialités, parce qu’ils ne s’estiment pas formés, de nombreux médecins refusent de prendre en charge les patients trans ». Pourtant, des ressources existent tant auprès des centres officiels qu’auprès de médecins indépendants qui acceptent d’accompagner la transidentité. Pour le Dr Hamel, le point de départ de la démarche est de connaître et d’être ouvert à la problématique du questionnement de genre. « Il ne doit pas y avoir de sujet tabou et il est important de maîtriser le vocabulaire pour ne pas blesser. Lorsqu’un patient entend " j’ai compris votre problème ", sa vie change d’un coup ». Le généraliste doit disposer d’un réseau d’endocrinologues et éventuellement de chirurgiens si une transformation corporelle est souhaitée par le patient car, la demande est telle, que les centres de référence de la SoFECT ne peuvent satisfaire l’ensemble des patients sur le territoire. La clef de la réussite de l’accompagnement d’un patient transgenre par un médecin généraliste est donc le travail en réseau structuré. « Il faut beaucoup souplesse de la part des médecins traitants car tous les patients n’ont pas les mêmes attentes. Tous n’iront pas vers une chirurgie lourde par exemple. Il ne peut y avoir un parcours imposé ou stéréotypé mais plutôt différentes options thérapeutiques. Le questionnement de genre n’est pas un désir, un souhait ou un caprice. Personne ne sait d’où cela vient donc il ne peut y avoir une réponse tranchée ». Selon le Dr Hamel, la seule étape incontournable est celle de l’évaluation psychiatrique pour éliminer les diagnostiques différentiels (états psychotiques, comorbidités psychiatriques non stabilisées…) et permettre au patient de définir ses besoins et ses objectifs. « Le temps est un paramètre important, il ne faut pas aller trop vite dans le diagnostic, explique Corinne Hamel. A charge ensuite pour le généraliste de conseiller à son patient de franchir les étapes progressivement. »
V. A.
(1) Le Dr Corinne Hamel exerce à Cardiocéan, clinique de réadaptation cardiovasculaire. Elle est membre de la WPATH et administratrice du site www.Medigen.fr
(2)Wpath : World Professional Association for Transgender Health

Un DIU pour mieux faire
Pour aider les médecins à mieux comprendre la transidentité, la SoFECT est l’initiatrice du « DIU de prise en charge du transsexualisme ». Le Dr Anne-Gaëlle Drapier est médecin généraliste. Elle exerce au CEGIDD Le Kiosque Infos sida et Toxocomanie à Paris et conserve également une activité de médecin libéral. C’est elle qui est en charge de la session du DIU sur la place du médecin généraliste dans le parcours de soins des transgenres. « Il me semble important d’établir que le médecin généraliste occupe un rôle clef dans la prise en charge des personnes trans, dans un contexte très délicat où il existe de nombreuses revendications de la part des associations à l’encontre des équipes hospitalières », explique le Dr Drapier. « La formation des généralistes est indispensable, notamment pour la prescription de l’hormonothérapie. Ce d’autant plus que la demande est forte de la part de la population trans en raison des délais de rendez-vous très longs avec un spécialiste et de la nécessité de prendre ce traitement à vie. » Le DIU proposé par la SoFECT insiste sur les enjeux d’une prise en charge au sens large du terme et optimale des patients trans qui peuvent se retrouver marginalisés, confrontés à des difficultés sociales et professionnelles plus importantes que d’autres. Il fournit également un arsenal de conseils sur les bonnes pratiques et l’attitude à adopter dans son cabinet : écouter sans juger, respecter l’intimité et la confidentialité, ne pas « mégenrer », utiliser le prénom choisi par la personne, établir un rapport de confiance, laisser au patient la liberté de choisir et reconnaître son savoir médical... « Les patients arrivent souvent avec des connaissances que le praticien n’a pas, explique le Dr Drapier. L’accompagnement des personnes transidentitaires s’inscrit dans une situation où les médecins sont dépositaires non pas des connaissances sur un sujet donné, mais des compétences visant à optimiser la relation de soin », conclut la généraliste qui milite pour l’instauration d’une formation dans le cadre du DES de médecine générale.

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