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mardi 28 janvier 2020

En Côte d’Ivoire, les guérisseurs traditionnels, nouveaux alliés des psychiatres

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Face aux limites du modèle asilaire, les acteurs de la santé mentale expérimentent une approche dite « communautaire » de la psychiatrie.
Par Yassin Ciyow  Publié le 28 janvier 2020
L’hôpital pyschiatrique de Bingerville, en Côte d’Ivoire.
L’hôpital pyschiatrique de Bingerville, en Côte d’Ivoire. Yassin Ciyow
Dans les couloirs de l’hôpital psychiatrique de Bingerville, à l’est d’Abidjan, Yao* a la même démarche que ses voisins de chambre, lente et incertaine. Le même regard vitreux, aussi, voilé par les médicaments. A 19 ans, le jeune homme souffre de « troubles mentaux causés par son addiction au cannabis, au crack et à certains médicaments », précise l’infirmière qui le suit. Sous le préau du pavillon réservé aux jeunes adultes, Marie-Aline*, sa mère, nettoie leurs vêtements ; elle est présente à ses côtés depuis plus d’un mois et demi.

Ce sont les juges et les policiers qui lui ont conseillé d’envoyer son fils « à l’asile » pour soigner son addiction et ses excès de violence. La mère a longtemps hésité, car elle affirme connaître le sort réservé à ceux qui « finissent à Bingerville » : la stigmatisation et, bien souvent, une situation pire qu’avant, « la tête bousillée par les médicaments ». « Au quartier, les autres vont dire que mon fils est fou, inguérissable, qu’on nous a jeté un sort », dit-elle, dépitée. Mais elle estime n’avoir pas eu d’autre choix : les pieds de Yao avaient trop enflé, elle ne pouvait plus l’enchaîner dans leur cour, comme elle avait coutume de le faire pour éviter qu’il ne se drogue et violente ses proches.

Prières, lavements et potions

« En Côte d’Ivoire, la prise en charge des maladies mentales s’est longtemps résumée au triptyque “chaînes, guérisseur ou asile” », indique le psychiatre Roger Charles Joseph Delafosse, directeur du programme national de santé mentale. Il s’agissait alors d’isoler le malade, bien souvent en l’enfermant, pour préserver la société. L’hôpital psychiatrique de Bingerville, construit en 1959, soit un an avant l’indépendance du pays, a d’ailleurs été pensé comme un établissement carcéral. Avec six psychiatres, 80 lits et un budget annuel de 120 millions de francs CFA (183 000 euros) pour plus de 130 patients-résidents, l’institution a mauvaise réputation. « Bingerville marginalise encore plus des individus qui sont déjà laissés de côté », soupire Marie-Aline.
Le délabrement avancé des établissements psychiatriques et l’inefficacité de la prise en charge des troubles mentaux ont poussé les acteurs de la santé mentale à repenser leur approche en Côte d’Ivoire. « Depuis quelques années, on est en train de sortir d’une vision hospitalocentrée. L’objectif est de faire en sorte que la psychiatrie aille à la rencontre des malades, chez eux, dans leur environnement, tout en montrant qu’elle s’adapte aux réalités du terrain », indique le professeur Delafosse, qui se réjouit de ce lien accru avec la sociologie, l’anthropologie… et la médecine traditionnelle.
Car alors que la Côte d’Ivoire ne compte qu’une cinquantaine de psychiatres, les tradipraticiens ou « guérisseurs », eux, sont omniprésents. Dans les villages reculés comme dans les quartiers populaires des grandes villes, ils prétendent guérir les malades souffrant de troubles mentaux grâce à des pratiques ancestrales. En guise de soins, ils recommandent prières, lavements et mélanges à base de plantes et de racines. Et surtout, la famille est associée à la guérison.

Réparer le lien avec l’entourage

« Pour le tradipraticien, il n’y a pas de maladie mentale. Il y a un individu qui est en conflit avec ses valeurs et sa tradition. Et pour résoudre cela, le tradipraticien tente de réparer le lien entre l’individu et son entourage », explique Hamadou Diomandé, directeur de l’hôpital psychiatrique de Bingerville, qui admet l’importance des guérisseurs dans la psychiatrie ivoirienne. « Qu’on le veuille ou non, ils font partie de l’équation psychiatrique dans ce pays, abonde le professeur Delafosse. Il fallait donc les inclure. D’ailleurs, on a appris beaucoup de choses en les observant, notamment sur le rôle essentiel de la famille, bien loin de notre ancienne approche du tout-asilaire. »
Cette approche dite « communautaire » a été étudiée par le personnel de l’hôpital psychiatrique de Bouaké dans le cadre d’un projet financé par la fondation allemande Mindful Change. « On a réussi à réconcilier la psychiatrie avec la médecine traditionnelle, à les fusionner même, explique Médard Asséman Koua, directeur de l’hôpital. C’était une demande des populations, qui ne savaient plus à quel saint se vouer entre l’asile et les croyances traditionnelles. » Avec cette nouvelle approche mixte qui se met lentement en place à travers le pays, celui qui souffre de troubles mentaux reste dans son environnement social et c’est le psychiatre ou l’infirmier spécialisé qui vient à lui, en accord avec la famille.
Il ne s’agit pas pour autant de raser les structures psycho-sanitaires du pays. « L’hôpital psychiatrique reste nécessaire pour les troubles mentaux sévères, même s’il doit rester un lieu de gestion de crise aiguë uniquement », ajoute le docteur Koua. D’après lui, les tradipraticiens répondent plutôt favorablement à cette « demande en mariage de la psychiatrie » : « Ils savent qu’ils sont nécessaires à la resocialisation de l’individu, mais ils reconnaissent aussi leurs limites dans la guérison de certaines maladies mentales qui nécessitent des médicaments. » Un mariage de raison, donc.
*Les prénoms ont été changés.






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