Les erreurs médicales sont une cause majeure de morbidité et ont un coût très conséquent pour les systèmes de santé. Aux USA, on estime entre 98 000 et 210 000 le nombre annuel de décès survenant chez des patients hospitalisés et liés à un effet secondaire prévisible.
Sur un autre plan, la prévalence d’une symptomatologie dépressive est grande dans le corps médical. Une association entre signes dépressifs et erreurs médicales est démontrée mais encore discutée, son sens uni ou bidirectionnel étant mal précisé. La dépression étant une pathologie curable, son diagnostic chez les médecins est potentiellement très utile, tant pour améliorer la sécurité des patients que le bien être des praticiens.
Une étude a été menée pour déterminer si une symptomatologie dépressive chez les médecins (étudiants en médecine et autres professionnels de santé exclus) est associée à un risque accru d’erreurs médicales. Les auteurs de ce travail se sont appuyés sur une recherche bibliographique dans EMBASE, ERIC, PubMed, PsycINFO et Web of Sciences, depuis leur création jusqu’au 31 Décembre 2018, sans restriction de langue. Pour chaque article retenu, ils ont rassemblé plusieurs types de données concernant les caractéristiques de la publication et de ses participants, les modalités de mesure de la symptomatologie dépressive et les erreurs médicales observées. Le risque relatif (RR) a été calculé pour chaque étude, puis poolé à l’aide d’une méta analyse à effets aléatoires. L’hétérogénéité a été appréciée par les tests standard ꭓ2 et I2. Plusieurs analyses de sensibilité ont été effectuées ainsi que diverses méta-analyses stratifiées en fonction de la spécialité et du niveau de carrière des praticiens, de la zone géographique, des modalités de mesure de la symptomatologie dépressive et de la qualité des indicateurs fournis.
Onze études, regroupant 21 517 médecins ont été retenues ; 7 étaient longitudinales, avec 5 595 participants ; les 4 autres transversales avec 15 922 sujets. Neuf ont été menées aux USA, 1 au Japon et la dernière en Corée du Sud ; 8 ne concernaient que des médecins en formation (internes et résidents). Quatre étaient consacrées à des praticiens de spécialité bien précisée : pédiatrie, anesthésiologie ou médecine interne. Le nombre médian de participants par étude était de 836. Selon les travaux, différents questionnaires ont été employés pour quantifier la symptomatologie dépressive, dont le PRIME 2 (2-item Primary Care Evaluation of Mental Disorders) et le PHQ-9 (9- items Patent Health Questionnaire). A noter que dans toutes les études, sauf une, le relevé des erreurs médicales a été fait par auto déclaration. Six des 11 études ont été considérées solides sur le plan de leur conception, 8 par la taille de leur échantillon et 5 pour la qualité des mesures de la symptomatologie dépressive.
Un taux plus important chez les chirurgiens
Le RR d’ensemble d’erreurs médicales survenues chez des praticiens diagnostiqués comme dépressifs s’établit à 1,95 (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 1,63- 2,33) avec, toutefois, une forte hétérogénéité selon les publications (ꭓ2=49,9 ; p < 0,001 et I2 = 82%, T2= 0,006). Diverses analyses de sensibilité, avec exclusion, d’une étude puis d’une autre, ne modifient pas les résultats globaux. Par ailleurs, dans 7 études longitudinales l’association entre dépression et erreurs médicales apparaît bi directionnelle. Plusieurs méta analyses de sous-groupes ont été faites afin d’identifier les principales causes d’hétérogénéité : le RR dans les études ciblant spécifiquement les spécialités chirurgicales était plus élevé que pour d’autres spécialités (RR : 2,59, IC : 2,10- 3,16 vs 1,59 ; IC : 1,46- 3,16). Il est également plus important dans les travails menés aux USA que dans d’autres pays (RR à 2,10 ; IC : 1,77- 2,46 vs 1,39 ; IC : 1,00- 1,93). Enfin, le RR estimé d’erreurs médicales est plus faible dans les études longitudinales : RR à 1,62, IC : 1,43- 1,84 ; ꭓ2 = 5,77, p = 0,33 ; I2 = 13 %, t2 < 0,01) et plus notable dans les études transversales : RR à 2,51 ; IC : 2,20 - 2,83 ; ꭓ2 = 5,44, p = 0,14 ; I2 = 45 % ; t2< 0,01. Il varie également en fonction de l’échelle de cotation de la dépression utilisée, plus élevé avec les questionnaires HANDS et PRIME-2. A l’ opposé, aucune différence n’est décelée en fonction du niveau de carrière du praticien, de l’année de l’enquête ou du pourcentage de femmes médecins.
En résumé, cette revue systématique avec méta analyse de 11 publications ayant enrôlé 21 517 médecins confirme qu’il existe bien une association entre pathologie dépressive chez les praticiens et augmentation du risque d’erreurs médicales. Celle ci concerne aussi bien les internes et résidents en formation que les praticiens confirmés. Elle est moins forte dans les études longitudinales que dans les transversales et a été étayée par plusieurs analyses de sensibilité. Une méta analyse antérieure avait déjà mis en lumière le lien entre épuisement professionnel, souffrance émotionnelle du médecin et devenir du patient. Le travail ici rapporté concerne plus précisément le lien avec une symptomatologie dépressive. Il a pour avantage d’en quantifier l’importance et d’en démontrer le caractère bidirectionnel. De fait, il confirme qu’une symptomatologie dépressive est associée à un risque accru d’erreurs médicales dans le futur (RR : 1,62 ; IC : 1,43- 1,84, n = 5 595 praticiens, 6 publications) et que, a contrario, les erreurs médicales majorent le risque de dépression chez les médecins (RR : 1,67 ; IC : 1,48- 1,87 ; n = 4 462 ; 4 études). Ces éléments ne font que souligner l’importance fondamentale du maintien d’un bon état thymique, tant pour le praticien que pour la sécurité de ses patients.
On se doit de mentionner que cette revue comporte plusieurs limites. Dans 10 des 11 publications retenues, les erreurs médicales ont été autorapportées et n’ont pas fait l’objet d’une recherche systématique. Il y a pu avoir des omissions pour des erreurs considérées comme vénielles par le praticien, mais ayant cependant entrainé des conséquences graves pour le patient. Quatre études étaient uni directionnelles, 9 ne portaient que sur des médecins US, donc sans généralisation possible à d’autres pays. Une grande majorité a été le fait de médecins en formation et non en exercice, avec là encore, toute généralisation aléatoire…
En conclusion, cette revue confirme que la présence d’une symptomatologie dépressive chez un médecin est associée à un risque accru d’erreurs médicales et que cette association est bi directionnelle. Des travaux ultérieurs devront mesurer objectivement les erreurs qui ont été, dans cette revue, auto rapportées. Il sera nécessaire d’inclure des praticiens d’horizons plus divers, exerçant dans des conditions différentes, tant au plan culturel que socio-économique. Il faudra surtout démontrer que des interventions ciblées, visant à réduire la symptomatologie dépressive des médecins seront à même de diminuer le nombre d’erreurs médicales, améliorant ainsi le bien être des professionnels et la qualité des soins délivrés aux malades.
Dr Pierre Margent
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