La médecin psychothérapeute dénonce, dans une tribune au « Monde », la récupération des déclarations faites, il y a quarante ans, par sa mère dans « Choisir la cause des femmes ». Des propos dont la psychanalyste elle-même avait écrit qu’ils « trahissaient sa pensée ».
Présidente de l’association Archives et Documentation Françoise Dolto Publié le 16 janvier 2020
Tribune. Il y a vingt ans, on attaquait Françoise Dolto en prétendant qu’elle avait soutenu des pédophiles condamnés. Il est prouvé que c’était faux. Plus tard, on lui a reproché d’avoir promu l’enfant roi tout-puissant. Elisabeth Brami et Patrick Delaroche, dans Dolto, l’art d’être parents (Albin Michel, 2014), ont démontré que c’était encore faux.
Maintenant, Le Canard enchaîné du 8 janvier 2020 accuse Françoise Dolto d’être pro-pédophile et publie sur une demi-page une interview donnée, voilà quarante ans, à un journal féministe dirigé par Gisèle Halimi, Choisir la cause de femmes n° 44. Aucune réaction à l’époque. A la mort de Françoise Dolto, cette revue n’était pas dans ses archives. Mais on y a trouvé le commentaire publié à la suite de l’interview par son auteure, Béatrice Jade, qui résume, en s’en indignant, les propos qu’elle a retranscrits. A son tour, Françoise Dolto s’indigne à sa lecture, tout comme ceux qui découvrent aujourd’hui les extraits de l’entretien reproduits par Le Canard enchaîné. Elle l’a annoté en rouge de sa main : « Je n’ai jamais vu cet article fait après interview sans nuances qui trahit ma pensée.
Oui, sa pensée a été trahie.
Manifestement, elle n’a pas eu l’occasion de relire le texte de l’interview et n’a reçu que ce commentaire, bien après publication. De même n’a-t-elle pas pu relire le livre d’entretiens publié par Andrée Ruffo, L’Enfant, le juge et la psychanalyste (Gallimard, 1999), dont on lui reproche aussi le contenu : il a été édité après son décès, survenu en 1988.
« Pour ceux qui veulent lui nuire, il est facile de déformer sa pensée et d’en faire une lecture révoltante, caricaturale »
Qu’elle ait découvert cette « interview » a posteriori n’est pas étonnant. Françoise Dolto respectait la liberté d’autrui à un point qui l’a souvent desservie. Elle n’était pas prudente vis-à-vis d’elle-même. Elle ne cherchait pas à contrôler l’usage fait de sa parole. Des conversations privées ont été enregistrées puis publiées comme des entretiens professionnels, sans sa relecture, voire sans son accord. Elle prêtait toujours à ses interlocuteurs l’intelligence de comprendre ce qu’elle leur disait et l’honnêteté de ne pas travestir ses propos.
Ces traits de caractère, qu’elle a gardés jusqu’à sa mort, l’ont exposée à bien des déconvenues. Pour ceux qui veulent lui nuire, il est facile de déformer sa pensée et d’en faire une lecture révoltante, caricaturale. Au moment où la stigmatisation de la pédophilie, à la faveur du livre de Vanessa Springora, Le Consentement, bat son plein de façon amplement justifiée, exhumer ces propos qui heurtent la sensibilité morale, et cela sans que Françoise Dolto puisse y répondre, relève de cette volonté de nuire. S’attaquer à l’une des figures les plus populaires de la psychanalyse française rejoint les offensives persistantes de ceux qui voudraient éradiquer la psychanalyse à tout prix.
Françoise Dolto a toujours été très claire sur le respect des lois concernant les relations sexuelles avec les mineurs. Oui, elle est de ceux qui, en 1977, ont demandé que la majorité sexuelle passe de 18 à 15 ans (et non « d’assouplir le code pénal sur les détournements de mineurs », comme l’écrit Le Canard enchaîné). Quoi de choquant ? En 1980, le Parlement a d’ailleurs changé la loi en ce sens, et personne ne dit que l’article L. 227-27 du code pénal soit pro-pédophile.
Elle était tout aussi claire sur l’interdit de l’inceste – un chapitre de son livre La Cause des enfants (Robert Laffont, 1985) s’intitule d’ailleurs : « Aux parents qui ne veulent pas être pédophiles ». Cet interdit revient constamment dans ses textes et émissions de radio. Elle dit et répète que les enfants doivent en être informés très tôt et très clairement pour pouvoir se protéger des avances des adultes, que ceux-ci appartiennent à la famille ou non. Comme tous les psychanalystes, elle connaît en effet le désir inconscient des enfants, qui les piège et les rend « piégeables ». Ils sont ensuite enfermés dans une culpabilité destructrice, comme le décrit bien Vanessa Springora dans Le Consentement.
C’est donc au niveau de l’inconscient que Françoise Dolto se situe quand elle parle de relations sexuelles entre enfants et adultes, qu’elle juge inacceptables. Quand elle dit qu’une femme ou un enfant peut éprouver une forme de plaisir – interdit, donc refoulé, donc culpabilisant – au moment de l’agression, elle ne dit pas que cela l’autorise, ni que cela amenuise ses conséquences destructrices. On peut à la fois penser et dire cela et condamner férocement toute agression pédophile. C’est cette approche complexe d’une réalité qui l’est aussi qu’il est si difficile d’entendre aujourd’hui, car elle n’est pas binaire.
Connaissance éclairée
Le « parler vrai » de Françoise Dolto dérangeait, mais elle a fait avancer les idées. Son message est qu’il faut donner à l’enfant sa place de sujet et le respecter comme tel, si petit soit-il, en toutes circonstances. En disant que les enfants ont à tout âge des désirs sexuels, elle n’a jamais voulu dire que ces désirs illicites devaient être satisfaits, surtout par des adultes prédateurs.
Citoyenne engagée au service de la protection des enfants, de la manière la plus concrète, grâce à sa compréhension des phénomènes inconscients, son talent a été d’utiliser cette connaissance, éclairée par de longues années de travail clinique, pour faire évoluer en profondeur la manière de comprendre les enfants, de les accueillir, de les soigner, de les éduquer. Toute son œuvre en témoigne. Prétendre qu’elle ait pu défendre les pédophiles est aussi grotesque que mensonger. Retourner son travail contre elle, comme on retourne un gant, n’est pas une bonne nouvelle pour les enfants.
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