Paris, le 18 juin 2011, Les gens fument un joint lors d'une manifestation. PhotoFred Dufour. AFP
L'institution publie un texte sur la consommation de drogues licites et illicites chez l'adolescent dans lequel elle souhaite une prévention précoce, dès les classes de primaire et recommande un repérage médical des médecins scolaires. Les acteurs de la réduction des risques restent sceptiques sur un certaine nombre de leurs recommandations.
Drogues illicites mais surtout substances licites font 130 000 morts par an en France. Face à ce constat, l’Académie de médecine exprime, dans un rapport réalisé début octobre et diffusé à la presse mardi, son souhait d’axer la prévention vers les adolescents. Pour les auteurs du rapport, il y a urgence à mettre en place une étude d’évaluation des troubles psychiatriques et des symptômes chez les jeunes consommateurs, car l’adolescence est une «période de vulnérabilité toute particulière aux addictions, du fait de l’absence de maturité neuropsychologique». L’urgence de la situation se manifeste également dans le coût sanitaire et social de la consommation de drogue. «Considérable», il engagerait une dépense directe des finances publiques à hauteur de 22,1 milliards d’euros. La situation a été jugée suffisamment préoccupante pour que l’Académie nationale de médecine décide de créer une sous-commission «addictions» au sein de celle en charge de proposer des recommandations sur le thème «drogues et adolescence».
Jean-Pierre Goullé, rapporteur et membre de l’Académie de médecine, rappelle que le chiffre de 130 000 morts est essentiellement lié à la consommation d’alcool et de tabac : «Ce sont les deux substances sur lesquelles nous devons majoritairement mener nos actions. Aujourd’hui, quelque 75 000 décès par an sont liés au tabac et 41 000 pour l’alcool. Un élève sur deux en 6e a déjà essayé l’alcool.» Le rapport rappelle que parmi 35 pays, et au cours des trente derniers jours, la France arrive en tête en ce qui concerne la consommation de cannabis chez les jeunes de 16 ans, à la troisième place pour les autres drogues illicites. L’Hexagone occupe la onzième position pour la consommation de tabac et se place au quinzième rang pour l’alcool. Un classement qui motive les recommandations de l’Académie de médecine.
Le repérage médical, décrié par les associations
Parmi ces dernières figure la volonté d’augmenter significativement les enseignements consacrés aux sciences de la vie et de la terre, pour y intégrer dès l’école primaire une information régulière sur les dangers des drogues. Et ainsi, donner mission aux médecins scolaires d’assurer un repérage médical de consommation de produits addictifs chez l’adolescent. «C’est un vœu pieux, car le déficit de médecin scolaire est terrible, reconnaît Jean-Pierre Goullé. Il faut que leur nombre soit accru pour mettre en place un repérage médical chez les adolescents qui consomment, et les orienter vers des structures médicales telles que les consultations jeunes consommateurs. Même si elles ne sont pas présentes dans toutes les villes et encore moins dans les campagnes, c’est un excellent dispositif.»
Le repérage médical, loué par certains, est également décrié par des acteurs associatifs qui dénoncent un manque de clarté dans les recommandations et craignent la naissance de situation «délétère» au sein des établissements. «Le rôle des médecins et infirmières scolaires ne doit pas être celui du repérage mais de l’accompagnement. Est-ce que ça veut dire qu’on va faire passer aléatoirement des tests salivaires dans toutes les classes ou encore autoriser l’envoi des chiens de la brigade des stups pour fouiller les élèves ? s’interroge Béchir Saket Bouderbala, fondateur de l’association L630 en référence à un contrôle réalisé par la brigade canine dans plusieurs lycées de l’Oise. Lui souhaite promouvoir une réforme des politiques publiques des drogues dans le pays. C’est le contraire de ce qu’on attend en termes de réduction des risques. La première chose à faire est de réarmer les adolescents avec de l’information, pas d’armer la répression.»
«Cette prohibition du cannabis laisse les jeunes seuls face au marché noir»
Si l’urgence de la situation relevée par l’Académie de médecine est constatée par les professionnels de l’addiction, ces derniers reconnaissent que les réponses apportées ne sont pas suffisantes et dénoncent un amalgame de fait entre les produits licites et illicites, ainsi que le manque de dissociation entre les usages sociaux simples et des usages problématiques. «L’académie demande de communiquer davantage autour des dangers et des risques, mais dans le même temps, le texte met sous la table l’importance de l’éducation et de l’accompagnement des familles. Il reste enfermé dans une politique binaire, du soin ou de la sanction, qui échoue depuis 1970 et participe largement au retard de la France», explique Jean-Pierre Couteron, porte-parole de la Fédération addiction, psychologue clinicien et artisan des Consultations jeunes consommateurs ou encore des premières salles de shoot. Alors que l’Académie de médecine rappelle la nécessité de maintenir l’interdit du cannabis, l’actuelle politique judiciaire autour de cette consommation est décriée par le psychologue clinicien : «Cette prohibition du cannabis laisse les jeunes seuls face au marché noir. Elle aboutit au résultat inverse. L’interdiction de vente du tabac et de l’alcool existe pour les mineurs, mais les forces de l’ordre ne s’en préoccupent pas.»
Les addictions sont considérées comme des maladies chroniques, caractérisées par la fréquence des rechutes avec des spécificités particulières chez l’adolescent, en raison du processus de maturation cérébrale inachevé. «Il est nécessaire d’organiser la prévention au primaire. Plus elle est précoce, mieux c’est. Ce n’est pas en troisième, lorsque les jeunes ont déjà testé l’alcool et le tabac, qu’elle sera efficace» regrette William Lowenstein. Pour l’addictologue et président de SOS Addiction, «ce rapport a tout de même le mérite de parler de situation alarmante, mais que tout le monde fasse des recommandations montre bien l’absence de ligne directrice et qu’en France nous sommes incapables de faire des addictions une grande cause nationale prioritaire».
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