Pionnière du militantisme par marketing direct, cette famille a créé et fait fructifier en trente ans un réseau d’associations qui sont autant de produits d’appel pour récupérer dons et fichiers d’adresses.
C’est un sondage comme beaucoup d’autres, réalisé par l’IFOP, et publié mardi 15 octobre dans Le Figaro. On y apprend que les parents ont un « jugement sévère » à l’encontre de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale.
En regardant dans le détail cette enquête, aux côtés de questions classiques sur la qualité de l’enseignement ou le nombre d’élèves par classe, on trouve aussi plusieurs questions sur la sécurité, ou le « niveau de mixité ethnique, sociale ou culturelle » des établissements. Des thèmes qui intéressent beaucoup, depuis près de dix ans, l’association qui a commandé ce sondage : SOS Education.
Début octobre, elle avait fait l’objet de critiques de la part de parents d’élèves, dont les enfants lycéens avaient reçu par la poste un « référendum » dénonçant le « pédagogisme » des « syndicats jusqu’au-boutistes » qui « gangrènent l’éducation nationale », et réclamant « de vrais cours de morale, de civisme et de politesse ».
Interpellée sur les réseaux sociaux par plusieurs parents mécontents, l’association a plaidé l’erreur de l’un de ses prestataires. Ces courriers n’auraient pas dû être envoyés à des moins de 18 ans, comme le veut la loi. « Nos contrats sont très clairs : les fichiers doivent évidemment être expurgés de tous les mineurs, a précisé au Monde Sophie Audugé, déléguée générale de l’association. Une erreur, cela arrive. »
Fonctionnement très américain
Ce n’est pourtant pas la première « erreur » de SOS Education, qui a eu son quart d’heure de célébrité en 2007 en s’opposant à l’exposition « Zizi sexuel », du dessinateur Zep. En 2017, un hiérarque de l’association avait aussi utilisé une fausse adresse mail au nom d’Emmanuel Macron pour envoyer une pétition provenant d’un site d’extrême droite, Damoclès. Un site tenu par Samuel Lafont, militant conservateur libéral, longtemps salarié d’une association sœur, qui milite, elle, contre le « trop d’impôts » : Contribuables associés.
Bienvenue dans une galaxie vieille de trente ans, aux idées bien arrêtées et aux méthodes marketing agressives. SOS Education n’avance en effet pas seule. Elle partage le même « ADN » que plusieurs structures : Contribuables associés, mais aussi Sauvegarde retraites ou l’Institut pour la justice, par exemple. Toutes portent une vision de la société à la fois conservatrice et économiquement libérale. Surtout, toutes ont été fondées ou dirigées par les membres ou les proches d’une même famille : les Laarman.
Quelle que soit la cause défendue, ces structures utilisent des méthodes identiques, issues de la nouvelle droite américaine des années 1980. « Ces associations ont une manière très américaine de fonctionner, mais ce qui est encore plus typiquement américain, c’est la façon dont elles occupent des espaces. Il y a des espaces vacants qui se créent entre le savoir universitaire et les médias, et elles s’y engagent », détaille Xavier Carpentier-Tanguy, professeur à Science Po et à l’université du Luxembourg et spécialiste des think tanks.
Chaque association est organisée autour d’un sujet grand public et publie des pétitions et autres « référendums ». Ces textes sont envoyés en grandes quantités par la poste et par courriel et proposent aux destinataires non seulement de signer – et donc d’accepter tacitement d’être inscrit dans différents fichiers – mais aussi de verser une contribution de soutien. En revanche, il n’est pas possible d’adhérer, sinon symboliquement : le nombre de membres actifs est généralement fixé par les statuts, assurant que la structure ne soit pas bouleversée par l’arrivée de nouvelles personnes.
« On flatte la réaction des personnes »
C’est le patriarche de la famille, François Laarman, qui a importé ces méthodes en France. Dans l’hommage qu’il lui a rendu après son décès en 2009 sur le site de la libérale fondation Ifrap, son ami Bernard Zimmern estimait que M. Laarman avait « bouleversé – dans le bon sens – le fonctionnement de la démocratie française », en développant des « associations de défense de la société civile ». De fait, l’action des Laarman touche autant à l’éducation qu’à la justice, à la culture qu’à l’alimentation.
François Laarman crée d’abord en 1990 le navire amiral de cette galaxie, Contribuables associés, au côté de Bernard Zimmern et d’Alain Dumait, ancien journaliste devenu maire du 2e arrondissement de Paris dans les années 1980.
Contribuables associés s’appuie sur des groupes de réflexion frères, constitués au fil du temps : la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) ; et même une école dispensant des séminaires, l’Institut de formation politique.
Pour M. Carpentier-Tanguy, ces différentes organisations ne peuvent pas vraiment être considérées comme des think tanks. « Un think tank travaille, théoriquement, pour le bien commun, et en amont pour identifier des problèmes et proposer des recommandations. Là, on est dans l’émotif, on flatte la réaction des personnes, dans le but de lever des fonds très vite. Une organisation comme l’Ifrap se présente, en fonction du contexte, alternativement comme un think tank, une fondation, un lobby, ou une association. »
4,5 millions d’euros de dons
A la politique s’ajoute en effet un savoir-faire commercial. François Laarman se définissait comme « entrepreneur militant ». C’est ainsi qu’il a fondé, en 1996, la société Score Marketing, aujourd’hui dirigée par une ancienne collaboratrice, Carole Néaumet.
Son activité se spécialise dans le « mailing direct » : l’envoi de publicités ciblées au domicile. Autrement dit, cette structure achète, puis revend ou loue – y compris à des groupes de presse comme Le Monde – des fichiers d’adresses déjà constitués. Suivront d’autres entreprises, exerçant des activités similaires : France Adresses, Top Data, Starexis…
En 2001, François Laarman a aidé son neveu Vincent à lancer SOS Education, où il sera épaulé par sa sœur Isabelle. Suivra, en 2007, l’Institut pour la justice, cofondé par le même Vincent Laarman et son épouse, Marie-Laure Jacquemond. Celle-ci est également trésorière de l’association Créer son école, fondée en 2004, et qui milite en faveur des écoles privées hors contrat.
Fiscalité, retraites, éducation, justice… Autant de thématiques susceptibles de séduire un public âgé et aisé, cible prioritaire. Et une méthode qui marche. En 2014, les comptes de Sauvegarde retraites faisaient apparaître 4,5 millions d’euros de dons. En 2016, SOS Education affiche 1,5 million d’euros de dons. L’Institut pour la justice, pour sa part, annonce 856 000 euros pour l’année 2017. Toutes ces associations engrangent également des fonds en louant leurs fichiers d’adresses.
Marketing agressif
Vincent Laarman modernise les techniques de son oncle. Il n’occupe aujourd’hui plus aucune fonction au sein de SOS Education ni de l’Institut pour la justice, mais dirige Santé nature innovation (SNI), une société suisse qui édite notamment un site Web du même nom, et revendique plus de 850 000 abonnés à ses newsletters, gratuites et payantes.
Le site, qui a longtemps compté le très controversé professeur Henri Joyeux dans son comité scientifique, a été épinglé à plusieurs reprises, notamment par l’UFC-Que choisir. Dans la ligne de mire : son marketing agressif, sa promotion de traitements « miracles » dont les effets sanitaires restent sujets à caution, et ses articles anti-vaccins.
Un autre Laarman, Jan, frère de Vincent, sera durant quelques années à la tête de la Sercogest, entreprise chargée de la plate-forme téléphonique de SNI. L’épouse de Vincent, Marie-Laure Jacquemond, lui succédera jusqu’à la liquidation de la société, en 2018.
Installés depuis quelques années à Lausanne, les Laarman sont aussi actifs en Suisse. En 2017, Marie-Laure Jacquemond a contribué à y créer une école primaire « d’esprit chrétien et de culture classique », l’institut du Mont-Pèlerin, référence à la Société du Mont-Pèlerin, groupe de réflexion libéral de l’après-guerre.
C’est également à Lausanne qu’a été domiciliée SerenWays. Cette entreprise est le prolongement d’un énième « collectif », Alerte enfants écrans, qui avait connu une certaine notoriété en 2018 grâce à des pétitions contre l’utilisation du téléphone portable à l’école. Devenue Serenways, elle se positionne désormais comme une « communauté » qui propose conseils et guides – payants – pour « mieux gérer votre vie digitale ». A la tête de la structure, on retrouve… Sylvain Marbach, le nouveau président de l’association SOS Education, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions sur cette société.
M. Marbach est déjà installé dans la région. Il a travaillé de 2013 à 2018 pour Santé nature innovation. Rien d’étonnant dès lors à ce que SNI, comme d’ailleurs SOS Education, assurent la promotion des solutions et des guides de Serenways, sans jamais évoquer les liens qui unissent leurs fondateurs. A l’heure du marketing électronique, Sylvain Marbach a un CV adéquat. Son compte LinkedIn le décrit comme un ingénieur spécialisé en sciences cognitives.
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