La sénatrice LRM Patricia Schillinger remet jeudi un rapport à Marlène Schiappa proposant d’expérimenter la gratuité de serviettes périodiques et de tampons pour les femmes les plus précaires.
Jusqu’ici passée sous silence, la question de la précarité menstruelle – soit la difficulté que rencontrent de nombreuses femmes pour se procurer des protections hygiéniques – est inscrite depuis peu à l’agenda politique.
Le 28 mai, à l’occasion de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a confié une mission à Patricia Schillinger, sénatrice La République en marche (LRM) du Haut-Rhin. Objectif : étudier un projet d’expérimentation de la gratuité des protections hygiéniques dans plusieurs « lieux collectifs ».
Par manque d’argent, en France, une femme sur dix renoncerait à changer de protections périodiques aussi souvent que nécessaire.
Dans son rapport, que Le Monde a pu consulter, remis jeudi 17 octobre à Mme Schiappa, l’élue fait un retour d’expérience des différents acteurs sociaux et associatifs, et suggère des pistes pour lutter contre ce qu’elle n’hésite pas à qualifier de « fléau » et d’« impensé dans les politiques publiques ». La principale proposition de Mme Schillinger est la mise à disposition gratuite de protections menstruelles pour trois catégories de femmes : les sans-abri, les détenues, et les plus jeunes (adolescentes et étudiantes).
Par manque d’argent, en France, une femme sur dix renoncerait à changer de protections périodiques aussi souvent que nécessaire, selon une enquête de l’IFOP pour l’association Dons solidaires datant de mars 2019 ; et 39 % des plus précaires ne disposeraient pas de tampons ou de serviettes en quantité suffisante.
Pour faire face à ce problème, elles sont nombreuses à « bricoler » des protections de fortune (papier toilette, journaux etc.) ou à mettre leur santé en danger. Pour d’autres, il s’agit de choisir entre manger ou « rester propre ». Autre conséquence concrète : l’absentéisme scolaire. 12 % des jeunes filles ont déjà manqué les cours car elles n’avaient pas de protections, selon cette même étude.
Ne pas se sentir jugée
Si la précarité menstruelle recouvre différentes réalités, elle reste systématiquement accolée à un double tabou, celui des règles et celui de la pauvreté. Or, les différentes expérimentations menées sur le terrain (dans les universités de Lille et Caen notamment) montrent que les femmes en situation de précarité sont peu nombreuses à demander d’elles-mêmes des protections.
Selon Mme Schillinger, la « clé de la réussite » de telles initiatives repose sur l’accès en libre-service de tampons ou de serviettes. « Il s’agit en effet de ne pas faire peser sur les femmes et jeunes filles un regard, donc un contrôle voire un jugement extérieur sur leur consommation en produits, souligne la sénatrice qui veut à tout prix éviter la stigmatisation de ces femmes. Elles doivent se sentir à l’aise pour sortir de l’isolement. »
Les protections que les détenues peuvent acheter dans les établissements pénitentiaires sont deux à quatre fois plus coûteuses qu’en grande surface.
Un autre problème souligné par la parlementaire reste le manque d’accessibilité à des toilettes gratuites, à un point d’eau et à du savon. Pour les plus précaires, se changer dans des conditions dignes est une gageure. C’est la raison pour laquelle l’élue préconise de privilégier la distribution de serviettes, et dans une moindre mesure de tampons. Les coupes menstruelles et autres serviettes lavables sont, certes, plus économiques et écologiques, mais exigent un lieu propre, ce qui est loin d’être possible au quotidien.
Dernière « urgence » pointée par la sénatrice : il est impératif de permettre aux femmes emprisonnées d’avoir accès à des serviettes hygiéniques gratuitement. A l’heure actuelle, les protections qu’elles peuvent acheter dans les « cantines » des établissements pénitentiaires sont deux à quatre fois plus coûteuses qu’en grande surface. « Ce n’est pas parce qu’on est dans un lieu fermé qu’on n’a pas le droit de vivre décemment », insiste Mme Schillinger, qui dit ne pas être sortie « indemne » de ses rencontres avec des détenues.
En parler aux filles comme aux garçons
Villes, intercommunalités, départements, régions… Tous sont invités à participer à cette phase d’expérimentation sur la base du volontariat. La sénatrice LRM suggère de mener ces tests dans des territoires urbains, mais aussi ruraux et d’Outre-Mer, les associations de solidarité étant souvent moins présentes en dehors des grandes villes.
Si l’élue estime à 79 000 euros par an l’enveloppe à accorder pour les détenues (elles étaient 2 521 au 1er avril 2019), elle reconnaît qu’il est plus difficile de chiffrer précisément le nombre de femmes SDF et d’adolescentes précaires, et donc leurs besoins. Mme Schillinger avance, « à titre indicatif », un budget moyen de 320 000 euros par département et par an, assumant « une fourchette haute ». Selon elle, ces expérimentations ne sont qu’une première étape. « Il faudra faire le point dans deux ans afin de regarder ce qui a le mieux fonctionné et réévaluer les besoins. »
Consciente que ses propositions ne suffiront pas à elles seules à briser le tabou autour des règles, la sénatrice plaide pour davantage de pédagogie dès la fin de l’école primaire. « On pourrait imaginer une première discussion en CM2, car les jeunes filles ont leurs règles de plus en plus tôt. Il faut parler de l’impact des règles, des douleurs que cela peut provoquer, de l’hygiène corporelle, aux filles mais aussi aux garçons », explique-t-elle tout en rappelant que cela reste « à définir avec le ministère de l’éducation ».
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