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vendredi 2 novembre 2018

Quel destin scolaire pour les enfants d’immigrés ? Trois questions à Mathieu Ichou, sociologue

Le chercheur montre que la réussite scolaire des enfants d’immigrés varie fortement en fonction des individus et des générations alors qu’ils sont censés partager la même culture d’origine.
LE MONDE IDEES  | Propos recueillis par 

Vous venez de publier « Les Enfants d’immigrés à l’école » (PUF, 310 pages, 24 euros), un livre qui tente de comprendre les trajectoires scolaires des jeunes issus de l’immigration. Pourquoi ?
Mathieu Ichou.- Les recherches en sciences sociales montrent que les enfants d’immigrés, en France, réussissent moins bien à l’école que les enfants de natifs – même si leurs trajectoires sont beaucoup plus variées qu’on ne l’imagine. Pour expliquer ce relatif échec scolaire, certains insistent sur l’incompatibilité de leur culture d’origine avec la réussite scolaire.

Le problème, c’est que, dans ses versions les plus simplistes, cette approche culturaliste postule une grande fixité et une grande homogénéité des cultures : elle ne parvient pas à expliquer pourquoi la réussite scolaire des enfants d’immigrés varie fortement en fonction des individus et des générations alors qu’ils sont censés partager la même culture d’origine.
D’autres insistent plutôt sur le poids des inégalités sociales. Cette explication est nettement plus pertinente : depuis les années 1960, les sciences sociales ont accumulé de nombreux travaux montrant que l’échec scolaire des enfants d’immigrés est étroitement lié au fait que leurs parents occupent une position sociale défavorisée en France. Cette approche peine cependant à expliquer pourquoi, à niveau social égal, les trajectoires scolaires des enfants issus de l’immigration restent aussi diverses. Une des clés, me semble-t-il, se situe dans la société d’origine.
Comment l’histoire prémigratoire des parents pèse-t-elle sur la réussite scolaire des enfants d’immigrés ?
Dans mes travaux, j’ai étudié plus particulièrement deux groupes : les enfants d’immigrés de Chine et d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Laos, Cambodge), qui se distinguent, en moyenne, par une bonne réussite scolaire, et les enfants d’immigrés turcs, qui ont, en moyenne, plus de difficultés. Fondée à la fois sur des statistiques et des entretiens, l’enquête que j’ai menée en France et en Grande-Bretagne montre qu’il faut, pour expliquer le destin scolaire contrasté de ces deux groupes, prendre en compte l’histoire prémigratoire des parents.
Les conditions matérielles de vie des immigrés en France nous disent peu de chose sur ce qu’ils étaient dans leur société d’origine : deux ouvriers non qualifiés, qui, à nos yeux, se ressemblent, peuvent venir, pour l’un d’une famille des classes supérieures de son pays d’origine, pour l’autre d’un village d’agriculteurs dont les habitants sont à peine scolarisés.
Trois processus se cumulent dans cette histoire prémigratoire.
Le premier, c’est la place de l’éducation dans le projet de migration des parents – ont-ils quitté leur pays pour faire des études et améliorer les conditions de scolarisation de leurs enfants ?
Le deuxième, c’est la place du savoir dans l’histoire familiale – y a-t-il, dans la famille proche ou élargie du pays d’origine, des modèles de réussite scolaire ?
Le troisième processus, qui est le plus puissant, c’est la position sociale prémigratoire des parents car c’est elle qui façonne leurs attentes scolaires – dans leur société d’origine, comment se représentent-ils subjectivement leur statut, qui est associé à des sentiments d’infériorité ou de supériorité sociale ?
Quels sont les résultats de votre enquête ?
Avant de quitter leur pays, les immigrés d’Asie du Sud-Est et de Chine occupaient plutôt des positions sociales relativement favorisées : ils étaient souvent issus de milieux urbains et beaucoup avaient reçu une éducation. Tous ces facteurs sont évidemment favorables à la réussite des enfants, et ce même si les parents occupent, dans la société française, des positions sociales défavorisées.
Les immigrés turcs qui ont choisi de s’installer en France ont une tout autre histoire. La plupart viennent de zones rurales, leur projet migratoire n’était pas centré autour de l’école, leur statut social, en Turquie, n’était pas très élevé et le savoir occupait rarement une place centrale dans l’histoire de la lignée familiale.
Ce sont des facteurs moins favorables à la transmission de fortes attentes scolaires envers leurs enfants. Il faut, pour donner du sens aux trajectoires scolaires des enfants d’immigrés, décentrer notre regard : l’histoire de leurs parents s’est inscrite dans un pays où la stratification sociale et l’école n’ont pas le même visage qu’en France.
Mathieu Ichou est chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED) et chercheur associé à l’Observatoire sociologique du changement (Sciences Po-CNRS). Il vient de signer Les Enfants d’immigrés à l’école (PUF, 310 p.

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