Deux structures, l’une européenne et l’autre française, se sont lancées cette année pour accélérer la recherche contre les maladies touchant les enfants, encore trop peu étudiées.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Nathalie Picard
Favoriser le développement de nouveaux médicaments pour les enfants. Telle est l’ambition du réseau européen de recherche clinique en pédiatrie Conect4Children (C4C), qui rassemble 33 partenaires académiques et 10 industries pharmaceutiques de 20 pays. Pour la première fois depuis son lancement en mai dernier, il s’est réuni début septembre à Paris. « Se structurer à l’échelle nationale et européenne est indispensable pour développer des médicaments sûrs et efficaces adaptés aux enfants », affirme le professeur de pédiatrie Régis Hankard (CHU de Tours, université de Tours), organisateur pour l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de cette réunion sur l’émergence des réseaux nationaux et l’harmonisation des pratiques entre pays. Régis Hankard coordonne également la contribution française à C4C, le réseau de recherche clinique en pédiatrie Pedstart. Lancé en janvier 2018, il regroupe sept centres d’investigation clinique (CIC) de l’Inserm – d’autres le rejoindront bientôt – et intègre deux réseaux préexistants : le Réseau d’investigations pédiatriques des produits de santé (Ripps) et Hugoperen dans le Grand Ouest. « Nous avons dépassé les rivalités locales pour parler d’une voix unique au niveau européen », apprécie le professeur.
DANS LES ANNÉES 2000, DES ÉTUDES MONTRAIENT DÉJÀ QUE 50 % DES MÉDICAMENTS ÉTAIENT DÉLIVRÉS AUX ENFANTS SANS ÉVALUATION SPÉCIFIQUE À LEUR ÂGE
Si de nouvelles forces collectives se déploient aujourd’hui, c’est que les enfants restent les parents pauvres de la recherche clinique. Le constat ne date pas d’hier : dans les années 2000, des études montraient déjà que 50 % des médicaments étaient délivrés aux enfants sans évaluation ou autorisation spécifiques à leur âge. Ce qui pose problème, car les enfants ne sont pas des adultes miniatures. Par exemple, « le type d’enzymes et leur
quantité dans l’organisme évoluent avec l’âge. Or ces protéines servent à rendre un
médicament actif, puis à l’éliminer », illustre Corinne Alberti, directrice du Centre d’investigation clinique et d’épidémiologie clinique à l’hôpital Robert-Debré (Inserm). D’où la nécessité de recherches spécifiques.
Développer les essais cliniques
Certaines spécialités, telle l’oncologie, sont organisées de longue date : « Depuis plus de 20 ans, les oncologues pédiatres se sont structurés en réseau, convaincus que seule la recherche destinée aux enfants peut améliorer les taux de guérison », souligne le professeur Gilles Vassal, directeur de la recherche clinique à Gustave-Roussy et président du consortium européen ITCC(Innovative Therapies for Children with Cancer), né en 2003 pour fédérer les centres d’oncologie pédiatrique. Au sein de son comité de pilotage, Pedstart bénéficiera de l’expertise du professeur Vassal. Le réseau français, plurithématique, compte accompagner des projets complexes dans toutes les disciplines, en partenariat avec les réseaux de spécialité déjà existants pour accélérer, entre autres, la recherche sur les maladies rares.
D’autres spécialités devraient suivre, car depuis 2007, le règlement pédiatrique européen a changé la donne : toute demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament pour l’adulte s’accompagne, sauf dérogation, d’un développement chez l’enfant. Quel bilan dix ans après ? « Le règlement est efficace dans les domaines où les besoins de l’enfant coïncident avec ceux de l’adulte, rapporte Sylvie Benchetrit, référente pédiatrique à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et déléguée au comité pédiatrique pour la France à l’Agence européenne des médicaments (EMA). En revanche, le développement de médicaments destinés uniquement à l’enfantreste à la traîne. »
En oncologie et en néonatalogie, le règlement n’a pas atteint ses objectifs. « Lorsque ma fille Margaux est décédée d’une tumeur au cerveau en 2010, elle n’avait pu bénéficier d’aucun essai clinique », regrette Patricia Blanc, présidente d’Imagine for Margo, qui finance des programmes de recherche contre le cancer des enfants. Aujourd’hui, les essais de médicaments innovants se développent en oncologie pédiatrique, mais seuls 10 % des enfants en échec thérapeutique y ont accès en Europe. En cause, la complexité des essais et l’étroitesse du marché, entraînant un moindre retour sur investissement pour les industriels.
Impliquer les enfants
« Les réseaux pédiatriques peuvent compléter l’action réglementaire », estime Sylvie Benchetrit. Pour Claire Lévy-Marchal, membre du bureau exécutif de F-CRIN (plate-forme nationale d’infrastructures de recherche clinique), les réseaux représentent « une force de frappe considérable » pour développer les essais pédiatriques. D’abord, ils améliorent le recrutement, plus difficile chez l’enfant : en raison d’une moindre prévalence des maladies, la mobilisation de plusieurs centres d’investigation dans différents pays est nécessaire. Nombre d’études s’arrêtent en cours de route faute de participants. En France, Pedstart constitue un guichet unique d’accès à plusieurs sites investigateurs. Même ambition de C4C au plan européen.
LES ENFANTS NE FORMENT PAS UN GROUPE HOMOGÈNE : LA RECHERCHE DOIT CONSIDÉRER LES DIFFÉRENTS ÂGES, DES PRÉMATURÉS AUX ADOLESCENTS
Autre difficulté liée à ces faibles effectifs, la méthodologie classique des essais cliniques n’est pas adaptée. D’autant que les enfants ne forment pas un groupe homogène : la recherche doit considérer les différents âges, des prématurés aux adolescents. Elle développe donc de nouvelles méthodes, comme celles dites « adaptatives », qui évoluent au cours de l’essai. Un enjeu-clé pour la recherche clinique pédiatrique. Par ailleurs, « il faut assurer un suivi des effets indésirables à long terme. Une toxicité peut se manifester plus tard dans le développement de l’enfant », pointe Corinne Alberti. Face à ces défis, les deux réseaux comptent partager expertises et exigences de qualité.
« La qualité, c’est aussi l’attention portée à la voix de l’enfant et sa famille », estime le professeur Régis Hankard. Dans sa réponse au premier appel d’offres de C4C, Pedstart prévoit d’associer les 14 jeunes experts (11 à 18 ans) de Kids France, un groupe lancé en 2015 par le Ripps. Ils sont formés et donnent leur avis sur la recherche pédiatrique, de la priorisation à la communication. Par exemple, ils ont travaillé sur un document donné aux patients dans le cadre d’un essai sur la sclérose tubéreuse de Bourneville, ou réalisé une vidéo pour les jeunes atteints de cystinose (deux maladies rares). « Ils apportent une vision différente de celles des chercheurs ou des laboratoires », souligne Ségolène Gaillard, coordinatrice de Kids France et chef de projet clinique au CIC de Lyon (Inserm, Hospices civils de Lyon, université Lyon-I). Au niveau européen, une association membre de C4C rassemble les groupes d’enfants experts. L’objectif ? Développer une recherche pédiatrique en adéquation avec les besoins des patients.
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