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jeudi 1 novembre 2018

Faut-il brûler la médecine fondée sur la croyance ?

TRIBUNE - La médecine factuelle dénonce avec virulence le charlatanisme associé aux médecines dites « alternatives », qui se fondent sur la croyance plutôt que sur la preuve. Il serait cependant faux de ne pas voir dans cette croyance une source de bien-être, générateur d’amélioration d’un état de santé. La complémentarité entre les approches est-elle possible ?
LE MONDE 
Par Frédéric Adnet, professeur de médecine d’urgence
Je découvrais un lointain cousin lors d’un dîner familial dans une belle ferme de la Lozère, paysan d’environ 80 ans, très en forme avec ce bon teint de l’homme de la terre. A la fin du repas, il s’ouvrait à moi pour une douleur du gros orteil qui, manifestement, le gênait beaucoup. « J’ai vu mon rebouteux, il m’a fait des manipulations, mais ça ne m’a pas soulagé ! »
Professeur en médecine, je me sentais dans l’obligation d’examiner cet orteil rebelle à la médecine locale. En quelques secondes, ce fut un soulagement : « Facile ! Crise de goutte ! » J’allais instantanément vaincre le charlatanisme local et démontrer la vraie science. J’écrivais de ma plus belle plume le traitement adapté, démontré par de multiples études randomisées en double aveugle ; je prescrivais de la colchicine, un milligramme fois trois le premier jour, puis un milligramme deux fois les deux jours suivants, puis un milligramme par jour à partir du quatrième jour.1Quantité suffisante pour 10 jours ! Très satisfait, je lui présentais mon ordonnance et, modeste, lui annonçais : « Ça devrait marcher ! »
Virulence
Dans une tribune du Figaro, extrêmement virulente, 124 médecins ont dénoncé le charlatanisme associé à des médecines « alternatives » dont le tort essentiel est de n’avoir pas été validées par un niveau de preuves issu de recommandations de« l’evidence-based medicine » (EBM) » ou « médecine fondée sur des preuves ».

Ce positionnement des adeptes de la médecine factuelle semble assez facile et confortable. Affirmer que la terre tourne autour du soleil (et non l’inverse) a été le modèle d’une guerre entre croyance et pensée scientifique. Notons simplement et avec une certaine ironie que l’accusation d’hérésie a changé de camp ; les inquisiteurs semblent, dans cette confrontation, du côté de Galilée !
Existe-il une véritable « médecine fondée sur la croyance » à côté d’une « médecine fondée sur les preuves » et, dans l’affirmative, a-t-elle une place dans l’amélioration de l’état de santé de nos concitoyens ?
Cette médecine issue de croyances trouverait son efficacité dans l’effet placebo et regroupe un ensemble de techniques qui ont comme principal avantage une réelle adhérence de nos patients. Citons bien sûr l’homéopathie, mais aussi l’auriculothérapie, l’acupuncture, l’aromathérapie, l’étiothérapie, la phytothérapie et cette liste non exhaustive ne cesse de s’allonger.
UN ESSAI, PUBLIÉ DANS LA PLUS GRANDE REVUE SCIENTIFIQUE DE MÉDECINE, MONTRE LE BÉNÉFICE DE LA GYMNASTIQUE CHINOISE (LE TAI CHI) DANS LA FIBROMYALGIE.
Elles ont comme point commun de ne pas être associées à un niveau de preuves indiscutable même si des essais bien conduits peuvent semer le trouble. Citons par exemple un essai positif sur le bénéfice de la gymnastique chinoise (le tai chi) dans la fibromyalgie publié dans la plus grande revue scientifique de médecine.3
Concernant l’homéopathie, aucune preuve de son efficacité n’a réellement été publiée lorsqu’elle est soumise aux fourches caudines de l’EBM.4 La démonstration de l’eau à mémoire ayant été associée a une vaste escroquerie.5
Les praticiens adeptes de ces techniques se réfugient le plus souvent dans la complémentarité qu’elles offrent aux traitements démontrés. Malheureusement, force est de constater en parcourant les sites ou les ouvrages spécialisés que cette « complémentarité » se traduit le plus souvent par une « substitution » à la médecine factuelle chez des praticiens dont la croyance en ces pratiques devient le principal outil dans la prise en charge de la maladie.
Le « croire », générateur de bien-être
Il serait cependant faux de ne pas voir dans cette croyance une source de bien-être générateur d’amélioration d’un état de santé qui ne peut se résumer à la guérison d’une maladie organique identifiée. Nous connaissons tous le poids des maladies psychosomatiques, le poids de la morbidité associée aux souffrances psychologiques qui accompagnent des maladies organiques et le poids des maladies imaginaires (au sens de Knock) dans lequel le mécanisme de croyance en des remèdes – accompagnés parfois de rituels – pourrait se traduire par un soulagement quantifiable.
Il est probable que le rapport médecin-malade est optimisé dans une médecine fondée sur la croyance par opposition à un médecin qui ne respecterait que les recommandations internationales en considérant son patient comme une automobile en panne dont la réparation est accessible. La puissance du « croire » n’est plus à démontrer. Des dizaines de milliers de personnes s’entretuent et meurent aujourd’hui dans le monde au nom d’un « truc » qui n’existe pas au sens de l’EBM (à ce propos, il serait facile de réaliser un essai randomisé contrôlé en comparant les bienfaits de l’eau « bénite » avec une vulgaire eau du robinet !). Il est donc probable que ces techniques issues de croyances puissent influer positivement sur l’état de santé de nos concitoyens lorsqu’elles sont employées dans une action bienveillante.
Victoires et dérives de la médecine factuelle
La médecine factuelle a fait (c’est le cas de le dire !) largement ses preuves. Elle a contribué, partiellement, à l’allongement de la durée de vie en bonne santé dans le monde et démontre tous les jours des performances indiscutables. Aujourd’hui, la mortalité de l’infarctus du myocarde à la phase aiguë est devenue rare, le sida se transforme en une maladie chronique non mortelle chez les patients traités. La prise en charge de l’accident vasculaire cérébral est en train de vivre une révolution avec les techniques de thrombectomie, en améliorant de façon spectaculaire le pronostic fonctionnel de nos malades.
Ces victoires – que nul ne peut contester – ne doivent pas masquer les erreurs ou errances de cette médecine hyper scientifique. La compétition académique dans la recherche clinique (« publier ou périr ! ») génère des fraudes dans la conduite des recherches qui gangrènent nos recommandations. Un éditorial récent du Lancet estimait à environ 50 % le pourcentage d’articles médicaux comportant des fautes plus ou moins volontaires dans la méthodologie.6 Un article du Monde s’en est ému récemment.7
Une autre dérive se cristallise dans les liens monnayés entre les experts médicaux et l’industrie pharmaceutique que l’on nomme pudiquement les « liens d’intérêts » et qui, qu’on le veuille ou non, influence l’EBM. L’affaire du Médiator vient nous le rappeler.
Une nouvelle source d’inquiétude – et non des moindres – réside dans la marchandisation des publications scientifiques de la recherche clinique. Il existe une course à l’échalote remarquable et parfaitement rentable de pseudo-journaux scientifiques et de pseudo-congrès médicaux qui publient (moyennant finance) des articles sans réels filtres académiques (phénomène appelé « journaux ou congrès prédateurs »).8 Ces pratiques prennent une part de plus en plus importante dans la littérature médicale et peuvent tromper nombre de jeunes scientifiques.
L’HOMÉOPATHIE NE DOIT PAS SOMBRER DANS UN INTÉGRISME. ET LA MÉDECINE FACTUELLE NE RÉPONDRA PAS À TOUS LES PROBLÈMES DE SANTÉ PUBLIQUE.
Croyance et pensée scientifique dans le domaine médical sont ainsi des forces antagonistes portant chacune leur fardeau. L’homéopathie ne doit pas sombrer dans un intégrisme qui la ferait se substituer à une médecine issue des preuves scientifiques, et la médecine factuelle ne répondra pas à tous les problèmes de santé publique dont le bien-être psychique est une composante importante.
Si la sécurité sociale rembourse certains traitements dénués de fondements scientifiques, cela résulte très probablement d’un calcul mercantile. Ces mêmes patients pourraient devenir – en cas de non-remboursement – des sur-consommateurs de soins lourds dans leur quête d’un soulagement psycho-affectif bien plus pénalisant en termes de finances publiques et probablement plus dangereux en termes de iatrogénie. Cet état de fait n’est donc, finalement, pas choquant.
Rechercher la complémentarité
Bien plus choquant est la réaction de l’association des médecins homéopathes, assignant leurs 127 collègues et contradicteurs vers une juridiction de l’Ordre des médecins, lieu peu propice à l’élaboration d’un vrai débat.
Il existe une place pour ces deux approches de la médecine, comme en Chine, où l’espérance de vie en bonne santé dépasse celle d’un Américain. La médecine traditionnelle chinoise cohabite pacifiquement avec la médecine factuelle. Il faut rechercher cette complémentarité en France, en faisant acte, pour nous porteurs de l’EBM, d’humilité. Le domaine de la santé est un espace tellement complexe que nos différentes approches peuvent y trouver leurs champs d’application plutôt que de s’opposer en des postures stériles.
Je revis finalement mon lointain cousin. Il était complètement guéri de son orteil mais consultait de nouveau son rebouteux pour une lombalgie. Et c’est bien ainsi.
Frédéric Adnet est professeur de médecine d’urgence. Université Paris XIII. Chef de service des urgences du groupe hospitalier Paris-Seine-Saint-Denis (AP-HP) et directeur du SAMU de la Seine-Saint-Denis. Chercheur à l’Inserm U942.
Notes
1. Khanna D., Fitzgerald J.D., Khanna P.P., et al. 2012, « American College of Rheumatology guidelines for management of gout. «, Part 1 : « Systematic nonpharmacologic and pharmacologic therapeutic approaches to hyperuricemia », Arthritis Care Res 2012 ; 64 (10) : 1431 – 46.
2. Collectif, L’appel de 124 professionnels de la santé contre les médecines alternatives, Le Figaro, 13 Mars 2018.
3. Wang C., Schmid C.H., Rones R., et al. « A randomized trial of tai chi for fibromyalgia », N. Engl. J. Med., 2010 ; 363 (8) : 743 – 54.
4. Goldacre B., « Benefits and risks of homoeopathy », The Lancet 2007 ; 370 (9600) : 1672 – 3.
5. Benveniste J., Ducot B., Spira A., « Memory of water revisited », Nature 1994 ; 370 (6488) : 322.
6. Horton R. Offline : « What is medicine’s 5 sigma ? », The Lancet,2015 ; 1380.
7. Larousserie P., « La biologie française minée par des manquements à l’intégrité scientifique », Le Monde, 2018.
8. Le lecteur trouvera des informations très utiles sur ce site : Maisonneuve H. Rédaction Médicale et Scientifique. https ://www.h2mw.eu/redactionmedicale/

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