Les manifestantes du Witch Bloc, vues le 12 septembre dans le cortège parisien contre la réforme du code du travail, sont les héritières de mouvements des années 1960 qui ont réhabilité cette figure maléfique comme un modèle de femme libre.
Elles ont participé, en robe noire et chapeau pointu, à la manifestation du 12 septembre, à Paris, contre la réforme du code du travail. « Macron au chaudron ! », clamait leur banderole. Elles s’appellent le Witch Bloc Paname, un nouveau collectif de « sorcières » féministes. Quoique peu nombreuses, une quinzaine, elles furent très remarquées lors du défilé. Depuis, leur page Facebook communautaire s’étoffe, plus de 600 personnes les suivent. Elles ont prévenu : lorsqu’elles seront 666 (le chiffre du diable), elles invoqueront Lilith, figure biblique rétive à l’autorité d’Adam, la première femme libre. Elles préparent d’autres manifestations contre l’« hétérocispatriarcapitalisme », se disent « militantes, féministes et émeutières », refusent toute mixité – et de nouveaux Witch Bloc viennent de se former à Toulouse et à Rennes.
Ces sorcières ont un modèle : Witch, groupe féministe fondé en novembre 2016 à Portland, aux Etats-Unis, présent dans les rassemblements féministes, antiracistes et anti-Trump. Elles aussi s’habillent en sorcières dans les manifestations. Leur manifesteproclame : « Des siècles durant, la culture dominante a persécuté tous ceux qui ont osé être différents : les guérisseurs, les sages-femmes, les queers, les solitaires, les vieux sages, les païens, les étrangers, les femmes sauvages (…). Ceux qui cherchent à nous oppresser nous ont toujours appelées ‘‘sorcières’’ pour nous réduire au silence. »
« Des femmes qui ont osé »
Ces sorcières américaines s’inspirent d’un groupe féministe radical fondé à New York en 1968, le premier Witch (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell, ou Conspiration féministe internationale de l’enfer), qui a multiplié les actions radicales et théâtrales. Pour Halloween 1968, déguisées en sorcières, elles ont lancé une malédiction sur Wall Street. En janvier 1969, elles ont manifesté contre l’élection de Richard Nixon.
Le manifeste du Witch Bloc de 1968 explique leur démarche : « Les sorcières ont toujours été des femmes qui ont osé être : inspirées, courageuses, agressives, intelligentes, non conformistes, exploratoires, curieuses, indépendantes, sexuellement libérées, révolutionnaires. Cela explique peut-être pourquoi 9 millions d’entre elles ont été brûlées. » Cette dénonciation des exécutions massives de « sorcières » dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles revient régulièrement dans le mouvement féministe. Si le chiffre de 9 millions de victimes est excessif, ces chasses aux sorcières, accompagnées de tortures, furent massives : les historiens parlent de 200 000 procès en sorcellerie et de 50 000 à 100 000 femmes brûlées.
Or, comme l’ont montré les historiennes féministes Christina Larner, Silvia Federici, Barbara Ehrenreich ou Deirdre English, les femmes accusées de sorcellerie étaient souvent des sages-femmes et des guérisseuses, des rivales pour la médecine urbaine. Elles ont servi de boucs émissaires pour conjurer les fléaux du temps, comme les famines et les épidémies, dont on les rendait responsables.
Ces analyses ont mené de nombreuses féministes à revendiquer dans les années 1970 le statut et le terme honni de « sorcière » – comme a fait ensuite le mouvement queer, reprenant à son compte une appellation infamante. C’est ainsi qu’entre 1975 et 1982, en France, Chantal Chawaf, Hélène Cixous, Marguerite Duras, Luce Irigaray ou Julia Kristeva ont participé à la revue Sorcières, fondée par la philosophe Xavière Gauthier. Et que, en Italie, un groupe de « sorcières » manifestait en criant : « Tremate, le streghe son tornate » (« Tremblez, les sorcières reviennent »). En 2017, les revoilà !
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