Les hommes ont du mal à parler des cancers de leurs organes génitaux, voire à alerter sur d’éventuels symptômes. Médecins et associations tentent de les sensibiliser. Par exemple avec la campagne Movember, qui incite à se laisser pousser la moustache… en novembre.
LE MONDE | | Par Maroussia Dubreuil
« Quelle taille voulez-vous ? », demande un urologue à son patient, les yeux rivés sur trois petites balles qu’il vient de poser sur son bureau. En 2004, Stéphane Beaumont, 34 ans, vient d’apprendre qu’il souffre d’un cancer du testicule. Son pronostic vital n’est pas engagé mais il va être opéré. « Qu’est-ce que j’allais bien faire d’une prothèse ?, se demande-t-il alors. Cela faisait quinze ans que j’étais avec ma femme, je n’avais rien à lui cacher. » Le médecin insiste : « On ne sait jamais. » Stéphane Beaumont choisit finalement la taille intermédiaire. Depuis, ce commercial en informatique et rugbyman amateur assume sa « mono-couille naturelle », du haut de son mètre quatre-vingts bien musclé. « Je suis toujours viril, non ? », plaisante-t-il, à une table du restaurant L’Auberge aveyronnaise, dans le 12e arrondissement, à Paris, où il entend organiser un événement pour soutenir la cause des cancers masculins.
Le cancer du testicule touche les 25-30 ans
Voilà sept ans qu’il s’est engagé auprès de l’association australienne Movember, qui sensibilise l’opinion publique sur le sujet et lève des fonds pour la recherche sur les maladies masculines, notamment les cancers de la prostate et du testicule, en invitant les hommes à se laisser pousser la moustache en novembre. Stéphane Beaumont dégaine sa toute nouvelle carte de visite façon pochoir-moustache. « J’ai grandi avec Les Brigades du Tigre, j’adore le look. Mais je suis la seule personne à avoir participé à toutes les campagnes Movember en France », regrette-t-il, conscient du tabou que représentent les cancers masculins.
« Les hommes ne parlent pas facilement de leur santé, a fortiori quand elle touche leur virilité », constate le professeur Karim Fizazi, oncologue, spécialisé dans les cancers génito-urinaires à l’hôpital Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), le premier centre de lutte contre le cancer en Europe. D’autant plus que ces cancers apparaissent à des âges charnières. De fait, le cancer du testicule touche majoritairement les hommes entre 25 et 30 ans. « Ils sont en pleine construction. Pour eux, c’est la bombe atomique, résume le professeur Fizazi. J’ai déjà fait un diagnostic à travers le pantalon car le malade n’avait pas osé venir consulter plus tôt. Son testicule mesurait au moins quinze centimètres de diamètre. » Le cancer de la prostate s’attaque, quant à lui, principalement aux seniors. « Personne n’est très fier de devenir vieux, poursuit-il. Après une opération, l’érection en pâtit. Des problèmes d’incontinence peuvent aussi survenir. »
C’EST TRÈS COURAGEUX DE LA PART DE JEAN-PIERRE PERNAUT D’AVOIR ANNONCÉ SON OPÉRATION DE LA PROSTATE. MAIS CELA N’A PAS ENCORE FAIT BOULE DE NEIGE. PEU DE CÉLÉBRITÉS LE DISENT. » CHRISTIAN WILTORD, ASSOCIATION DE PATIENTS CERHOM
« Résultat : c’est l’omerta », enrage Stéphane Beaumont, alors que près de 2 500 nouveaux cas de cancer du testicule et 50 000 pour la prostate (premier cancer masculin) sont diagnostiqués chaque année en France. Depuis 2014, l’association de patients Cerhom (composé de la fin du mot cancer et du début de celui d’homme) a bien mis en place deux lignes d’appel : Test’écoute et Prost’écoute. Mais les téléphones sonnent peu : « Entre 100 et 150 appels par an, estime Olivier Jérôme, le président. C’est peanuts. »
L’homme se souvient avoir vu tomber les tours du World Trade Center pendant une séance de chimiothérapie, après avoir subi une orchiectomie, « un joli mot pour dire ablation du testicule », sourit-il. « C’est très courageux de la part de Jean-Pierre Pernaut d’avoir annoncé [le 25 septembre sur Twitter] qu’il avait été opéré d’un cancer de la prostate, salue Christian Wiltord, un autre membre de l’association. Mais pour le moment, cela n’a pas encore fait boule de neige. Peu de célébrités le disent. »
Alors que les femmes se sont depuis longtemps mobilisées autour du cancer du sein, les hommes résistent à faire leur « coming out de cancer », formule le professeur Fizazi, qui reçoit régulièrement dans son cabinet des patients désespérés, accompagnés de leur mère pour les plus jeunes ou de leur femme. « Il arrive que ces dernières prennent le pouvoir et mènent les débats, remarque-t-il.On sent chez certaines qu’elles ont dû être écrabouillées par leur gugusse pendant quarante ans, alors, maintenant qu’il est complètement paumé, elles mènent les débats. Je dois parfois les recadrer sauf si monsieur me dit que c’est sa porte-parole officielle. »
9 000 décès par an
Le médecin reprend son sérieux. Selon lui, le tabou autour des cancers masculins aurait aussi retardé la recherche. « Depuis dix ans, par exemple, on sait qu’on peut faire une surveillance active de la prostate lorsque le cancer est localisé à faible risque de progression. » « Cela évite aux patients concernés de subir les effets secondaires d’un traitement [prostatectomie radicale, radiothérapie externe, curiethérapie ou traitement focal], responsables de séquelles urinaires et sexuelles. Ce progrès aurait pu être fait dix ans plus tôt si on avait été plus actifs », souligne le professeur Fizazi.
« PERSONNE NE DEVRAIT MOURIR DE CE CANCER QUI SE SOIGNE BIEN AUJOURD’HUI. C’EST UNE QUESTION D’ÉDUCATION. IL FAUT APPRENDRE À SE TOUCHER LES “NUTS” [NOIX] ! ». STÉPHANE BEAUMONT, TOUCHÉ PAR UN CANCER À 34 ANS
A L’Auberge aveyronnaise, Stéphane Beaumont gratte les poils de sa barbe coupés ras, en prévision de sa future moustache. L’ambassadeur de Movember espère que la campagne 2018 connaîtra le même succès qu’Octobre rose, pour le dépistage du cancer du sein, en France. « On devrait réclamer la parité », lance-t-il, provocateur. Ce mardi 2 octobre, il a donné rendez-vous à Olivier Jérôme, le président de l’association Cerhom, pour unir leurs forces et faire le point.« Alors que les membres de l’Assemblée nationale sont en majorité des hommes âgés potentiellement concernés par le cancer de la prostate, personne n’en parle, ironise Olivier Jérôme. Je défie quiconque de me donner la date de la Journée européenne de la prostate ! Il y a encore 9 000 hommes qui en meurent chaque année en France. C’est scandaleux ! Il n’y a aucun consensus entre les pouvoirs publics et les médecins sur les traitements. »
« Personne ne devrait mourir de ce cancer qui se soigne bien aujourd’hui. C’est une question d’éducation. Il faut apprendre à se toucher les “nuts” [noix] ! », ajoute Stéphane Beaumont. Il remonte d’un coup sec son pantalon, dévoilant son tout nouveau tatouage à la cheville : une mini-moustache.
Néanmoins, la situation évolue. Les centres de lutte contre le cancer essaient de proposer une consultation avec un sexologue pour aborder la maladie avec les hommes. Eliane Marx, psychologue et sexologue, fut l’une des premières à ouvrir une consultation de sexologie, fin 2014, au Centre Paul-Strauss consacré à la lutte contre le cancer, à Strasbourg. Pour aider les patients à s’exprimer, elle a mis en place un cadre sécurisant. « On prend le temps, personne ne nous dérange, mon téléphone est éteint, je m’adapte au vocabulaire de chacun et le patient sait qu’il n’y aura pas d’examen médical. »
Méconnaissance de leurs organes
Des planches anatomiques permettent aux personnes de se repérer. « Car certaines d’entre elles ont des difficultés à mettre les bons mots sur les bons organes », indique-t-elle. Les Français sont aussi invités depuis deux ans à visiter la prostate géante et gonflable, conçue par le professeur Desgrandchamps, chef du service d’urologie de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, avec le soutien du designer Philippe Starck, pour découvrir le fonctionnement de cet organe. Cette prostate fait le tour de France.
Olivier Jérôme sort fièrement son téléphone portable pour montrer à l’ambassadeur de Movember la première campagne vidéo de l’association Cerhom, inspirée du spot canadien Le Monde des cuys (un cochon d’Inde géant des Andes, prononcé « couille ») dans lequel on apprenait en 2014 à prendre soin de ses deux « cuys énormes ou de taille modeste, touffues ou bien entretenues ». Dans la version française, Un vrai film de boules, des hommes astiquent consciencieusement leur matériel : des boules de pétanque. « On a tourné rue Junot, à Paris précise-t-il. Dans un petit boulodrome privé. »
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