Créé par et pour les anesthésistes-réanimateurs, l'observatoire de la souffrance au travail s'étend désormais à tous les praticiens hospitaliers. Via un questionnaire à compléter en ligne, les bénévoles d'Action praticiens hôpital écoutent et orientent les praticiens en détresse. Un appui syndical, complémentaire des dispositifs d'aide médicale.
L'observatoire de la souffrance au travail (Osat) mis en place en 2009 par le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHAR-E) se transforme et passe sous l'égide de l'intersyndicale Action praticiens hôpital (APH)*. "Un élargissement à toutes les spécialités", comme l'a présenté ce 7 décembre le président d'APH, Jacques Trévidic, après avoir rendu hommage à Max-André Doppia, décédé le 13 novembre dernier et instigateur du projet. Pour l'Osat, ce développement est une réelle montée en puissance, puisque ce transfert permet de doubler le nombre de ses intervenants, qui passe de quatre à huit bénévoles.
Une approche "syndicale"
Le principe : un questionnaire est proposé en ligne sur le site de l'observatoire et s'adresse à tous les praticiens hospitaliers qui souhaitent faire part de leurs difficultés. En huit étapes, le praticien est amené à décrire sa douleur, ses attentes, et plus largement sa situation. Les données sont ensuite cryptées pour plus de confidentialité. Le praticien peut demander à être rappelé par les membres de l'observatoire. "Le formulaire présente aussi des indicateurs de gravité, tels qu'une cotation de la souffrance similaire à celle de la douleur, qui engendrent une situation d'urgence et un rappel systématique de la personne, dans les jours qui suivent", souligne Richard Torrielli, membre d'APH et du Collège français des anesthésistes-réanimateurs (Cfar). Une aide à ne pas confondre avec les cellules et autres plateformes de soutien, insiste APH. "Nous ne sommes pas un service d'aide médicale mais un service d'aide syndicale", poursuit Richard Torrielli. Ainsi, les membres du syndicat écoutent et appuient les praticiens pour d'éventuelles démarches administratives et les orientent si besoin vers une cellule d'écoute adaptée. La plateforme téléphonique proposée par l'association Soins aux professionnels de santé (SPS, lire notre article) est ainsi présentée comme un dispositif complémentaire.
Depuis la création de l'observatoire, ce sont environ 200 demandes qui ont pu être traitées, soit encore aujourd'hui environ quatre demandes par mois. Dans 90% des cas, les déclarations concernent un conflit avec la hiérarchie, qu'elle soit médicale ou administrative. "Souvent, le fait d'être entendu résout déjà une partie du problème. L'objectif est de faire sortir la personne d'une spirale qui peut aboutir à une situation dramatique telle que le suicide", explique Jacques Trévidic. Et selon APH, ces situations de souffrances liées au travail se multiplient. "La souffrance au travail est croissante, quotidienne dans les équipes. Il ne se passe pas un jour sans que l'un de nos collègues nous en fasse part. Il est particulièrement nécessaire de mettre en place des outils de prévention qui ne soient pas des gadgets de qualité de vie au travail", insiste Nicole Smolski, présidente d'honneur d'APH.
67% de cas de harcèlement
Qui sont les praticiens qui contactent l'observatoire de la souffrance au travail ? Dans les faits, toutes les spécialités sont déjà représentées, puisque "seulement" 38% des demandes concernent des anesthésistes-réanimateurs. L'âge moyen est de 50,4 ans. 60% des demandeurs sont des femmes. La cotation moyenne de souffrance est de 8 sur une échelle de 1 à 10. 67% des demandes concernent des situations de harcèlement. Un quart des appelants sont déjà en arrêt de travail depuis plus de deux semaines tandis que 18% ont recours aux antidépresseurs. Un tiers d'entre eux présentent en outre des symptômes physiques de douleur. Ils sont enfin 20% à évoquer des idées suicidaires.Sortir de l'isolement
S'il a pour vocation d'épauler les praticiens en détresse, l'Osat permet aussi aux syndicats d'avoir une connaissance directe des problèmes de terrain. Abus d'autorité, dialogue impossible ou isolement... sont notamment cités comme des exemples de plus en plus fréquents. Une manière aussi pour l'intersyndicale de mieux cerner les besoins des praticiens et de relayer leurs attentes et revendications au plus proche de la réalité. "L'Osat a deux ambitions : faire sortir les praticiens en difficulté de leur isolement et porter une parole groupée, pour montrer que non, il ne s'agit pas de cas isolés mais qu'il y a bien un problème de management dans notre pays", développe Pascale Le Pors, membre d'APH et vice-présidente d'AH. Un management dont, APH le reconnaît, tous les personnels sont victimes, y compris les directions elles-mêmes. "Cette conception verticale du management crée de la souffrance à tous les niveaux", précise Pascale Le Pors.
Et en filigrane se pose la question de la légitimité des syndicats et le manque de représentation syndicale des praticiens au sein des établissements. "Le temps passé, l'implication, tout est bénévole. On nous reconnaît une compétence, mais elle ne nous est jamais confiée officiellement au niveau local, nous manquons de légitimité pour agir", confirme Marie-José Cortès, membre d'APH via le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH). L'occasion pour l'intersyndicale de rappeler l'une de ses revendications fortes : œuvrer pour une présence des syndicats de praticiens dans les instances de représentation telles que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Pour elle, la qualité de vie au travail passe avant tout par une "qualité du travail", qui nécessite temps et dialogue, et dont l'Osat est un levier.
* APH est une intersyndicale qui réunit elle-même deux intersyndicales, Avenir Hospitalier (AH), dont le SNPHAR-E fait partie, et la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH).
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