Ces incitations douces destinées à faire adopter un comportement recherché sans le contraindre, aussi appelé « nudging », est-il efficace pour encourager à prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur au boulot ?
Dix mille pas et plus. « Je prendrais bien les escaliers, mais je ne sais pas où ils sont. » « Mon médecin m’a recommandé de monter à pied, mais je prends presque systématiquement l’ascenseur »… Au siège du Monde (9 étages), il est souvent plus évident d’emprunter les ascenseurs pour gagner son bureau, la cafète ou une réunion à l’étage en dessous que de chercher une des cages d’escaliers. Les privilégier fait pourtant partie des moyens d’intégrer de l’activité physique dans son quotidien – peut-il aider à adopter ce bon réflexe pour la santé ? Popularisée par l’économiste américain Richard Thaler, coauteur d’un best-seller sur le sujet en 2008 et récompensé cette année par le prix Nobel d’économie, cette approche est de plus en plus en vogue. En santé publique, elle est utilisée avec un certain succès pour lutter contre le tabac et l’alcool ou favoriser un régime alimentaire plus sain, estimaient des universitaires britanniques dans le British Medical Journal, en 2011. Ils citaient, par exemple, une étude qui a montré qu’en indiquant sur les chariots de supermarché une zone pour mettre les fruits et légumes, l’achat de ces aliments est multiplié par deux. Les auteurs concluent cependant que la faiblesse des preuves scientifiques disponibles ne permet pas de considérer le nudging comme une stratégie probante pour la santé publique.
Avant de lancer un projet sur le « nudge » et l’activité physique à Montréal, Paquito Bernard, chercheur en sciences de l’activité physique (université du Québec à Montréal/Institut universitaire de Santé Mentale de Montréal), s’est récemment plongé dans toutes les études disponibles. « Le nudging peut agir par quatre biais : la récompense immédiate, la tendance à suivre le mouvement, la mise en scène et la récompense financière », précise-t-il. Paquito Bernard s’est en particulier intéressé à la mise en scène ou « framing », c’est-à-dire la création de signaux facilitant la décision rapide, comme des traces de pas au sol et des messages positifs incitant à prendre des escaliers.
Contre-productif
« J’ai été surpris du décalage entre l’enthousiasme général et les résultats, dit-il. J’ai retrouvé quelques publications, et même trois revues de la littérature, peu convaincantes. Globalement, l’effet du nudge est assez modeste – une augmentation de 10 % à 20 %, et il s’estompe assez rapidement. » Le coup de pouce peut même s’avérer contre-productif, comme dans cette expérience norvégienne où le nudging de l’escalier d’un immeuble de bureaux a réduit sa fréquentation (Archives of Public Health, 2017). Les employés, dont 80 % montaient à pied avant le nudging, ont été pour certains irrités que quelqu’un vienne sur leur lieu de travail tenter d’influencer leur comportement…
En France, une expérimentation a été menée à Lyon fin 2014. Dans une bouche de métro, un escalier jouxtant un Escalator a été joliment habillé par une artiste, avec des messages positifs comme « Ta bonne santé est au bout de cet escalier » sur certaines marches. Evaluée à 4 % des usagers avant le nudging, sa fréquentation est passée à 18 % la première semaine, puis à 12 % les deux mois suivants. Les chercheurs du groupe de recherche en psychologie sociale ont aussi comparé deux conditions, en mettant parfois en panne l’Escalator (pour supprimer le choix) et/ou en masquant les messages. Conclusion ? « Quand les usagers n’ont plus le choix, le dispositif est moins bien perçu et les intentions de reprendre l’escalier sont moins importantes. Le nudge a besoin du choix pour avoir un impact psychologique. » La santé publique est décidément un art subtil.
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