La loi impose qu’un juge statue sur la régularité des hospitalisations sans consentement. Comme le montre Raymond Depardon dans « 12 jours ».
Le juge judiciaire a fait irruption dans l’hôpital psychiatrique en 2011. Mais le malaise créé par ces audiences un peu spéciales n’est toujours pas dissipé. La loi demande au juge des libertés et de la détention (JLD) de statuer sur la régularité de l’hospitalisation sans consentement d’une personne avant douze jours (le délai de quinze jours prévu par la loi de 2011 a été ramené à douze en 2013) et sur sa prolongation.
A l’origine de cette procédure, une censure du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 affirmant que l’hospitalisation à la demande d’un tiers sans regard d’un juge judiciaire était contraire à la Constitution. Le droit devait entrer dans ces lieux où des personnes sont privées contre leur gré de la liberté d’aller et venir. En 2016, les JLD ont été saisis de 78 193 demandes en matière d’hospitalisation sous contrainte, soit 10 % de plus en deux ans. Dans près de 9 % des cas, le juge a décidé une mainlevée, c’est-à-dire une mise en liberté.
Sur quel élément un juge peut-il décider de faire sortir une personne dont les médecins disent qu’elle souffre d’une maladie mentale nécessitant son hospitalisation ? « Je ne suis pas psychiatre, je ne peux pas mettre en cause l’avis du médecin », explique Didier Rouaud, JLD à Paris. Ses audiences sont dites « foraines », car c’est le magistrat qui vient à l’hôpital, à Sainte-Anne en l’occurrence.
Un « garde-fou »
Le juge vérifie la motivation des certificats des médecins. Un premier document justifiant la mesure doit être signé dans les vingt-quatre heures de l’hospitalisation, et une deuxième évaluation doit être réalisée par un médecin différent dans les soixante-douze heures. Un troisième avis est fourni au juge avant l’audience pour justifier ou non le maintien de la mesure. Le juge contrôle la procédure, pas la justification médicale de la mesure. M. Rouaud voit son rôle comme celui d’un « garde-fou » : « Puisque les médecins savent qu’on est dans la boucle, ils font plus attention. »
Le rôle des avocats est encore plus délicat. Dans le Val-de-Marne, sans doute le département doté du plus grand nombre d’hôpitaux psychiatriques, seuls 40 avocats sur les 575 du barreau acceptent d’être commis d’office dans ces dossiers. Annie Koskas, bâtonnière, et Nassera Meziane, vice-bâtonnière, refusent d’y participer, « car le rôle de l’avocat pose question ». La personne hospitalisée est-elle un patient ou un client ? « Ma mission est de conseiller un client et de mettre en œuvre les moyens juridiques pour l’aider à atteindre son objectif. Mais ici, comment peut-on savoir ce que veut le client ? Quel est notre mandat ? », interroge Mme Meziane.
En conséquence, les avocats soulèvent les questions de nullité dans la procédure. Une responsabilité que Mme Koskas se refuse à prendre, « de peur des conséquences dramatiques que peut avoir la sortie d’une personne dangereuse ». Mais elle se félicite que des avocats « jouent le jeu ».
Natalie Giloux, psychiatre : « Soigner quelqu’un contre son gré est en général contre-productif »
Il arrive d’ailleurs, observe le contrôleur général des lieux de privation de liberté, que des équipes médicales décident de réhospitaliser une personne avant même que la mainlevée décidée par le juge soit mise en œuvre. « C’est le devoir du médecin lorsqu’il pense que son patient est en danger », explique Natalie Giloux, psychiatre à l’hôpital du Vinatier (Rhône) qui a travaillé avec Raymond Depardon sur son film 12 jours. Reste le moment où le patient-citoyen a eu le droit de s’exprimer devant un juge.
Les personnes restent hospitalisées sans consentement vingt-six jours en moyenne lorsque c’est à la demande d’un tiers (généralement la famille), quarante-trois jours lorsque c’est au motif d’un « péril imminent », souvent invoqué pour des personnes sans famille connue comme les SDF, et quatre-vingt-deux jours quand c’est à la demande d’un représentant de l’Etat (préfet, maire, etc.). « Soigner quelqu’un contre son gré est en général contre-productif », rappelle pourtant Mme Giloux, selon laquelle le problème est la réduction des moyens en psychiatrie.
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