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mardi 5 décembre 2017

Le chapitre le plus sombre de l’histoire de la psychiatrie

05/12/2017


On sait qu’avant de réaliser l’extermination des «indésirables » à l’échelle de la Shoah, les Nazis ont «expérimenté » la mise en pratique de l’Holocauste sur d’autres sujets considérés par eux comme « inutiles », les malades mentaux, ce qui représenta au moins 70 000 victimes en 1940–1941[1]. Comme le montre cet extrait d’un manuel scolaire[2], la propagation de l’idéologie eugéniste dès l’enfance permettait de saper toute réprobation sociale : « La construction d’un asile d’aliénés coûte 6 millions de Reichsmarks. Combien aurait-on pu construire d’appartements à 15 000 Reichsmarks chacun avec cette somme ? » Avec consternation mais objectivité historique, il faut rappeler que les médecins –y compris les psychiatres– ont participé activement à ce funeste projet (Aktion T4). 

La revue History of Psychiatry évoque ainsi le « chapitre le plus sombre de l’histoire de la psychiatrie », l’intervention du Dr Emil Gelny, responsable de la mort de « plusieurs centaines de patients des établissements psychiatriques de Maria Gugging et de Mauer-Öhling, en Autriche. » S’étant quasiment auto-proclamé psychiatre (puisqu’il reçut son titre de spécialiste après un simple stage de trois mois), ce personnage reste dans les annales criminelles de la Seconde Guerre Mondiale pour avoir détourné l’usage de la thérapie par électrochocs afin d’en faire une arme au service de la « solution finale. » Ayant modifié une machine d’électro-convulsothérapie classique par l’adjonction d’électrodes supplémentaires qu’il reliait aux poignets et aux chevilles de ses patients-victimes, il leur administrait des chocs électriques létaux (qui ne sont pas sans rappeler le principe de la sinistre « chaise électrique », aux États-Unis). 

Une « réappropriation » de l’électrochoc…à l’origine de leur discrédit

La page Wikipedia (en allemand)[3] rappelle l’argument avancé par Gelny pour « justifier » la pratique massive de l’euthanasie (couverture officiellle du programme d’extermination) : « il y a beaucoup de bouches inutiles, alors que des milliers de soldats doivent donner leur vie » (pour l’Allemagne). Même si la plupart des malades mentaux (en Allemagne et dans les pays occupés par le Troisième Reich) moururent surtout d’autres causes (famine, maladies infectieuses, toxiques, doses létales de médicaments...), cette réappropriation de l’électrochoc comme moyen de mise à mort montre que l’imagination criminelle est sans limite, même quand elle concerne un médecin... À la chute d’Hitler, Gelny parvint à s’enfuir (tuant encore quelques dizaines de patients « avec un pistolet paralysant » –de son invention ?), puis à se réfugier dans des pays du Moyen-Orient où il mourut en mars 1961, après avoir poursuivi durant plusieurs années l’exercice de la médecine, et sans jamais avoir été inquiété par la justice...

Comme on l’imagine, le dévoiement de cette technique par la médecine nazie contribua largement après la guerre à « jeter une suspicion sur l’électroconvulsothérapie » (pourtant utile en cas de dépression sévère résistant à la pharmacothérapie) et incita le mouvement antipsychiatrique des années 1960 à « militer contre les méthodes de traitement organique en général et les électrochocs notamment. » En partie à l’origine de leur discrédit, et continuant (même implicitement) à polluer le débat sur la question, ce sombre épisode de l’histoire de la psychiatrie prolonge ainsi « son impact négatif jusque sur des patients d’aujourd’hui. »

Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCE
Gazdag G et coll.: Mass killing under the guise of ECT: the darkest chapter in the history of biological psychiatry. History of Psychiatry 2017, vol. 28(4): 482–488.

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