De tous les hôpitaux nord-américains contactés par une ONG pour évaluer la possibilité de séparer des siamoises nées en Afrique de l’Est, le Massachussets General Hospital for Children [MGHC] de Boston (USA) a été le seul à répondre positivement. Il a aussitôt formé une équipe pluridisciplinaire, avec des chirurgiens, des réanimateurs, des cardiologues, des radiologues, des anesthésistes, etc., afin de résoudre les problèmes éthiques et techniques posés par ce cas exceptionnel (environ une naissance de siamois sur 100 000 naissances).
A leur arrivée, en 2016, les fillettes étaient âgées de 22 mois. Elles étaient unies par l’abdomen et le bassin (omphalo-ischiopagus), et présentaient trois membres inférieurs (tripus), dont un avec un pied malformé. La siamoise A était plus fluette que la siamoise B, et plus ou moins cyanosée.
Le bilan a montré que A et B avaient en commun le foie, l’intestin à partir de l’iléon, la vessie et un vagin cloisonné, que A avait une cardiopathie congénitale complexe, fonctionnant comme un ventricule unique, et une vascularisation pulmonaire anormale, et que l’artère mésentérique de B débouchait dans l’aorte abdominale de A, assurant un apport de sang oxygéné de B vers A.
Mettre fin à la vie de l’une pour sauver l’autre
L’état de A s’est rapidement dégradé, avec une pneumonie récidivante et une hypoxémie croissante, faisant craindre un décès proche. En s’abstenant d’intervenir, on condamnait la siamoise B à mourir, et en intervenant pour sauver B on mettait fin à la vie de A, compte tenu de l’anastomose entre les circulations de A et de B.
Pour résoudre ce dilemme le comité d’éthique du MGHC a tenu plusieurs réunions. Il a conclu que les siamoises étaient des personnes distinctes, mais qu’il n’était pas inacceptable de sacrifier la siamoise non viable A pour sauver B dans la mesure où la séparation semblait techniquement faisable, même si elle n’était pas dénuée de risque vital pour B. En définitive, la décision d’intervenir, qui ne faisait pas l’unanimité des membres de l’équipe du MGHC, a été prise par les parents, dument informés.
L’intervention chirurgicale a duré 14 heures. Les points cruciaux ont été l’induction de l’anesthésie, le tracé de l’incision et la délimitation des volets cutanés grâce à une angiographie peropératoire (pour vérifier qu’ils étaient vascularisés par B), la réduction du volume du foie, la continuité de l’intestin, et enfin la séparation des bassins (le bassin de B étant disjoint par celui de A). L’artère mésentérique supérieure a été sectionnée en dernier, ce qui a entraîné la mort attendue de A.
Les suites opératoires ont été favorables. Il reste des interventions chirurgicales complémentaires à effectuer. Treize mois après l’intervention la siamoise survivante B grandit, rampe et tient assise avec aide, et ses parents sont satisfaits du résultat.
Au total, ce cas clinique exceptionnel illustre bien les problèmes éthiques et techniques que peut soulever la décision de séparer des siamois omphalo-ischiopagus tripus.
Dr Jean-Marc Retbi
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