Sylvie Royant-Parola, présidente du Réseau Morphée, alerte : notre organisme a besoin de plus de sept heures de repos par nuit. Sans cela, nous nous mettons en danger.
Psychiatre, la docteure Sylvie Royant-Parola préside le Réseau Morphée, qui se consacre à la prise en charge des troubles du sommeil. Avec trois confrères médecins et chercheurs, elle a lancé début octobre un appel aux autorités sanitaires pour une véritable politique de prévention sur le sommeil.
Sous quel seuil estime-t-on qu’un individu est en manque de sommeil ?
Un adulte se met en réel danger s’il dort moins de six heures par nuit. Les courts dormeurs existent. On estime entre 1 % et 3 % de la population ceux qui sont génétiquement programmés pour se contenter de quatre à cinq heures et demie de sommeil par nuit. Pour tous les autres, une nuit devrait durer entre sept et huit heures, exceptionnellement six heures. Jamais en dessous. Celui qui, en vacances, dort systématiquement trois heures de plus que d’habitude (passant de six heures à neuf heures par nuit, par exemple) doit se poser des questions : il est sans doute en forte privation de sommeil.
A quels problèmes de santé un déficit de sommeil nous expose-t-il ?
Il y a bien entendu les conséquences immédiates et évidentes : troubles de la vigilance et de l’attention, dont les risques d’accidents lors de la conduite automobile – 30 % des accidents de la route mortels sont dus à la somnolence. Mais, au-delà, les découvertes de ces dix dernières années nous ont permis de mesurer toute l’importance du sommeil. La privation de sommeil, même relativement légère (une heure de moins par rapport au temps habituel), a des retentissements sur le métabolisme et le fonctionnement de notre organisme. Nous en sommes sûrs, désormais : le manque de sommeil nous tue.
D’abord il modifie deux hormones digestives. Il accroît la ghréline, qui stimule l’appétit, et diminue la leptine, qui régule la satiété et le stockage des graisses dans l’organisme. Qui dort moins a davantage faim le lendemain et stocke davantage ce qu’il ingère. Plus la privation de sommeil est grande, plus ces effets sont importants, surtout chez l’enfant. Il y a donc un lien direct avec la prise de poids, l’obésité, et tout cela favorise le diabète.
La privation de sommeil crée aussi une instabilité de l’humeur avec, au minimum, une irritabilité et des troubles du caractère. Mais elle augmente aussi le risque de dépression. Elle favorise les troubles cardiovasculaires (AVC, infarctus), de l’hypertension. Elle affecte l’immunité, rendant plus sujet aux infections. Elle facilite le déclenchement des cancers hormono-dépendants (celui du sein chez la femme, de la prostate chez l’homme). Et même de maladies neurologiques comme celle d’Alzheimer, puisque, durant notre sommeil profond, un « lavage » neuronal s’exécute dans le cerveau.
Les conséquences sont-elles encore plus lourdes chez les enfants ?
Les privations importantes de sommeil (moins de six heures par nuit) concernent désormais 5 % des élèves de sixième, 15 % de ceux de troisième. Les enfants ont perdu vingt minutes par nuit en moyenne – ce qui veut dire que certains ont perdu une heure et demie de sommeil chaque nuit. Cela provoque des troubles de la vigilance, de la concentration, sources d’échec scolaire. Chez les petits, cela s’accompagne de fatigabilité, donc souvent d’hyperactivité. Pour cette dernière, on parle d’épidémie, on évoque les causes liées aux insecticides, mais on ne pense pas assez au lien avec le sommeil malmené.
« Rattraper » en dormant plus le week-end ne règle pas le problème. Car on s’est aperçu que l’irrégularité de nos rythmes nous fragilise énormément en désorganisant les rythmes circadiens (alternance entre la veille et le sommeil), dont la découverte vient de faire l’objet du prix Nobel de médecine. Alterner nuits courtes et nuits de récupération a un impact sur la santé, car les horloges internes ne peuvent plus programmer les fonctions de l’organisme, ce qui engendre un stress biologique supplémentaire.
Qu’est-ce que cette crise du sommeil dit de nous ?
Notre société voudrait fonctionner sur un mode linéaire, comme une machine. Nous sommes constamment sur le qui-vive, dans l’instantanéité de la réponse, l’angoisse de ne pas être présent, de ne pas exister. Nous avons du mal à mettre réellement notre cerveau hors connexion. La nuit, l’idée même que l’on puisse être joignable nous maintient en alerte. Mais nous sommes des êtres cycliques et non numériques. Notre corps a besoin d’une alternance de fonctionnement et d’arrêt où il se recharge. Où dormir est une fonction exclusive.
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