A l’occasion d’une conférence mondiale sur l’élimination du travail des enfants, l’Organisation internationale du travail alerte sur les difficultés à mettre fin à ce fléau.
Une fois encore, le constat est identique quand il s’agit d’éradiquer les formes extrêmes d’exploitation et d’inégalité sur la planète : la communauté internationale constate les progrès réalisés, mais on reste très loin de l’objectif. Ainsi en est-il du travail des enfants.
« Cent cinquante-deux millions d’enfants sont toujours victimes du travail des enfants, soit près d’un enfant sur dix dans le monde. Parmi eux, près de la moitié effectue des travaux dangereux. Nous devons reconnaître que les progrès ont été très inégaux », a déclaré le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), Guy Ryder, en ouverture de la 4e Conférence mondiale sur l’élimination durable du travail des enfants, qui se tient à Buenos Aires du 14 au 16 novembre.
Dans le cadre des Objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030, établi en septembre 2015, les Etats membres des Nations unies, les organisations d’employeurs et de travailleurs, ainsi que les organisations de la société civile sont encouragés à éliminer le travail des enfants d’ici à 2025 et le travail forcé, l’esclavage moderne et la traite d’êtres humains d’ici à 2030. A ces fins, les dirigeants des pays se sont engagés à « prendre des mesures immédiates et efficaces pour supprimer le travail forcé, mettre fin à l’esclavage moderne et à la traite d’êtres humains, à interdire et à éliminer les pires formes de travail des enfants, y compris le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats et, d’ici à 2025,à mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes ».
40 millions d’« esclaves modernes »
Et le constat n’est guère plus encourageant s’agissant du travail forcé. Selon les dernières estimations de l’OIT, quelque 40 millions de personnes sont « prises au piège de l’esclavage moderne », dont 25 millions s’agissant du travail forcé, et 15,4 millions concernant des mariages forcés. « Les objectifs ne sauraient être plus clairs, ni la triste réalité : si nous ne faisons pas plus et mieux, nous ne les atteindrons pas », met en garde M. Ryder.
Entre 2000 et 2016, le nombre d’enfants mis au travail est passé de 245 à 152 millions, soit quelque 100 millions en moins. Un progrès atténué par les difficultés à faire reculer le travail des plus jeunes : au cours des quatre dernières années, pour les 5-11 ans, la baisse a été infime, le chiffre passant de 73 millions à 72,6 millions.
C’est dans le monde agricole que le travail des enfants est le plus important, près des trois quarts (70,9 %), le secteur des services représentant 17,1 % de cette réalité, suivi par l’industrie, avec près de 12 %, beaucoup de ces « emplois » se retrouvant dans le secteur informel. Le plus grand nombre de ces jeunes de 5 à 17 ans se trouve en Afrique (72,1 millions), puis en Asie et dans le Pacifique (62 millions), dans les Amériques (10,7 millions), l’Europe et l’Asie centrale en comptant 5,5 millions.
Parmi les enfants les plus jeunes, entre 5 et 14 ans, un tiers réalise des travaux dangereux. Selon la convention 182 de l’OIT, cela concerne toutes les formes d’esclavage (traite, vente, servage, recrutement forcé dans des conflits armés…), la prostitution, la production de matériels pornographiques, l’utilisation d’enfants « aux fins d’activités illicites », tel le trafic de stupéfiant, ou encore tous les travaux qui « sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant ». Sont ainsi considérés comme dangereux les travaux effectués sous terre, sous l’eau ou à des hauteurs dangereuses, avec des machines ou outils dangereux, ou encore qui exposent les enfants à des températures excessives, à des produits toxiques…
Trop de tâches ménagères
Pour la première fois, l’OIT s’est intéressée à la mesure des tâches ménagères accomplis par des enfants, qui ne sont pas « économiquement actifs » et ne sont donc pas comptabilisés dans les 152 millions d’enfants au travail. Le travail ménager, souvent exercé dans le cadre familial, comme s’occuper de petits frères et petites sœurs ou préparer les repas, est difficile à quantifier. Selon plusieurs des études menées par l’Unicef, la Banque mondiale et l’OIT notamment, à partir de vingt et une heures hebdomadaires de tâches ménagères réalisées par un enfant, celui-ci risque de décrocher scolairement. Or, aujourd’hui, 40 millions de jeunes entre 5 et 14 ans font plus que ces vingt et une heures (65 % de filles), et 24 millions entre 15 et 17 ans (76 % de filles).
Le travail des enfants n’est pas l’apanage des pays émergents. Michaëlle De Cock, spécialiste du travail des enfants et du travail forcé à l’OIT, dont le siège est à Genève, aime à rappeler qu’en Suisse, les vacances de la Toussaint s’appellent toujours « vacances de patates » car, autrefois, ces congés correspondaient à la récolte de pommes de terre et les enfants allaient alors aider leurs parents dans les champs. En Ouzbékistan, lycéens, étudiants et même enseignants sont mobilisés pour récolter le coton, véritable manne pour ce pays qui en est le 5e exportateur mondial.
Les entreprises sont aussi concernées, ainsi que le montrent de récents exemples. En mai 2017, un rapport faisait état d’enfants travaillant dans l’ouest de l’Ouganda pour extraire une roche utilisée pour la fabrication de ciments bon marché, et la société LafargeHolcim était dans le collimateur. Le 15 novembre, Amnesty International pointait l’approvisionnement par une trentaine de multinationales en cobalt venant de mines en République démocratique du Congo, employant pour certaines des enfants. Le constructeur français Renault, Daimler, Fiat ou Tesla, mais aussi Apple, Microsoft… étaient ciblées pour leur manque de vigilance et de transparence.
Afin d’atteindre l’objectif d’éradication du travail des enfants, l’OIT a lancé l’Alliance 8.7, une plate-forme multipartite cherchant à conjuguer les efforts de chacun en vue d’atteindre cette cible des ODD. Lors de la conférence de Buenos Aires, l’organisation tripartite, qui réunit des représentants de gouvernements, des employeurs et des travailleurs, a émis plusieurs propositions. Il faut « renforcer les protections juridiques, améliorer la gouvernance des marchés du travail et des entreprises familiales, consolider la protection sociale et investir dans une éducation gratuite de qualité », affirme l’OIT. La mobilisation doit être générale, et les engagements des Etats comme ceux des entreprises doivent être publics, concrets et précis, et donc faciles à évaluer.
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