Epinglés en janvier pour leur manque d’actions contre les conflits d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques, les doyens des facs de médecine et d’odontologie ont voté un texte commun.
LE MONDE | | Par Séverin Gravele
« L’indépendance de la formation médicale à l’égard des intérêts particuliers ne se négocie pas, c’est un enjeu de santé publique », affirme, dans son préambule, la charte éthique et déontologique adoptée le 7 novembre par les doyens des facultés de médecine et d’odontologie. Ethique professionnelle, conflits d’intérêts, formation à la déontologie des étudiants, financements reçus des industries, etc. : ce texte paraît neuf mois après que l’association Formindep a révélé que seules neuf facultés sur trente-sept avaient pris des initiatives pour garantir à leurs étudiants l’indépendance vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. Le document doit maintenant être voté dans chaque faculté française.
« Les facultés françaises étaient à la traîne, et c’est un euphémisme, par rapport aux facultés européennes, pour afficher clairement les règles déontologiques, [parmi lesquelles] les interactions avec l’industrie pharmaceutique », reconnaît le professeur Jean-Luc Dubois-Randé, président de la Conférence des doyens de médecine. Et d’ajouter que cette charte est adoptée dans un contexte de « grosse pression justifiée de la société civile et des étudiants, qui s’interrogent sur le silence des universitaires » et sur « le manque de transparence et d’informations claires » sur le sujet. Même si des manquements « sont plus souvent observés dans les hôpitaux que, stricto sensu, dans les facultés », tempère-t-il.
Commission de déontologie et conflits d’intérêts
Dans cette charte, à laquelle Le Monde a eu accès, les facultés s’engagent à mettre en place dans chaque faculté une commission de déontologie chargée d’« examiner tous les sujets relatifs à l’éthique et l’intégrité scientifique et professionnelle ». Cette commission, qui comprendra des représentants étudiants, mais aussi des représentants d’associations de patients, du centre hospitalier universitaire (CHU) et du conseil de l’ordre des médecins, pourra être saisie par tout personnel ou usager de la faculté en cas de non-respect de la charte.
Par cette charte, les facultés s’engagent à « respecter et faire respecter les règles déontologiques et d’intégrité préconisées par l’ensemble des ordres des professions qui les composent ». Les personnels « ne doivent pas utiliser leurs prérogatives pour favoriser ou léser un tiers », et doivent renoncer à participer aux débats et votes dans les instances décisionnelles « sur les sujets pour lesquels ils ont un conflit d’intérêt ».
De même les facultés qui signeront la charte doivent s’assurer que les financements qu’elles sont susceptibles de recevoir de la part des industries « n’influencent pas l’indépendance des contenus pédagogiques ». Elles doivent rendre accessibles sur leur site Internet « les liens d’intérêt » de leurs personnels. Ces derniers doivent aussi les communiquer aux étudiants auxquels ils enseignent.
Les facs de médecine et d’odontologie doivent par ailleurs mettre en place une commission chargée « d’examiner les demandes de cumul d’activités » des enseignants, avec les activités d’expert ou de conseil aux entreprises par exemple. La participation des enseignants à des activités de marketing ou de vente des produits de santé est par ailleurs interdite, de même que les « cadeaux financés par l’industrie ».
Formation des étudiants
Autre point important : la charte appelle à renforcer la formation et la sensibilisation des étudiants à la déontologie et aux conflits d’intérêts. Ces cours obligatoires, réitérés tout au long du cursus, auront notamment trait au « bon usage de l’information médicale et scientifique, les manipulations de l’information et les pratiques d’influence, les moyens de les repérer et de se prémunir de tout risque de perte d’indépendance ».
Dans le cadre des « bonnes pratiques pédagogiques » que la charte promeut, les enseignants doivent citer dans leurs cours les médicaments selon leur dénomination commune internationale (DCI) « sans faire mention des noms commerciaux ni relayer de discours marketing ». Les industries du médicament ne peuvent intervenir en cours qu’après validation par la commission de déontologie de la faculté et dans le seul cas où elles sont les seules « à disposer de la connaissance » nécessaire.
De « bonnes intentions » qu’il reste à appliquer
Dans le cadre des travaux de recherche, les facultés s’engagent enfin à lutter « contre tous les manquements à l’intégrité scientifique » : plagiat, vol de résultats, falsification de données, etc.
« En termes de gestion des conflits d’intérêts, de transparence, d’encadrement du cumul des activités d’enseignement et d’expert auprès des laboratoires, cette charte répond très bien à nos exigences », commente pour Le Monde Jean-Sébastien Borde, néphrologue à l’hôpital de Saintes, et membre du Formindep ayant participé à l’étude de janvier.
Reste à savoir « si toutes les facultés vont bien signer cette charte », dit-il. Et, si c’est le cas, qu’elles les appliquent bien : « Certains professeurs d’universités qui ont des conflits d’intérêts ne vont pas l’appliquer de gaieté de cœur. Des doyens eux-mêmes vont peut-être devoir modifier leurs pratiques… » Le Formindep compte « surveiller de près l’application de ces bonnes intentions ». Il n’y a plus qu’à…
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