LE MONDE | | Par Collectif
Par Pierre Arditi (comédien), Evelyne Bouix (comédienne), Rachida Brakni (comédienne), Costa-Gavras (réalisateur), Eric Dupond-Moretti (avocat), Nancy Huston (écrivaine), Noël Mamère (député écologiste), Bruno Solo (comédien)
TRIBUNE. Aurélie, mère de famille, six mois de prison pour conduite sans permis ; Ahmed, atteint de troubles psychiatriques, cinq ans de prison pour des vols de téléphones portables ; Jérôme, SDF, deux mois de prison pour avoir dérobé des pâtes et du riz ; Gilbert, kleptomane, 61 condamnations, zéro violence, vingt ans de prison cumulés… Autant de personnes condamnées à l’issue d’une justice expéditive et qui viendront grossir les rangs de celles qui peuplent déjà les prisons. Car, avec 69 430 personnes détenues au 1er mars 2017, la population carcérale n’a jamais été aussi importante en France.
Pourtant, à moins d’un mois de l’élection présidentielle, peu semblent s’en soucier, oubliant au passage que les prisons sont un concentré des maux de notre société. Et si ce triste record vient signer l’échec de quinze ans de politiques répressives – que le quinquennat Hollande n’a pas su inverser –, il vient aussi illustrer l’incapacité des gouvernements successifs à prévenir et lutter contre la délinquance faute d’une véritable prise en charge des personnes en amont de leur condamnation puis tout au long de la chaîne pénale.
Face à cela, que proposent les candidats au mandat présidentiel ? Pour la plupart, la construction de nouvelles prisons, pour tenter, dans une course folle et sans fin, d’absorber l’incarcération galopante.
Travail d’intérêt général
Mais pour quelle utilité ? Et à quel coût, financier, humain et social ? L’incarcération d’Aurélie, Ahmed et Gilbert permettra-t-elle de protéger davantage la société ? Personne, même parmi les candidats, ne peut encore faire semblant d’y croire. Prétendre qu’il faudrait plus d’incarcération pour répondre à la délinquance relève désormais d’une posture intenable, voire d’une imposture. On sait, données statistiques et études à l’appui, que la prison renforce les facteurs de délinquance et accroît la récidive. 61 % des personnes qui sortent de prison sont recondamnées dans les cinq ans. En incarcérant massivement, pour des courtes peines, des personnes précaires, sans emploi, parfois sans logis, souffrant souvent d’addictions ou de troubles psychiatriques, on ne peut raisonnablement espérer qu’elles ressortiront mieux insérées dans la société…
Au-delà de la nécessaire prévention sociale, des réponses pénales autres que la prison existent et ont fait la preuve d’une plus grande efficacité : ainsi, le taux de récidive tombe à 34 % ou 32 % après une alternative à l’emprisonnement comme le travail d’intérêt général ou le sursis avec mise à l’épreuve, par ailleurs beaucoup moins coûteux que la prison. A l’ère du diktat de la sécurité, ces chiffres devraient convaincre jusqu’à ses plus fervents défenseurs.
Cesser de se voiler la face
Mais, en ces temps électoraux, il est parfois plus facile de faire croire qu’on tient une solution facile, aussi inadaptée soit-elle, que d’informer, d’expliquer et de faire œuvre de pédagogie… Et pendant que l’on construit de nouvelles prisons, les structures chargées de la prise en charge des personnes en milieu ouvert sont exsangues. En 2017, la part du budget consacrée au développement des alternatives à la prison correspond à 3 % du budget prévu pour l’accroissement du parc carcéral.
Il est temps que les responsables politiques cessent de se voiler la face. Un appel, porté par l’Observatoire international des prisons et relayé par de nombreuses organisations de la société civile, invite les candidats à l’élection présidentielle à s’engager résolument en faveur du renforcement des alternatives à l’emprisonnement, un engagement à traduire par une réorientation des priorités budgétaires et une politique pénale courageuse. Les prisons débordent : il y a aujourd’hui urgence à ce que cet appel soit entendu.
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