LE MONDE | | Par Maroussia Dubreuil
A droite, la France des années 1980 aux cabines téléphoniques vitrées et fermées. A gauche, un Brooklyn à briques rouges avec des graffitis. Des panneaux fléchés indiquent une dizaine de bâtiments répartis sur quatre hectares. Depuis 2011, l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14e arrondissement de Paris, héberge 600 personnes et accueille à bon prix 180 structures. Parmi elles, des entreprises solidaires et des ateliers d’artistes.
Jeudi 9 mars, 18 h 30. Cette ville dans la ville, renommée Les Grands Voisins, est en train de disparaître dans la brume. Sur la façade de l’avenue Denfert-Rochereau, des panneaux indiquent la démolition d’une partie des édifices pour la fin de l’année. Devant l’aile nord du bâtiment Lelong, qui autrefois était le théâtre des dissections, Maël Aïnine Cherif, artiste et résident dans un des centres d’hébergement, tire sur sa cigarette électronique et serre des mains.
Ce soir, on inaugure l’espace d’exposition Les Arts voisins avec les œuvres des artistes installés sur le site, dont il est le coordinateur. Un passeport ensablé dans un bocal rempli d’eau ouvre les festivités.
« On est tous commissaires d’expo ici ! »
« C’est mon histoire, dit Maël à propos de cette pièce de Jean-Baptiste Dusséaux. Le président mauritanien dont j’étais le conseiller et le photographe à Nouakchott a corrompu le consul de France pour m’empêcher d’obtenir un visa. Cela fait cinq ans que je n’ai plus d’identité. Pourtant, Jacques Chirac a posé pour moi dans le désert. »
Antoine, quatre photographies sous le bras et une plaquette de pâte adhésive à la main, tourne autour de Maël. « Colle-les où tu veux, lui dit-il. On est tous commissaires d’expo ici ! » Il part à la recherche d’un pan de mur vierge entre les nombreuses toiles politiques et religieuses de Maël.
« Ici, les 99 noms d’Allah, poursuit Maël. Là, un fort de Oualata où on enfermait les intellectuels ; plus loin, une clé à molette pour régler les problèmes de l’islam avec lui-même et le christianisme ; au fond, une Vierge à l’enfant et cinq spermes complexés de ne pas avoir fait ce bébé. »
Vessie de cochon
Dans une pièce adjacente, une femme enlève ses chaussettes. Elle presse un tube de gouache rouge et peint à pleines mains sur une grande toile de fortune scotchée au mur, au rythme d’un morceau techno. Catherine Marquette fait déborder la peinture sur le carrelage mural de l’ancien hôpital. « L’énergie du feu », a-t-elle prévenu. Elle termine avec une tache au front.
Le public, qui a reculé de quelques pas, pour rester propre, applaudit. Il est essentiellement composé des travailleurs sociaux des associations Aurore, Plateau urbain et Yes We Camp, et des autres artistes qui louent des ateliers sur le site. Peintures neuronales, vessie de cochon, photographies, papiers marbrés et lithographies, chacun est venu avec une ou deux pièces. Peu d’habitants les ont rejoints ce soir. « Une quinzaine quand même, tempère une responsable sociale. Beaucoup ont préféré venir hier pendant l’accrochage. »
LE SITE ACCUEILLE ATELIERS ET HÉBERGEMENTS POUR DES ARTISTES ET DES PERSONNES EN DIFFICULTÉ
Comme Maël, Patrick Poto est artiste et résident. Il expose Bibliothèque du savoir fantastique, un dessin naïf au stylo Bic quatre couleurs modèle fashion – plus fluo que le classique – réalisé en trois mois à raison de sept heures par jour. « Moi, je n’ai pas d’atelier, je dessine dans ma chambre, dit-il. Avant je dormais dehors. Mais, depuis que je suis là, j’ai réussi à avoir tout un tas de stylos et de feutres. Je me suis aussi essayé à la peinture dernièrement ! » Il se dirige vers un tableau coloré : « Ça s’appelle Au bord du trou. »
Il est 22 h 30. La salle se vide. Un peu plus loin, les chambres du bâtiment Pierre-Petit sont éclairées. Celles des voisins restés chez eux. Devant la porte d’entrée, on prend l’air. Mourad, embauché au café La Lingerie, installé aux Grands Voisins, n’a pas eu besoin de quitter le site. Il dispose d’une chambre sur place, après quatre ans d’attente.
Dans le grand hall éclairé où aucun visiteur n’a le droit d’entrer après 19 heures, de grands yeux aux longs cils sont peints sur des piliers. « Il y a quelques semaines, on est allé à La Maison rouge pour visiter l’exposition d’Hervé Di Rosa, raconte Mourad. C’est lui qui, il y a vingt ans, a fait la déco ici. C’était un hôpital pour les enfants. » Il fait défiler les photos de l’exposition sur son téléphone. « Di Rosa nous a dit que c’était de l’art modeste. »
Les Arts voisins, bâtiment Lelong, 82, avenue Denfert-Rochereau, Paris 14e. Jusqu’au 26 mars. lesgrandsvoisins.org
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