À l'occasion d'un congrès organisé le 6 mars à Paris par la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (SFPEADA), les acteurs de la pédopsychiatrie ont pu échanger sur la prise en charge en urgence des jeunes victimes lors d'attentats ou d'autres catastrophes. Des professionnels des Hôpitaux pédiatriques de Nice CHU-Lenval (Alpes-Maritimes) ont partagé leur expérience de clinique post-attentat, vécue à la suite de l'attaque meurtrière sur la promenade des Anglais le 14 juillet 2016. Florence Askenazy, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, et son équipe ont ainsi expliqué les différents temps de la prise en charge.
En premier lieu, dès le soir du drame, l'établissement situé sur la promenade des Anglais a été désigné comme l'un des points d’urgence médico-psychologiques (Pump) mis en place sur Nice. Et dès les premières consultations, l'équipe "a pris la mesure de l'évènement" : parents à la recherche de leurs enfants, amis ayant vécu le décès d'un ou des proche(s) sans avoir pu le(s) protéger, survivants ayant vu la mort d'un parent, d'un membre de la fratrie.. Puis, après le plan Blanc, devant l'afflux des demandes, il a fallu organiser les soins en constituant des équipes chaque jour de 9h à 23h, durant une quinzaine de jours. La gestion du post-attentat a été pour les équipes l'occasion de réajuster le plan Blanc et de se rapprocher de la cellule d'urgence médico-psychologique des Alpes-maritimes (Cump 06). Car ce dramatique évènement a montré une nouvelle fois l'importance de la présence de pédopsychiatres dans le dispositif d'urgence médico-psychologique, alors qu'encore peu de Cump disposent de ces spécialistes en leur sein, ont témoigné plusieurs intervenants.
"Une clinique de l'extrême mais notre clinique"
La ville de Toulouse (Haute-Garonne) a elle aussi connu deux évènements traumatisants, pour lesquels les pédopsychiatres ont été sollicités a posteriori pour des prises en charge : l'explosion de l'usine AZF en septembre 2001 et les tueries de mars 2012, avec plusieurs enfants assassinés dans une école. Le Pr Jean-Philippe Raynaud, chef de service de pédopsychiatrie au CHU de Toulouse, a fait ainsi part des constats à moyen et long terme tirés de son expérience clinique dans ces situations hors du commun. Il a notamment souligné qu'il faut "reconnaître et conforter les compétences des cliniques de pédopsychiatrie" dans ces situations d'urgence, puis de post-attentat/catastrophe : "c'est une clinique de l'extrême mais c'est notre clinique". D'autre part, dans ces situations, il faut "collaborer, être solidaires et accepter la coordination". C'est à dire collaborer avec la Cump, les urgences, le secteur libéral, les associations et s'entraîner à ce type d'urgences, protocoliser une trame commune, penser en amont les espaces de prise en charge.
Les pédopsychiatres doivent intervenir au sein même des services d'urgences, a-t-il expliqué, en lien étroit avec les urgentistes, pédiatres, infirmiers et aides-soignants, ainsi qu'avec la psychiatrie adulte (notamment en cas de prise en charge de familles). Le Pr Thierry Baubet, psychiatre d'enfants et d'adolescents à l'Hôpital Avicenne à Bobigny (AP-HP) et responsable de la Cump de Seine-Saint-Denis, a également exposé comment soutenir dans les phases initiales les jeunes patients face aux attentats. Il a rappelé que les Cump reçoivent de multiples sollicitations : la plupart viennent des enfants et familles demandant des soins mais aussi des écoles et institutions recevant des enfants et adolescents à proximité des lieux des catastrophes/attentats ou des écoles/institutions où des enfants ont été tués ou blessés.
Objectifs d'une intervention de crise et erreurs à éviter...
Une intervention de crise, a développé Thierry Baubet, a tout d'abord pour objectif de fournir les premiers soins aux enfants et à leurs parents (expérience de l'écoute, attention au contenu du récit). Puis il faut orienter les enfants dont l'état le nécessite — parfois les parents — vers des soins structurés. Il convient également d'évaluer le risque psychopathologique pour chaque famille et proposer des modalités adaptées, au minimum avec une réévaluation téléphonique. Enfin, il faut fournir à tous une information minimale sur un support qu'ils puissent conserver. Cela nécessite donc des structures "habituées" à l'urgence psychiatrique/psychologique, à la crise, aux plans d'urgence (Cump) et comportant des pédopsychiatres, ainsi que des lieux dédiés aux enfants avec du matériel adéquat. Il faut s'inscrire "d'emblée dans la temporalité"*, a-t-il souligné, ainsi que dans la collaboration avec les autres acteurs de la communauté (sanitaire, social, associatif, ville, éducation nationale).
Penser à froid les interventions
En terme d'organisation, il faut désigner un responsable du dispositif qui ne prend pas en charge de patients mais est chargé de nombreuses autres missions, également importantes (lire encadré). Les autres intervenants travaillent en binômes et sont en charge uniquement de l'aspect clinique, pas de l'organisation. Thierry Baubet a évoqué aussi certaines "choses à éviter", comme l'appel aux bonnes volontés, parfois émis en période de crise. Une vraie-fausse "bonne idée" dans les faits. "Dans un tel contexte, il faut être formé au psychisme de l'enfant mais aussi aux situations extrêmes, au fonctionnement des secours", a-t-il insisté, expliquant que "les meilleurs pédopsychiatres ne font pas les meilleurs intervenants" en urgence. Autres écueils à éviter : l'absence de définition précise du travail de chacun, un travail "dans son coin sans coordonateur" ou encore l'absence de temps de reprise, permettant aux soignants d'échanger et debriefer en réunion, avec leur responsable. En conclusion, Thierry Baubet a souligné la nécessité de "penser à froid" ce type d'intervention de crise et celle de dispositifs cliniques psychiatriques spécifiques pour les enfants et adolescents. Et d'appeler l'auditoire à grossir les rangs des volontaires de l'urgence médico-psychologique : "Il est temps d'opérer un grand rapprochement entre les pédopsychiatres et les Cump !"
Les missions du responsable en intervention de crise
Le responsable du dispositif d'intervention de crise remplit plusieurs missions, a expliqué le Pr Thierry Baubet :- il est en renfort sur les cas difficiles ;
- il assure les nombreuses interfaces ;
- il décharge les cliniciens des questions annexes (matérielles, téléphone, etc.) ;
- il est garant de la continuité du dispositif, de l'homogénéité des prises en charge, de la traçabilité et de la saisie des informations ;
- il assure des temps de reprises fréquents (au moins deux fois par jour avec son équipe) ;
- il vérifie que son équipe "tient le coup et sort ceux qui ne peuvent pas intervenir" à un moment donné (trop affectés, hypomanie, fuite en avant, propos déplacés...).
* La temporalité peut être différenciée en trois phases : phase immédiate (24 premières heures), phase post-immédiate (1er mois) et à plus long terme.
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